Francis Ponge (1899-1988) écrivain et poète français
Le cycle des saisons
Las de s'être contractés tout l'hiver
les arbres tout à coup se flattent d'être dupes.
Ils ne peuvent plus y tenir : ils lâchent leurs paroles,
un flot, un vomissement de vert.
Ils tâchent d'aboutir à une feuillaison complète de paroles.
Tant pis! Cela s'ordonnera comme cela pourra!
Mais, en réalité, cela s'ordonne!
Aucune liberté dans la feuillaison...
Ils lancent, du moins le croient-ils, n'importe quelles paroles,
lancent des tiges pour y suspendre encore des paroles :
nos troncs, pensent-ils, sont là pour tout assumer.
Ils s'efforcent à se cacher,
à se confondre les uns dans les autres.
Ils croient pouvoir dire tout, recouvrir entièrement
le monde de paroles variées : ils ne disent que "les arbres".
Incapables même de retenir les oiseaux
qui repartent d'eux, alors qu'ils se réjouissaient
d'avoir produit de si étranges fleurs.
Toujours la même feuille,
toujours le même mode de dépliement,
et la même limite, toujours des feuilles symétriques
à elles-mêmes, symétriquement suspendues !
Tente encore une feuille! -
La même! Encore une autre! La mème !
Rien en somme ne saurait les arrêter
que soudain cette remarque :
"L'on ne sort pas des arbres par des moyens d'arbres."
Une nouvelle lassitude, et un nouveau retournement moral.
"Laissons tout ça jaunir, et tomber.
Vienne le taciturne état, le dépouillement, l'automne."