29 mai 2024 3 29 /05 /mai /2024 14:41

 

 

Francis Vielé-Griffin (1864-1937) poète symboliste français 

 

Les roses du chemin évoquent d'autres roses ;

L'avril impérieux évoque un autre

Amour ;

Cet avenir, joyeux espoir, que tu proposes,

Rappelle du passé l'ombre d'un autre jour ;

Les roses du chemin évoquent d'autres roses.

 

Le catafalque virginal - ô roses blanches ! - ;

 

Les cierges dans la nuit des crêpes ; le pas lourd

 

Des hommes ; l'orgue lent - comme de nos dimanches

 

D'autrefois - ; et la foule indifférente autour

 

Du catafalque virginal aux roses blanches.

 

Ces jours sont morts ; ta vie, appareillant vers l'aube,

Sombrait avant l'aurore éblouie où je vais,

Rêveur ambitieux de la victoire improbe

Et défiant le souvenir des jours mauvais :

Ces jours sont morts ; l'aurore a refoulé cette aube.

Dis-moi, toi qui rêvais la harpe de l'archange,

Ce soir de causerie intime, si le

Dieu

 

Des jours d'alors t'a pris au sein de la phalange

Harmonieuse de ses choeurs, et dis le

Lieu

 

Très-Saint où chante vers son

Christ ta voix d'archange...

 

Sans doute, et tu connais les

Rythmes et les

Songes,

 

Et quelqu'Amour inapaisé des âmes sours ;

Et tu prends en pitié notre art et ses mensonges

Aimés, et la banalité chère des cours ;

Et tu connais l'Amour, les

Rythmes et les

Songes.

 

O

Doux mort, ô fiévreux enfant, mort de l'ivresse

Que donne aux cours choisis le

Vin sanglant ; et nous,

Malgré qu'aux carrefours de tous chemins se dresse

La croix prestigieuse et qu'on baise à genoux.

Nous avons préféré la

Vie à cette ivresse.

 

Fous de désirs émancipés et d'amour jeune

Vers l'univers conquis à nos voux timorés

Nous marchions, abreuvant d'espérance le jeûne

Des cours ; et nous allions vers des buts ignorés

Dans la joie ivre et dans l'enfièvrement du jeûne.

 

Et cependant que nous allions parmi des roses

Blanches, au gré du sentier vert, ce jour d'avril,

Le souvenir m'a pris du tertre où tu reposes

Endormi dans l'espoir du rêve puéril ;

 

Les roses du chemin évoquant d'autres roses.....

Si bien que, dans le soir qui vient, mon âme est triste

Vaguement, sans regret, si ce n'est d'un espoir

Et que mon cour impétueux et doux résiste

Aux promesses de l'ombre aimante, et, dans le soir

Qui vient très lentement sur nous, mon âme est triste.

Il eût suffi pourtant de ce deuil monitoire

Pour aviver en toi la croyance magique

Et ployer tes genoux devant le

Saint-Ciboire.

 

Reprends ta lyre et rythme à nouveau la supplique

D'un chant humilié qui plaigne et glorifie,

Du seuil, vers l'Agneau saint de la

Messe tragique.

 

Dis : "

Christ, mon coeur est las et ma barque dévie

Au gré de l'ouragan vers la mort éternelle,

Du festin de la chair mon âme est assouvie."

 

Dis encore : " 

Christ

Dieu, mon âme ne vaut-elle

Pas une goutte du

Vrai

Sang qu'un prêtre épanche,

Et n'as-tu pas souci de mon âme immortelle ?"


Grise-toi de l'encens croulant en avalanche

Du choeur vers le parvis où dans l'ombre tu pries,

Et voici que soudain ton âme est toute blanche !


Jusqu'au ciboire d'or gemmé de pierreries,

Où gît le

Pain vivifiant, avance et mange :

Car

Christ ne perdra pas

Celles qu'il a nourries.

 

Sens au fond de ton être abject s'éveiller l'ange,

Entrevois, un instant, le

Ciel pour qui les sages

Ont dédaigné la terre et l'amour de sa fange ;

 

Et des

Voix te diront d'extatiques messages...
 

Francis Vielé-Griffin (1864-1937) - poète symboliste français - Les roses du chemin évoquent d'autres roses ;
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