30 mai 2024 4 30 /05 /mai /2024 17:10

 

 

Renée Vivien (1877-1909) poétesse britannique de langue française

Sillages

 


Invocation

 

Dans l’Hadès souterrain où la nuit est parfaite

Te souviens-tu de l’île odorante, ô Psappha ?

Du verger où l’élan des lyres triompha,

Et des pommiers fleuris où la brise s’arrête ?

 

Toi qui fus à la fois l’amoureuse et l’amant,

Te souviens-tu d’Atthis, parmi les ombres pâles,

De ses refus et de ses rires, de ses râles,

De son corps étendu, virginal et dormant ?

 

Te souviens-tu des hauts trépieds et de leurs flammes ?

 


De la voix d’Eranna, s’élevant vers la nuit,

Pour l’hymne plus léger qu’une aile qui s’enfuit,

Mais que ne perdra point la mémoire des femmes ?

 

Ouvre ta bouche ardente et musicale… Dis !

Te souviens-tu de ta maison de Mytilène,

Des cris mélodieux, des baisers dont fut pleine

Cette demeure où tu parus et resplendis ?

 

Revois la mer, et ces côtes asiatiques

Si proches dans le beau violet du couchant,

Que, toi, tu contemplais, en méditant un chant

Sans faute, mais tiré des barbares musiques !

 

Le Léthé peut-il faire oublier ces vergers

Qui dorment à l’abri des coups et des vents maussades,

Et leurs pommes, et leurs figues, et leurs grenades,

Et le doux tremblement des oliviers légers ?

 

Peut-il faire oublier le pas lassé des chèvres 

Vers l’étable, et l’odeur des vignes de l’été ?

Dors-tu tranquillement là-bas, en vérité,

Toi dont le nom divin est toujours sur nos lèvres ?

 

Toi qui fus la prêtresse et l’égale des Dieux,

Toi que vint écouter l’Aphrodite elle-même,

Dis-nous que ton regard est demeuré suprême,

Que le sommeil n’a pu s’emparer de tes yeux !

 

Parmi les flots pesants et les ombres dormantes,

Toi qui  servis l’Eros cruel, l’Eros vainqueur,

L’Eros au feu subtil qui fait battre le cœur,

As-tu donc oublié le baiser des amantes ?

 

Les vierges de nos jours égalent en douceur

Celles-là que tes chants rendirent éternelles,

Les vignes de Lesbos sont toujours aussi belles,

La mer n’a point changé son murmure berceur.

 

Ah ! rejette en riant tes couronnes fanées !

Et, si jamais l’amour te fut amer et doux,

Ecoute maintenant et reviens parmi nous

Qui t’aimons à travers l’espace et les années !
 

Sappho - Enrique Simonet

Sappho - Enrique Simonet

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