Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)poétesse
française
La grande petite fille
Maman ! comme on grandit vite !
Je suis grande, j’ai cinq ans !
Eh bien, quand j’étais petite,
J’enviais toujours les grands.
Toujours, toujours à mon frère,
S’il venait me secourir,
Même, quand j’étais par terre,
Je disais : " Je veux courir ! "
Ah ! c’était si souhaitable
De gravir les escaliers !
À présent, je dîne à table ;
Je danse avec mes souliers !
Et ma cousine Mignonne
À qui j’apprends à parler
Du haut des bras de sa bonne
Boude, en me voyant aller.
Pauvre enfant ! Qu’elle est gentille
Quand elle pleure après moi !
J’en fais ma petite fille ;
Je la baise comme toi,
Lorsque, me voyant méchante,
Tu chantais pour me calmer.
Je la calme aussi ; je chante
Pour la forcer de m’aimer.
Et puis, maman, je suis forte,
Bon papa te le dira.
Son grand fauteuil, à la porte,
Sais-tu qui le roulera ?
Moi ! c’est sur moi qu’il s’appuie
Quand son pied le fait souffrir ;
C’est moi qui le désennuie
Quand il dit : " Viens me guérir "
Ô maman, je te regarde
Pour apprendre mon devoir,
Et c’est doux d’y prendre garde
Puisque je n’ai qu’à te voir.
Quand j’aurai de la mémoire,
C’est moi qui tiendrai la clé,
Veux-tu, de la grande armoire
Où le linge est empilé ?
Nous la polirons nous-mêmes
De cire à la bonne odeur ;
Ô maman, puisque tu m’aimes
Je suis sage avec ardeur !
Nous ferons l’aumône ensemble
Quand tes chers pauvres viendront.
Un jour, si je te ressemble.
Maman ! comme ils m’aimeront !
Je sais ce que tu vas dire ;
Tous tes mots, je m’en souviens.
Là, j’entends que ton sourire
Dit : " Viens m’embrasser ! " Je viens !