János Arany (1817-1882) poète hongrois
J’ai déposé mon luth
J’ai déposé mon luth, qu’il se repose enfin !
N’attendez plus de moi de chants ni de poèmes,
Je ne suis plus, hélas ! ce que j’étais jadis
Car j’ai déjà perdu le meilleur de mon âme,
Le feu ne brûle plus, il n’a plus d’étincelles,
Et sa flamme n’est plus que de l’arbre brûlé,
Où es-tu ? Qu’es-tu devenue,
Douce jeunesse de mon âme !
Un autre firmament me donnait ses sourires,
Et la terre marchait en manteau de velours
Et l’oiseau gazouillait en chacun des buissons
Quand ses lèvres en chantant commençaient à s’ouvrir…
Le frais zéphyr du soir était plus embaumé
Et les fleurs dans les champs semblaient plus colorées…
Où es-tu ? Qu’es-tu devenue
Douce jeunesse de mon âme !
Ce n’est pas seul ainsi qu’autrefois je chantais !
Ensemble nous pressions les cordes,
Et nos regards amis, avec souci de l’art,
Suivaient les doigts sur l’instrument.
Mon âme s’embrasait aux feux de ses transports
Toutes ces flammes s’unissaient.
Où es-tu ? Qu’es-tu devenue
Douce jeunesse de mon âme !
Oui, nous avons chanté l’espoir en l’avenir,
Et nous avons versé des pleurs sur le Passé.
Nous avons fait briller l’auréole de gloire
Sur le peuple et sur la patrie.
Et, chacun de nos chants s’ajoutait au feuillage
De sa couronne de lauriers.
Où es-tu ? Qu’es-tu devenue
Douce jeunesse de mon âme !
Nous avons espéré que sur notre cercueil
La renommée viendrait, un jour, s’asseoir,
Nous rêvions que la Patrie, la race
Vivant dans l’avenir, se souviendrait de nous,
Nous croyions, vain espoir ! que nos lauriers gagnés
Un de nos descendants pourrait nous les donner…
Où es-tu ? Qu’es-tu devenue
Douce jeunesse de mon âme !
Qu’es-tu donc, maintenant, ô chant abandonné ?
Peut-être seulement l’âme des chants passés
Qui, fantôme attristé et planant sur les tombes
Revient errer parmi les morts !
Ou, peut-être, un linceul ornementé, fleuri ?
Ou la voix qui résonne dans le désert obscur ?
Où es-tu ? Qu’es-tu devenue
Douce jeunesse de mon âme !
J’ai déposé mon luth, je le trouve trop lourd.
Qui donc écouterait mes chants mélancoliques ?
Qui pourrait se réjouir de voir la fleur fanée
Sur une tige desséchée… ?
Seulement sur le rameau mort,
La fleur survit un seul instant encore.
Hélas ! je sens que tu n’es plus
Douce jeunesse de mon âme !