Joris-Karl Huysmans (1848-1907), auteur
1880
Le marchand de marrons
..."Il est là, dans son échoppe, allumant la braise, attisant
avec son soufflet les charbons du fourneau, écoutant
de toutes ses oreilles les papotages, les parlotes, les cancans
des laitières et des concierges. […]
Et derrière le malheureux, au travers des vitres qui le séparent
de la piscine aux vins, s’alignent, vives, engageantes,
scintillant sur une planchette posée devant une glace,
des régiments de bouteilles, hautes en couleur et larges en ventre.
Quelle attirance, quelle fascination !
oh ! qui dira le charme des canons et du tafia ?
Ne les regarde point, pauvre hère, oublie froid, faim, bouteilles
et chante, nasillard, ta complainte obstinée :
eh ! chauds, chauds, les marrons !
Va, éreinte-toi, gèle, gèle, souffle sur les fumerons qui puent,
aspire à pleine bouche la vapeur des cuissons, emplis-toi
la gorge de cendre, trempe dans l’eau tes mains bouillies
et tes doigts grillés, égoutte les châtaignes, écale les marrons,
gonfle les sacs, vends ta marchandise aux enfants goulus,
aux femmes attardées ;
hue ! philosophe, hue ! entonne à tue-tête, jusqu’à la pleine nuit,
au clair du gaz, sous le froid, ton refrain de misère :
eh ! chauds, chauds, les marrons !..."