Ovide (43 av. J.C. - 17 ou 18 ap. J.-C.), poète latin qui vécut durant la période de la naissance de l'Empire romain. Ses œuvres les plus connues sont L'Art d'aimer et les Métamorphoses.
La métamorphose de Cyparissus
Il était une colline, et sur la colline, une plaine très ouverte,
surface toute verdoyante grâce au gazon qui la couvrait.
Le lieu manquait d'ombre. Aussitôt que Orphée, le poète
né des dieux s'y fut assis et eut touché les cordes de sa lyre,
l'ombre survint : l'arbre de Chaonie était là,
et le bois des Héliades, et le chêne vert aux hautes frondaisons,
et les tendres tilleuls, et le hêtre, et le laurier toujours vierge,
et les frêles coudriers, et le frêne dont on fait les lances,
et le sapin lisse, et la yeuse qui ploie sous ses glands,
et le platane des jours de fête, et l'érable aux tons contrastés,
et les saules poussant près des rivières, et le lotus aquatique,
et le buis toujours vert, et les graciles tamaris,
et le myrte bicolore, et le laurier-tin aux baies foncées.
Vous aussi, vous êtes venus, lierres flexibles et rampants,
avec les pampres de vignes, et les ormeaux mariés aux vignes,
les ornes et les épicéas et l'arbousier chargé de fruits rouges,
et les souples palmiers, récompenses du vainqueur,
et le pin ceinturé de feuilles, avec sa cime hérissée,
cher à la mère des dieux, puisque Attis, aimé de Cybèle,
a délaissé en lui sa forme d'homme et s'est endurci dans ce tronc.
À cette foule se joignit le cyprès, évoquant les bornes du cirque :
arbre aujourd'hui, il était jadis un enfant aimé de ce dieu fameux
qui manie les cordes de sa lyre comme celles de son arc.
Il existait là en effet, consacré aux nymphes du pays de Carthéa,
un cerf gigantesque aux cornes largement déployées
qui offraient à sa propre tête une ombre épaisse.
Ses cornes rutilaient d'or, et des colliers de perles,
suspendus autour de son cou, retombaient sur ses épaules.
Sur son front s'agitait, depuis sa naissance, une bulle d'argent
tenue par de petites lanières ; pendues à ses deux oreilles
des perles brillaient, de part et d'autre de ses tempes creuses.
Ce cerf, sans nulle crainte, oubliant sa timidité naturelle,
fréquentait les maisons et, sans retenue, il avait l'habitude
de tendre son cou aux caresses de mains inconnues.
Mais pourtant, c'est à toi plus qu'à quiconque, qu'il était cher,
Cyparissus, toi, le plus bel enfant de Céos ; c'est toi qui le menais
vers de nouvelles pâtures, vers l'onde claire d'une source.
Tantôt tu entrelaçais entre ses cornes des fleurs de toutes couleurs,
tantôt, cavalier monté sur son dos, tu allais joyeusement
Ici et là, retenant son mufle délicat avec des rênes de pourpre.
C'était l'été, au milieu du jour, et la chaleur du soleil
brûlait les bras courbes du Cancer, ami du rivage.
Fatigué, le cerf s'était étendu sur la terre gazonneuse
et cherchait la fraîcheur à l'ombre d'un arbre.
Par mégarde, le jeune Cyparissus le transperça d'un trait acéré
et quand il le vit mourant d'une cruelle blessure, il décida
qu'il voulait mourir lui aussi . Que de paroles de consolation
prononça Phébus, l'engageant à pleurer avec mesure
et de façon proportionnée ! L'enfant continua pourtant à gémir,
demandant aux dieux la faveur suprême de pleurer sans fin.
Déjà son sang s'était vidé en torrents de pleurs,
ses membres commencèrent à prendre une teinte verte,
et ses cheveux qui naguère pendaient sur son front de neige
se transformèrent en une chevelure hérissée, se raidirent
en une cime gracile et se mirent à regarder le ciel étoilé.
Le dieu gémit et, plein de tristesse, déclara : "Je te pleurerai,
et toi tu pleureras les autres et tu les assisteras dans leurs deuils".