14 mai 2024 2 14 /05 /mai /2024 21:33

 

 

Johann Wolfgang von Goethe (1749- 1832) poète, romancier, dramaturge, théoricien de l’art et homme d’État allemand 

Traduit par Gérard de Nerval (1808-1855) poète, conteur, auteur dramatique, 


La puissance du chant

par Goethe


Un torrent s’élance à travers les fentes des rochers et vient

avec le fracas du tonnerre. Des montagnes en débris suivent

son cours, et la violence de ses eaux déracine des chênes : le

voyageur étonné entend ce bruit avec un frémissement qui n’est

pas sans plaisir ; il écoute les flots mugir en tombant du

rocher, mais il ignore d’où ils viennent. Ainsi l’harmonie se

précipite à grands flots, sans qu’on puisse reconnaître les

sources d’où elle découle.

 

Le poète est l’allié des êtres terribles qui tiennent en main les

fils de notre vie : qui donc pourrait rompre ses nœuds magiques

et résister à ses accents ? Il possède le sceptre de Mercure,

et s’en sert pour guider les âmes : tantôt il les conduit dans le

royaume des morts ; tantôt il les élève, étonnées, vers le ciel,

et les suspend, entre la joie et la tristesse, sur l’échelle

fragile des sensations.

 

Lorsqu’au milieu d’un cercle où règne la gaieté, s’avance tout à

coup, et tel qu’un fantôme, l’impitoyable destin : alors tous les

grands de la terre s’inclinent devant cet inconnu qui vient d’un

autre monde ; tout le vain tumulte de la fête s’abat, les

masques tombent, et les œuvres du mensonge s’évanouissent

devant le triomphe de la vérité.

 

De même, quand le poëte prélude, chacun jette soudain le

fardeau qu’il s’est imposé, l’homme s’élève au rang des esprits

et se sent transporté jusqu’aux voûtes du ciel : alors il

appartient tout à Dieu, rien de terrestre n’ose l’approcher, et

toute autre puissance est contrainte à se taire. Le malheur n’a

plus d’empire sur lui ; tant que dure la magique harmonie, son

front cesse de porter les rides que la douleur y a creusées.

 

Et comme après de longs désirs inaccomplis, après une

séparation longtemps mouillée de larmes, un fils se jette enfin

dans le sein de sa mère, en le baignant des pleurs du repentir ;

ainsi l’harmonie ramène toujours au toit de ses premiers jours,

au bonheur pur de l’innocence, le fugitif qu’avaient égaré des

illusions étrangères, elle le rend à la nature, qui lui tend les

bras pour réchauffer son génie glacé par la contrainte des

règles.


 

Johann Wolfgang von Goethe (1749- 1832) poète, romancier, dramaturge, théoricien de l’art - La puissance du chant
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