Jacques-François-Marie Vieilh de Boisjolin, (1760-1841) poète et administrateur français. ...
Origine de la tulipe
Mais quelle fleur plus fière, au milieu de ses soeurs,
Oppose à leurs parfum l'éclat de ses couleurs ?
Mon oeil a reconnu, la tulipe inodore,
Jadis nymphe des champs et compagne de Flore.
Protée était son père, et la fable autrefois
Consacra son malheur, qu'ose chanter ma voix.
A cette heure douteuse, où l'ombre, plus tardive
Suit du jour qui s'éteint la clarté fugitive,
La nymphe, loin de Flore, hélas ! loin pour jamais,
Des champs et de son coeur goûtant l'heureuse paix,
Sous l'odorant feuillage où chantait Philomèle
Savourait du repos la douceur infidèle.
Zéphire l'aperçoit, et, d'un souffle enflammé,
Caresse des attraits dont son oeil est charmé.
La fille de Protée, à cette douce haleine,
Entrouvre avec lenteur sa paupière incertaine,
Et ne voit pas encor dans son enchantement
Que ce bruit de Zéphire est la voix d'un amant.
Mais bientôt, à l'aspect du jeune époux de Flore :
"Déesse, à tes bienfaits si j'ai des droits encore,
"Dit-elle, contre un dieu qui trompe tes amours;
"J'implore ta vengeance, ou du moins ton secours."
Tout-à-coup, ô prodige ! une forme étrangère
La dérobe aux transports d'un désir adultère.
Son beau corps, dont Zéphyr presse en vain les appâts,
En tige souple et frêle échappe de ses bras ;
Ses cheveux qui tombaient en boucles agitées,
S'élevant sur son front en feuilles veloutées,
L'entourent d'un calice : un doux balancement
Semble prouver encor qu'elle craint son amant.
Le dieu veut, en parfums, respirer son haleine ;
Ce baume de l'amour adoucirait sa peine :
Prive la fleur d'un charme, et l'homme d'un plaisir ;
Mais la nymphe héritant du secret de son père,
De cet art protecteur se fait un art de plaire ;
Et trompant le regard par la variété,
De changeantes couleurs enrichit sa beauté.
Je vois errer Zéphyr : mais il ne cherche qu'elle,
Et s'il paraît volage, il n'est plus infidèle.