26 mai 2024 7 26 /05 /mai /2024 17:43


 

 

Maurice Rollinat (1846-1903) - poète français - 

Les Névroses, Les Âmes

 

 

Chopin

À Paul Viardot.

 

 Chopin, frère du gouffre, amant des nuits tragiques,

Âme qui fus si grande en un si frêle corps,

Le piano muet songe à tes doigts magiques

Et la musique en deuil pleure tes noirs accords.

 

L’harmonie a perdu son Edgar Poe farouche

Et la mer mélodique un de ses plus grands flots.

C’est fini ! le soleil des sons tristes se couche,

Le Monde pour gémir n’aura plus de sanglots !

 

Ta musique est toujours – douloureuse ou macabre –

L’hymne de la révolte et de la liberté,

Et le hennissement du cheval qui se cabre

Est moins fier que le cri de ton cœur indompté.

 

Les délires sans nom, les baisers frénétiques

Faisant dans l’ombre tiède un cliquetis de chairs,

Le vertige infernal des valses fantastiques,

Les apparitions vagues des défunts chers ;

 


La morbide lourdeur des blancs soleils d’automne ;

Le froid humide et gras des funèbres caveaux ;

Les bizarres frissons dont la vierge s’étonne

Quand l’été fait flamber les cœurs et les cerveaux ;

 

L’abominable toux du poitrinaire mince

Le harcelant alors qu’il songe à l’avenir ;

L’ineffable douleur du paria qui grince

En maudissant l’amour qu’il eût voulu bénir ;

 

L’âcre senteur du sol quand tombent des averses

Le mystère des soirs où gémissent les cors ;

Le parfum dangereux et doux des fleurs perverses

Les angoisses de l’âme en lutte avec le corps ;

 

Tout cela, torsions de l’esprit, mal physique,

Ces peintures, ces bruits, cette immense terreur,

Tout cela, je le trouve au fond de ta musique

Qui ruisselle d’amour, de souffrance et d’horreur.

 

Vierges tristes malgré leurs lèvres incarnates,

Tes blondes mazurkas sanglotent par moments,

Et la poignante humour de tes sombres sonates

M’hallucine et m’emplit de longs frissonnements.

 

Au fond de tes Scherzos et de tes Polonaises,

Épanchements d’un cœur mortellement navré,

J’entends chanter des lacs et rugir des fournaises

Et j’y plonge avec calme et j’en sors effaré.

 


Sur la croupe onduleuse et rebelle des gammes

Tu fais bondir des airs fauves et tourmentés,

Et l’âpre et le touchant, quand tu les amalgames,

Raffinent la saveur de tes étrangetés.

 

Ta musique a rendu les souffles et les râles,

Les grincements du spleen, du doute et du remords,

Et toi seul as trouvé les notes sépulcrales

Dignes d’accompagner les hoquets sourds des morts.

 

Triste ou gai, calme ou plein d’une angoisse infinie,

J’ai toujours l’âme ouverte à tes airs solennels,

Parce que j’y retrouve à travers l’harmonie,

Des rires, des sanglots et des cris fraternels.

 

Hélas ! toi mort, qui donc peut jouer ta musique ?

Artistes fabriqués, sans nerf et sans chaleur,

Vous ne comprenez pas ce que le grand Phtisique

A versé de génie au fond de sa douleur !
 

Maurice Rollinat (1846-1903) - poète français - Chopin
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