Francis Vielé-Griffin (1864-1937) poète symboliste français
Les roses du chemin évoquent d'autres roses ;
L'avril impérieux évoque un autre
Amour ;
Cet avenir, joyeux espoir, que tu proposes,
Rappelle du passé l'ombre d'un autre jour ;
Les roses du chemin évoquent d'autres roses.
Le catafalque virginal - ô roses blanches ! - ;
Les cierges dans la nuit des crêpes ; le pas lourd
Des hommes ; l'orgue lent - comme de nos dimanches
D'autrefois - ; et la foule indifférente autour
Du catafalque virginal aux roses blanches.
Ces jours sont morts ; ta vie, appareillant vers l'aube,
Sombrait avant l'aurore éblouie où je vais,
Rêveur ambitieux de la victoire improbe
Et défiant le souvenir des jours mauvais :
Ces jours sont morts ; l'aurore a refoulé cette aube.
Dis-moi, toi qui rêvais la harpe de l'archange,
Ce soir de causerie intime, si le
Dieu
Des jours d'alors t'a pris au sein de la phalange
Harmonieuse de ses choeurs, et dis le
Lieu
Très-Saint où chante vers son
Christ ta voix d'archange...
Sans doute, et tu connais les
Rythmes et les
Songes,
Et quelqu'Amour inapaisé des âmes sours ;
Et tu prends en pitié notre art et ses mensonges
Aimés, et la banalité chère des cours ;
Et tu connais l'Amour, les
Rythmes et les
Songes.
O
Doux mort, ô fiévreux enfant, mort de l'ivresse
Que donne aux cours choisis le
Vin sanglant ; et nous,
Malgré qu'aux carrefours de tous chemins se dresse
La croix prestigieuse et qu'on baise à genoux.
Nous avons préféré la
Vie à cette ivresse.
Fous de désirs émancipés et d'amour jeune
Vers l'univers conquis à nos voux timorés
Nous marchions, abreuvant d'espérance le jeûne
Des cours ; et nous allions vers des buts ignorés
Dans la joie ivre et dans l'enfièvrement du jeûne.
Et cependant que nous allions parmi des roses
Blanches, au gré du sentier vert, ce jour d'avril,
Le souvenir m'a pris du tertre où tu reposes
Endormi dans l'espoir du rêve puéril ;
Les roses du chemin évoquant d'autres roses.....
Si bien que, dans le soir qui vient, mon âme est triste
Vaguement, sans regret, si ce n'est d'un espoir
Et que mon cour impétueux et doux résiste
Aux promesses de l'ombre aimante, et, dans le soir
Qui vient très lentement sur nous, mon âme est triste.
Il eût suffi pourtant de ce deuil monitoire
Pour aviver en toi la croyance magique
Et ployer tes genoux devant le
Saint-Ciboire.
Reprends ta lyre et rythme à nouveau la supplique
D'un chant humilié qui plaigne et glorifie,
Du seuil, vers l'Agneau saint de la
Messe tragique.
Dis : "
Christ, mon coeur est las et ma barque dévie
Au gré de l'ouragan vers la mort éternelle,
Du festin de la chair mon âme est assouvie."
Dis encore : "
Christ
Dieu, mon âme ne vaut-elle
Pas une goutte du
Vrai
Sang qu'un prêtre épanche,
Et n'as-tu pas souci de mon âme immortelle ?"
Grise-toi de l'encens croulant en avalanche
Du choeur vers le parvis où dans l'ombre tu pries,
Et voici que soudain ton âme est toute blanche !
Jusqu'au ciboire d'or gemmé de pierreries,
Où gît le
Pain vivifiant, avance et mange :
Car
Christ ne perdra pas
Celles qu'il a nourries.
Sens au fond de ton être abject s'éveiller l'ange,
Entrevois, un instant, le
Ciel pour qui les sages
Ont dédaigné la terre et l'amour de sa fange ;
Et des
Voix te diront d'extatiques messages...