16 février 2024 5 16 /02 /février /2024 18:24

 

 

Zulma Carraud (1796-1889) écrivaine française,

Hachette, 1865 (p. 3-72).

 

Les métamorphoses d’une goutte d’eau


... 

Par une nuit étoilée , l’air s’étant trop refroidi

pour me tenir plus longtemps en suspension,

je fus ramenée vers la terre, et, perle encore,  

je me trouvai dans le pétale concave 

d’une magnifique fleur de câprier qui croissait

sur une vieille muraille, et dont

l’odeur subtile embaumait les alentours. 


Au fond de la corolle nichait toute une famille

d’insectes microscopiques, 

vivant du pollen que leur fournissaient

incessamment les mille étamines 

empourprées qui s'épanouissa ent au-dessus

De leur asile et les abritaient de leur ombre. 

 

Ces petits animaux se désaltéraient

au nectaire de la fleur, et leur univers

se bornait à ce délicieux réduit où s’accomplissait

leur obscure destinée, exempte de toute inquiétude : 

Car ils ignoraient même qu’il y eût un autre monde. 

Nés avec la fleur ,ils devaient mourir avec elle. 


Garantis des intempéries par son tissu délicat,

enivrés de ses parfums, ils ne voyaient du ciel

que juste ce qu'il en fallait pour rappeler celui

qui leur avait donné l'être et aucune appréhension 

du danger ne troublait cette voluptueuse sécurité.

 

J’enviai un moment leur sort, moi

pauvre créature errante, soumise aux moindres

variations atmosphériques, douée d'une quasi-éternité, 

et condamnée à Vagabonder sur la terre et à

remonter sans cesse dans l’espace pour en être

précipitée sans cesse, jusqu’à ce que, retrouvant

mon expansion première, je me perdisse

dans l’éther où flottent les mondes !

Du moins, je l'espérais ainsi, ignorante que j'étais

des lois qui régissent notre planète ; mais j'étouffai 

bientôt ces regrets qui rendaient plus pénibles

encore les vicissitudes auxquelles j'étais soumise. 


Et puis, l’agitation et la souffrance n’ont-elles pas un sens ? 

N’est-ce pas la vie ?  

L'aspiration au mieux éternel  vers lequel tend

toute créature intelligente ne comporte pas cette

quiétude absolue et pleine d'égoïsme

qui constituait la félicité de mes petits voisins. 


Jouissant donc de l'instant de calme qui m’était accordé,

je me roulai amoureusement sur ma couche de velours blanc.

Une chèvre alléchée par la beauté de l'arbuste qui

nous recélait vint en brouter les fleurs en se

dressant le long du mur.

 

La secousse qu'elle imprima à la plante

me fit tomber dans le petit réservoir ménagé entre

les feuilles du grand chardon, afin

que les petits oiseaux auxquels il a donné son

nom ne mourussent pas de soif dans les jours

de grande sécheresse. 


Je donnai un regret à mes humbles voisins,

qui étaient passés de leur profond repos

à un repos plus profond encore !

Fallait-il les plaindre, eux qui, n'ayant pas

en conscience de leur fin prochaine, avaient été 

Dévorés tous ensemble roulés dans leur suaire merveilleux !

Zulma Carraud (1796-1889) - écrivaine française - Les métamorphoses d’une goutte d’eau
Partager cet article
Repost0

commentaires

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Recherche

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Catégories

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mes Blogs Amis À Visiter