Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) poétesse française
Le petit ambitieux
Un enfant avait mis les bottes de son père.
Il se croyait plus grand ; mais il fallait marcher :
Dans sa jeune espérance, il arpentait la terre ;
Ses bottes ne pouvaient pourtant l’en détacher.
Il traîne avec ardeur l’entrave qu’il adore ;
Il veut courir… il rampe ; il rit, il rampe encore
Au collège, avant l’heure, il arrive enchanté,
Et parmi les plus grands se range avec fierté.
Son père l’a suivi… Dieu ! faites-le sourire !
Il cherche, il voit l’enfant ; il a dit : " Levez-vous ! "
L’ambitieux chancelle et fléchit les genoux.
Mais son père commande : un père, il faut souscrire ;
Il se lève. " Courez, dit son juge, courez !
D’un pas ferme et hardi devancez votre père,
Que votre course soit prospère :
Si vous tombez, malheur !… vous vous débotterez. "
Se débotter !… jamais ; plutôt périr en route.
L’enfant frissonne, il pleure à la voix qu’il redoute ;
Mais il pleure immobile, et sur son front charmant
Se peignent la douleur et le ressentiment.
L’école curieuse avait fermé son livre,
Le maître préparait le sermon détesté ;
Et l’enfant !… Il songeait à la mort qui délivre,
Car du crime, à ses pieds, tout le poids est resté.
" Pour la dernière fois, courez, je vous l’ordonne !
Si vous me devancez, mon fils, je vous pardonne. "
Et l’enfant éperdu, plein d’âme et plein d’effroi.
S’élance sur son père, et dit : " Emportez-moi ! "
Et ce père accueillit sa rougeur et ses larmes ;
Sur son cœur qui battait de colère… ou d’amour,
Il emporta son fils, tout botté, sous les armes.
" Conserve-les, dit-il ; tu marcheras un jour ! "