Charles Frémine, (1841-1906) journaliste, poète et écrivain français.
La chanson du pays
Les pommiers
Quand les récoltes sont rentrées
Et que l'hiver est revenu,
Des arbres, en files serrés,
Se déroulent sur le sol nu ;
Ils n'ont pas le port droit des ormes,
Ni des chênes les hauts cimiers ;
Ils sont trapus, noirs et difformes :
Pourtant qu'ils sont beaux mes pommiers !
Leurs rangs épais couvrent la plaine
Et la vallée et les plateaux ;
En droite ligne et d'une haleine
Ils escaladent les coteaux ;
Tout leur est bon, le pré, la lande...
Mais s'il faut du sable aux palmiers,
Il faut de la terre normande
À la racine des pommiers !
Quand Mai sur leur tête arrondie
Pose une couronne de fleurs,
Les filles de la Normandie
N'ont pas de plus fraîches couleurs ;
Leurs floraisons roses et blanches
Sont la gloire de nos fermiers :
Heureux qui peut voir sous leur branches
Crouler la neige des pommiers !
Les matinales tourterelles
Chantent dans leurs rameaux touffus,
Et les geais y font des querelles
Aux piverts logés dans leurs fûts ;
Les grives s'y montrent très dignes
Et tendres comme des ramiers ;
Elles se grisent dans les vignes,
Mais font leurs nids dans les pommiers.
L’automne vient qui les effeuille ;
Les pommiers ont besoin d’appuis,
Et leurs longs bras, pour qu’on les cueille,
Jusqu’à terre inclinent leurs fruits ;
Ève fut prise à leur caresse,
Ils la tentèrent les premiers ;
Gloire à la grande pécheresse !
L'amour est né sous les pommiers !
Leurs fleurs, leurs oiseaux, leurs murmures,
Ont enchanté mes premiers jours,
Et j'ai, plus tard, sous leurs ramures
Mené mes premières amours ;
Que l'on y porte aussi ma bière,
Et mon corps, sans draps ni sommiers,
Dans un coin du vieux cimetière
Dormira bien sous les pommiers !