20 mai 2024 1 20 /05 /mai /2024 22:02


 

 

Louise Ackermann (1813-1890) poétesse française

Premières Poésies, 1871

 

 

À Alfred de Musset

 

Un poète est parti ; sur sa tombe fermée

Pas un chant, pas un mot dans cette langue aimée

Dont la douceur divine ici-bas l’enivrait.

Seul, un pauvre arbre triste à la pâle verdure,

Le saule qu’il rêvait, au vent du soir, murmure

Sur son ombre éplorée un tendre et long regret.

 

Ce n’est pas de l’oubli ; nous répétons encore,

Poëte de l’amour, ces chants que fit éclore

Dans ton âme éperdue un éternel tourment,

Et le Temps sans pitié qui brise de son aile

Bien des lauriers, le Temps d’une grâce nouvelle

Couronne en s’éloignant ton souvenir charmant.

 

Tu fus l’enfant choyé du siècle. Tes caprices

Nous trouvaient indulgents. Nous étions les complices

De tes jeunes écarts; tu pouvais tout oser.

De la Muse pour toi nous savions les tendresses,

Et nos regards charmés ont compté ses caresses.

De son premier sourire à son dernier baiser.

 

Parmi nous maint poète à la bouche inspirée

Avait déjà rouvert une source sacrée;

Oui, d’autres nous avaient de leurs chants abreuvés.

Mais le cri qui saisit le cœur et le remue,

Mais ces accents profonds qui d’une lèvre émue

Vont à l’âme de tous, toi seul les as trouvés.

 

Au concert de nos pleurs ta voix s’était mêlée.

Entre nous, fils souffrants d’une époque troublée,

Le doute et la douleur formaient comme un lien.

Ta lyre en nous touchant nous était douce et chère ;

Dans le chantre divin nous sentions tous un frère ;

C’est le sang de nos cœurs qui courait dans le tien.

 

Rien n’arrêtait ta plainte, et ton âme blessée

La laissait échapper navrante et cadencée.

Tandis que vers le ciel qui se voile et se clôt

De la foule montait une rumeur confuse,

Fier et beau, tu jetais, jeune amant de la Muse,

A travers tous ces bruits ton immortel sanglot.

 

Lorsque le rossignol, dans la saison brûlante

De l’amour et des fleurs, sur la branche tremblante

Se pose pour chanter son mal cher et secret.

Rien n’arrête l’essor de sa plainte infinie,

Et de son gosier frêle un long jet d’harmonie

S’élance et se répand au sein de la forêt.

 

La voix mélodieuse enchante au loin l’espace….

Mais soudain tout se tait ; le voyageur qui passe

Sous la feuille des bois sent un frisson courir.

De l’oiseau qu’entraînait une ivresse imprudente

L’âme s’est envolée avec la note ardente ;

Hélas ! chanter ainsi c’était vouloir mourir !
 

Gabriel Amable de La Foulhouze  "Les Nuits de Musset"

Gabriel Amable de La Foulhouze "Les Nuits de Musset"

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