15 mai 2024 3 15 /05 /mai /2024 21:04

 

 

Alfred Victor de Vigny (1797-1863) écrivain, romancier, dramaturge et poète français.

 

 

Le cor


I

J'aime le son du Cor, le soir, au fond des bois,

Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois,

Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille,

Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.

Que de fois, seul, dans l'ombre à minuit demeuré,

J'ai souri de l'entendre, et plus souvent pleuré !

Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques

Qui précédaient la mort des Paladins antiques.

 

O montagnes d'azur ! ô pays adoré !

Rocs de la Frazona, cirque du Marboré,

Cascades qui tombez des neiges entraînées,

Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées ;

 

Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons,

Dont le front est de glace et le pied de gazons !

C'est là qu'il faut s'asseoir, c'est là qu'il faut entendre

Les airs lointains d'un Cor mélancolique et tendre.

 

Souvent un voyageur, lorsque l'air est sans bruit,

De cette voix d'airain fait retentir la nuit ;

A ses chants cadencés autour de lui se mêle

L'harmonieux grelot du jeune agneau qui bêle.

 

Une biche attentive, au lieu de se cacher,

Se suspend immobile au sommet du rocher,

Et la cascade unit, dans une chute immense,

Son éternelle plainte au chant de la romance.

 

Ames des Chevaliers, revenez-vous encor ?

Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor ?

Roncevaux ! Roncevaux ! Dans ta sombre vallée

L'ombre du grand Roland n'est donc pas consolée !

 

 

II

Tous les preux étaient morts, mais aucun n'avait fui.

Il reste seul debout, Olivier prés de lui,

L'Afrique sur les monts l'entoure et tremble encore.

"Roland, tu vas mourir, rends-toi, criait le More ;

 

"Tous tes Pairs sont couchés dans les eaux des torrents."

Il rugit comme un tigre, et dit : "Si je me rends,

"Africain, ce sera lorsque les Pyrénées

"Sur l'onde avec leurs corps rouleront entraînées."

 

"Rends-toi donc, répond-il, ou meurs, car les voilà."

Et du plus haut des monts un grand rocher roula.

Il bondit, il roula jusqu'au fond de l'abîme,

Et de ses pins, dans l'onde, il vint briser la cime.

 

"Merci, cria Roland, tu m'as fait un chemin."

Et jusqu'au pied des monts le roulant d'une main,

Sur le roc affermi comme un géant s'élance,

Et, prête à fuir, l'armée à ce seul pas balance.

 

 

III

Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux

Descendaient la montagne et se parlaient entre eux.

A l'horizon déjà, par leurs eaux signalées,

De Luz et d'Argelès se montraient les vallées.

 

L'armée applaudissait. Le luth du troubadour

S'accordait pour chanter les saules de l'Adour ;

Le vin français coulait dans la coupe étrangère ;

Le soldat, en riant, parlait à la bergère.

 

Roland gardait les monts ; tous passaient sans effroi.

Assis nonchalamment sur un noir palefroi

Qui marchait revêtu de housses violettes,

Turpin disait, tenant les saintes amulettes :

 

"Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu ;

"Suspendez votre marche; il ne faut tenter Dieu.

"Par monsieur saint Denis, certes ce sont des âmes

"Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes.

 

"Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor."

Ici l'on entendit le son lointain du Cor.

L'Empereur étonné, se jetant en arrière,

Suspend du destrier la marche aventurière.

 

"Entendez-vous ! dit-il. - Oui, ce sont des pasteurs

"Rappelant les troupeaux épars sur les hauteurs,

"Répondit l'archevêque, ou la voix étouffée

"Du nain vert Obéron qui parle avec sa Fée."

 

Et l'Empereur poursuit ; mais son front soucieux

Est plus sombre et plus noir que l'orage des cieux.

Il craint la trahison, et, tandis qu'il y songe,

Le Cor éclate et meurt, renaît et se prolonge.

"Malheur ! c'est mon neveu ! malheur! car si Roland

"Appelle à son secours, ce doit être en mourant.

"Arrière, chevaliers, repassons la montagne !

"Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l'Espagne !

 

 

IV

Sur le plus haut des monts s'arrêtent les chevaux ;

L'écume les blanchit ; sous leurs pieds, Roncevaux

Des feux mourants du jour à peine se colore.

A l'horizon lointain fuit l'étendard du More.

 

"Turpin, n'as-tu rien vu dans le fond du torrent ?

"J'y vois deux chevaliers : l'un mort, l'autre expirant

"Tous deux sont écrasés sous une roche noire ;

"Le plus fort, dans sa main, élève un Cor d'ivoire,

"Son âme en s'exhalant nous appela deux fois."

 

Dieu ! que le son du Cor est triste au fond des bois !

Alfred de Vigny (1797-1863) - écrivain, romancier, dramaturge et poète français - Le cor
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15 mai 2024 3 15 /05 /mai /2024 21:03

 

 

Alfred de Vigny (1797-1863) écrivain, romancier, dramaturge et poète français.

 


La flûte


I

Un jour je vis s'asseoir au pied de ce grand arbre

Un Pauvre qui posa sur ce vieux banc de marbre

Son sac et son chapeau, s'empressa d'achever

Uu morceau de pain noir, puis se mit à rêver.

Il paraissait chercher dans les ongues allées

Quelqu'un pour écouter ses chansons désolées ;

Il suivait à regret la trace des passants

Rares et qui, pressés, s'en allaient en tous sens.

Avec eux s'enfuyait l'aumône disparue,

Prix douteux d'un lit dur en quelque étroite rue

Et d'un amer souper dans un logis malsain.

Cependant il tirait lentement de son sein,

Comme se préparait au martyre un apôtre,

Les trois parts d'une Flûte et liait l'une à l'autre

Essayait l'embouchure à son menton tremblant,

Faisait mouvoir la clef, l'épurait en soufflant,

Sur ses genoux ployés frottait le bois d'ébène,

Puis jouait. - Mais son front en vain gonflait sa veine,

Personne autour de lui pour entendre et juger

L'humble acteur d'un public ingrat et passager.

J'approchais une main du vieux chapeau d'artiste

Sans attendre un regard de son oeil doux et triste

En ce temps, de révolte et d'orgueil si rempli ;

Mais, quoique pauvre, il fut modeste et très poli.

 

II

Il me fit un tableau de sa pénible vie.

Poussé par ce démon qui toujours nous convie,

Ayant tout essayé, rien ne lui réussit,

Et le chaos entier roulait dans son récit.

Ce n'était qu'élan brusque et qu'ambitions folles,

Qu'entreprise avortée et grandeur en paroles.

 

D'abord, à son départ, orgueil démesuré,

Gigantesque écriteau sur un front assuré,

Promené dans Paris d'une façon hautaine :

Bonaparte et Byron, poète et capitaine,

Législateur aussi, chef de religion

(De tous les écoliers c'est la contagion),

Père d'un panthéisme orné de plusieurs choses,

De quelques âges d'or et des métempsychoses

De Bouddha, qu'en son coeur il croyait inventer ;

Il l'appliquait à tout, espérant importer

Sa révolution dans sa philosophie ;

Mais des contrebandiers notre âge se défie ;

Bientôt par nos fleurets le défaut est trouvé ;

D'un seul argument fin son ballon fut crevé.

 

Pour hisser sa nacelle il en gonfla bien d'autres

Que le vent dispersa. Fatigué des apôtres,

Il dépouilla leur froc. (Lui-même le premier

Souriait tristement de cet air cavalier

Dont sa marche, au début, avait été fardée

Et, pour d'obscurs combats, si pesamment bardée ;

Car, plus grave à présent, d'une double lueur

Semblait se réchauffer et s'éclairer son coeur ;

Le Bon Sens qui se voit, la Candeur qui l'avoue,

Coloraient en parlant les pâleurs de sa joue.)

Laissant donc les couvents, Panthéistes ou non,

Sur la poupe d'un drame il inscrivit son nom

Et vogua sur ces mers aux trompeuses étoiles ;

Mais, faute de savoir, il sombra sous ses voiles

Avant d'avoir montré son pavillon aux airs.

Alors rien devant lui que flots noirs et déserts,

L'océan du travail si chargé de tempêtes

Où chaque vague emporte et brise mille têtes.

Là, flottant quelques jours sans force et sans fanal,

Son esprit surnagea dans les plis d'un journal,

Radeau désespéré que trop souvent déploie

L'équipage affamé qui se perd et se noie.

Il s'y noya de même, et de même, ayant faim,

Fit ce que fait tout homme invalide et sans pain.

 

" Je gémis, disait-il, d'avoir une pauvre âme

Faible autant que serait l'âme de quelque femme,

Qui ne peut accomplir ce qu'elle a commencé

Et s'abat au départ sur tout chemin tracé.

L'idée à l'horizon est à peine entrevue,

Que sa lumière écrase et fait ployer ma vue.

Je vois grossir l'obstacle en invincible amas,

Je tombe ainsi que Paul en marchant vers Damas.

- Pourquoi, me dit la voix qu'il faut aimer et craindre,

Pourquoi me poursuis-tu, toi qui ne peux m'étreindre ?

- Et le rayon me trouble et la voix m'étourdit,

Et je demeure aveugle et je me sens maudit. "

 

III

- " Non, criai-je en prenant ses deux mains dans les miennes,

Ni dans les grandes lois des croyances anciennes,

Ni dans nos dogmes froids, forgés à l'atelier,

Entre le banc du maître et ceux de l'écolier,

Ces faux Athéniens dépourvus d'Atticisme,

Qui nous soufflent aux yeux des bulles de Sophisme,

N'ont découvert un mot par qui fût condamné

L'homme aveuglé d'esprit plus que l'aveugle-né.

 

C'est assez de souffrir sans se juger coupable

Pour avoir entrepris et pour être incapable ;

J'aime, autant que le fort, le faible courageux

Qui lance un bras débile en des flots orageux,

De la glace d'un lac plonge dans la fournaise

Et d'un volcan profond va tourmenter la braise.

Ce Sisyphe éternel est beau, seul, tout meurtri,

Brûlé, précipité, sans jeter un seul cri,

Et n'avouant jamais qu'il saigne et qu'il succombe

A toujours ramasser son rocher qui retombe.

Si, plus haut parvenus, de glorieux esprits

Vous dédaignent jamais, méprisez leur mépris ;

Car ce sommet de tout, dominant toute gloire,

Ils n'y sont pas, ainsi que l'oeil pourrait le croire.

On n'est jamais en haut. Les forts, devant leurs pas,

Trouvent un nouveau mont inaperçu d'en bas.

Tel que l'on croit complet et maître en toute chose

Ne dit pas les savoirs qu'à tort on lui suppose,

Et qu'il est tel grand but qu'en vain il entreprit.

- Tout homme a vu le mur qui borne son esprit.


Du corps et non de l'âme accusons l'indigence.

Des organes mauvais servent l'intelligence

Et touchent, en tordant et tourmentant leur noeud,

Ce qu'ils peuvent atteindre et non ce qu'elle veut.

En traducteurs grossiers de quelque auteur céleste

Ils parlent... Elle chante et désire le reste.

Et, pour vous faire ici quelque comparaison,

Regardez votre Flûte, écoutez-en le son.

Est-ce bien celui-là que voulait faire entendre

La lèvre ? Était-il pas ou moins rude ou moins tendre ?

Eh bien, c'est au bois lourd que sont tous les défauts,

Votre souffle était juste et votre chant est faux.

Pour moi qui ne sais rien et vais du doute au rêve,

Je crois qu'après la mort, quand l'union s'achève,

L'âme retrouve alors la vue et la clarté,

Et que, jugeant son oeuvre avec sérénité,

Comprenant sans obstacle et s'expliquant sans peine,

Comme ses soeurs du ciel elle est puissante et reine,

Se mesure au vrai poids, connaît visiblement

Que son souffle était faux par le faux instrument,

N'était ni glorieux ni vil, n'étant pas libre ;

Que le corps seulement empêchait l'équilibre ;

Et, calme, elle reprend, dans l'idéal bonheur,

La sainte égalité des esprits du Seigneur. "

 

IV

Le Pauvre alors rougit d'une joie imprévue,

Et contempla sa Flûte avec une autre vue ;

Puis, me connaissant mieux, sans craindre mon aspect,

Il la baisa deux fois en signe de respect,

Et joua, pour quitter ses airs anciens et tristes,

Ce Salve Regina que chantent les Trappistes.

Son regard attendri paraissait inspiré,

La note était plus juste et le souffle assuré.
 

Bernardo Strozzi - le joueur de flûte

Bernardo Strozzi - le joueur de flûte

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15 mai 2024 3 15 /05 /mai /2024 21:02

 

 

Amable Tastu (1795-1885) femme de lettres française, poétesse et librettiste

 


L'écho de la harpe

 

Pauvre harpe du barde, au lambris suspendue,

Tu dormais, dès longtemps poudreuse et détendue.

D'un souffle vagabond la brise de la nuit

Sur ta corde muette éveille un léger brait :

Telle dort en mon sein cette harpe cachée,

Et que seule la Muse a quelquefois touchée.

Alors qu'un mot puissant, un songe, un souvenir,

Une pensée errante et douce à retenir,

L'effleurent en passant d'une aile fugitive,

Elle vibre soudain ; et mon âme attentive,

Émue à cet accord qui se perd dans les cieux,

Garde du son divin l'écho mélodieux. 

Amable Tastu (1795-1885) - femme de lettres française, poétesse et librettiste - L'écho de la harpe
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15 mai 2024 3 15 /05 /mai /2024 20:59

 

 

Prince Nicolas Boris Galitzin (1794-1866) prince russe, musicien 

 

Hymne à la musique 

considérée dans ses rapports avec l’âme


Je t’adresse mes chants, ô divine Harmonie !

Toi de qui la puissance est immense, infinie ;

Seul plaisir d’ici-bas qui ne soit point trompeur.

Par toi tout être humain a sa part de bonheur.

Les accords expressifs d’une belle musique,

Communiquant à l’âme une ivresse électrique,

La détachent de terre, embrasent notre cœur,

Et portent nos esprits vers un monde meilleur.

 

Que sont-ils donc, ces sons qui n’ont point d’apparence,

Et qui sur tout notre être ont si grande influence ?

Cet art qui de notre âme évoque tous les cris,

Ne révèle-t-il pas un monde des esprits ?

Du céleste bonheur mystérieux emblème,

Lui seul peut procurer, sur cette terre même,

Un avant-goût réel des voluptés du ciel ;

C’est un don détaché du trésor éternel,

Invisible lien des cieux avec la terre,

Qui pour un cœur aimant n’est point une chimère

Interprète éloquent du plus pur sentiment,

La musique surtout parle à tout cœur ardent.

Pure dans son principe, elle ne sait point feindre ;

Du sublime au naïf elle sait tout dépeindre.

Dans ses Cantiques saints, David, prophète-roi,

Empruntait ses accents pour célébrer la foi.

Pour chaque élan de l’âme elle trouve un langage,

D’un passé qui n’est plus fait revivre l’image,

Si déjà dans ce monde on se sent transporté

D’un sentiment d’extase aux anges emprunté,

Ah ! que sera-ce alors que l’âme libérée

De l’entrave terrestre, au haut de l’Empyrée,

À jamais entendra les sublimes accents

Des Puissances du ciel, leurs hymnes et leurs chants :

Ce cantique éternel, entonné par des anges

Qui d’un Dieu de bonté célèbrent les louanges !

 

C’est alors que notre âme aura vraiment conçu

Ce que l’œil n’a point vu, ni l’oreille perçu,

L’ineffable harmonie au ciel élaborée,

Et par le Tout-Puissant aux élus réservée.

Ah ! livre-toi, mon âme, à ce divin plaisir ;

Qu’en l’élevant sans cesse il t’aide à conquérir

Les uniques trésors que Dieu nous abandonne :

L’innocence sur terre, au ciel une couronne !

Prince Nicolas Boris Galitzin (1794-1866) - prince russe, musicien - Hymne à la musique 
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15 mai 2024 3 15 /05 /mai /2024 16:48


Alphonse de Lamartine (1790-1869) poète, romancier, dramaturge et historien français. 

Harmonies poétiques et religieuses

 

 

La Harpe de Cantiques

 

Seconde voix du cœur qui pleure,

 Larme sonore du saint lieu,

 Poésie, harpe intérieure,

 Seule langue qui parle à Dieu !


 
 Ce roi de la lyre divine,

 À qui le Seigneur en fit don,

 Te pressait contre sa poitrine

 Pour lui dire, Grâce, ou Pardon ! 


  
 Ah ! sur tes cordes attendries

 Toute âme humaine a son accent.

 La terre fume quand tu pries ;

 Quand tu chantes, le ciel descend ! 
 

Alphonse de Lamartine (1790-1869) poète, romancier, dramaturge et historien français - La Harpe de Cantiques
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14 mai 2024 2 14 /05 /mai /2024 22:34

 

 

André Chénier (1762-1794) poète et journaliste français 

recueil Les Bucoliques (1819)

un éloge funèbre sur la beauté et la fragilité de l'existence.

 


La jeune Tarentine 


Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés,

Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez.

Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine.

Un vaisseau la portait aux bords de Camarine.

Là l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement,

Devaient la reconduire au seuil de son amant.

Une clef vigilante a pour cette journée

Dans le cèdre enfermé sa robe d'hyménée

Et l'or dont au festin ses bras seraient parés

Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.

Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,

Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles

L'enveloppe. Étonnée, et loin des matelots,

Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots.

 

Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine.

Son beau corps a roulé sous la vague marine.

Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher

Aux monstres dévorants eut soin de le cacher.

Par ses ordres bientôt les belles Néréides

L'élèvent au-dessus des demeures humides,

Le portent au rivage, et dans ce monument

L'ont, au cap du Zéphir, déposé mollement.

Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes,

Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,

Toutes frappant leur sein et traînant un long deuil,

Répétèrent : "Hélas !" autour de son cercueil.

Hélas ! chez ton amant tu n'es point ramenée.

Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée.

L'or autour de tes bras n'a point serré de nœuds.

Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux.
 

Illustration de Arthur Rackham.

Illustration de Arthur Rackham.

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14 mai 2024 2 14 /05 /mai /2024 22:15

 

 

André Chénier (1762-1794) poète et journaliste français 

 


Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre - 


Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre

Anime la fin d'un beau jour,

Au pied de l'échafaud j'essaye encor ma lyre.

Peut-être est-ce bientôt mon tour ;

Peut-être avant que l'heure en cercle promenée

Ait posé sur l'émail brillant,

Dans les soixante pas où sa route est bornée,

Son pied sonore et vigilant,

Le sommeil du tombeau pressera ma paupière !

Avant que de ses deux moitiés

Ce vers que je commence ait atteint la dernière,

Peut-être en ces murs effrayés

Le messager de mort, noir recruteur des ombres,

Escorté d'infâmes soldats,

Remplira de mon nom ces longs corridors sombres.
 

André Chénier (1762-1794) - poète et journaliste français - Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre - 
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14 mai 2024 2 14 /05 /mai /2024 21:52

 

 

André Chénier (1762-1794) poète et journaliste français 

Bucoliques. et Idylles

 

XVII

Un berger poète dira :


Mes chants savent tout peindre ; accours, viens les entendre.

Ma voix plaît, Astérie, elle est flexible et tendre.

Philomèle, les bois, les eaux, les pampres verts,

Les muses, le printemps, habitent dans mes vers.

Le baiser dans mes vers étincelle et respire.

La source aux pieds d’argent qui m’arrête et m’inspire

Y roule en murmurant son flot léger et pur.

Souvent avec les cieux il se pare d’azur.

Le souffle insinuant, qui frémit sous l’ombrage.

Voltige dans mes vers comme dans le feuillage.

Mes vers sont parfumés et de myrte et de fleurs.

Soit les fleurs dont l’été ranime les couleurs,

Soit celles que seize ans, été plus doux encore,

Sur une belle joue ont l’art de faire éclore.
 

Pierre Puvis de Chavannes  (1824–1898)  Le bois des Muses

Pierre Puvis de Chavannes (1824–1898) Le bois des Muses

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14 mai 2024 2 14 /05 /mai /2024 21:43

 

 

André Chénier (1762-1794) poète et journaliste français 

Bucoliques et Idylles 

XI

 


Bacchus
 
Viens, ô divin Bacchus, ô jeune Thyonée,

Ô Dionyse, Évan, Iacchus et Lénée ;

Viens, tel que tu parus aux déserts de Naxos

Quand tu vins rassurer la fille de Minos.

Le superbe éléphant, en proie à ta victoire,

Avait de ses débris formé ton char d’ivoire.

De pampres, de raisins mollement enchaîné,

Le tigre aux larges flancs de taches sillonné,

Et le lynx étoilé, la panthère sauvage,

Promenaient avec toi ta cour sur ce rivage.

L’or reluisait partout aux axes de tes chars.

Les Ménades couraient en longs cheveux épars

Et chantaient Évoé, Bacchus et Thyonée,

Et Dionyse, Évan, Iacchus et Lénée,

Et tout ce que pour toi la Grèce eut de beaux noms.

Et la voix des rochers répétait leurs chansons,

Et le rauque tambour, les sonores cymbales,

Les hautbois tortueux, et les doubles crotales

Qu’agitaient en dansant sur ton bruyant chemin

Le faune, le satyre et le jeune Sylvain,

Au hasard attroupés autour du vieux Silène,

Qui, sa coupe à la main, de la rive indienne,

Toujours ivre, toujours débile, chancelant,

Pas à pas cheminait sur son âne indolent.
 

Le Triomphe de Bacchus, vers 1655, Michaelina Wautier

Le Triomphe de Bacchus, vers 1655, Michaelina Wautier

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14 mai 2024 2 14 /05 /mai /2024 21:33

 

 

Johann Wolfgang von Goethe (1749- 1832) poète, romancier, dramaturge, théoricien de l’art et homme d’État allemand 

Traduit par Gérard de Nerval (1808-1855) poète, conteur, auteur dramatique, 


La puissance du chant

par Goethe


Un torrent s’élance à travers les fentes des rochers et vient

avec le fracas du tonnerre. Des montagnes en débris suivent

son cours, et la violence de ses eaux déracine des chênes : le

voyageur étonné entend ce bruit avec un frémissement qui n’est

pas sans plaisir ; il écoute les flots mugir en tombant du

rocher, mais il ignore d’où ils viennent. Ainsi l’harmonie se

précipite à grands flots, sans qu’on puisse reconnaître les

sources d’où elle découle.

 

Le poète est l’allié des êtres terribles qui tiennent en main les

fils de notre vie : qui donc pourrait rompre ses nœuds magiques

et résister à ses accents ? Il possède le sceptre de Mercure,

et s’en sert pour guider les âmes : tantôt il les conduit dans le

royaume des morts ; tantôt il les élève, étonnées, vers le ciel,

et les suspend, entre la joie et la tristesse, sur l’échelle

fragile des sensations.

 

Lorsqu’au milieu d’un cercle où règne la gaieté, s’avance tout à

coup, et tel qu’un fantôme, l’impitoyable destin : alors tous les

grands de la terre s’inclinent devant cet inconnu qui vient d’un

autre monde ; tout le vain tumulte de la fête s’abat, les

masques tombent, et les œuvres du mensonge s’évanouissent

devant le triomphe de la vérité.

 

De même, quand le poëte prélude, chacun jette soudain le

fardeau qu’il s’est imposé, l’homme s’élève au rang des esprits

et se sent transporté jusqu’aux voûtes du ciel : alors il

appartient tout à Dieu, rien de terrestre n’ose l’approcher, et

toute autre puissance est contrainte à se taire. Le malheur n’a

plus d’empire sur lui ; tant que dure la magique harmonie, son

front cesse de porter les rides que la douleur y a creusées.

 

Et comme après de longs désirs inaccomplis, après une

séparation longtemps mouillée de larmes, un fils se jette enfin

dans le sein de sa mère, en le baignant des pleurs du repentir ;

ainsi l’harmonie ramène toujours au toit de ses premiers jours,

au bonheur pur de l’innocence, le fugitif qu’avaient égaré des

illusions étrangères, elle le rend à la nature, qui lui tend les

bras pour réchauffer son génie glacé par la contrainte des

règles.


 

Johann Wolfgang von Goethe (1749- 1832) poète, romancier, dramaturge, théoricien de l’art - La puissance du chant
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