Claude-Joseph Dorat (1734 -1780) écrivain français
L’opéra
chant troisième
Descends, viens m’inspirer, savante Polymnie,
Viens m’ouvrir les trésors de l’auguste harmonie.
Tu m’exauces : déjà tous les chantres des bois,
Te saluant en chœur, accompagnent ma voix.
L’onde de ces ruisseaux plus doucement murmure :
Zéphir plus mollement frémit sous la verdure.
Les roseaux de Syrinx, changés en instrument,
Vont moduler des airs sous les doigts d’un amant.
Cet arbuste est plaintif, cette grotte sonore :
La parole n’est plus, et retentit encore.
Dans le calme enchanteur d’un loisir studieux,
Ô déesse ! J’entends la musique des cieux.
La terre a ses accens, et les airs lui répondent ;
Les astres dans leurs cours jamais ne se confondent.
Les mondes, entraînés par leurs ressorts secrets,
Toujours en mouvement, ne se heurtent jamais.
Paroissant opposés, ils ont leur sympathie :
Dans l’accord général, chacun a sa partie ;
Et les êtres unis par ton art créateur,
Forment un grand concert, digne de leur auteur.
Mais daigne enfin, quittant cette sphere hardie,
Assigner des leçons à notre mélodie.
De la scene lyrique, objet de mes travaux,
Étale à mes regards les magiques tableaux.
Dis-moi par quels secours, le chant, plein de ta flame,
Peut s’ouvrir par l’oreille un chemin jusqu’à l’ame ;
Ce qu’il doit emprunter, pour accroître son feu,
De l’esprit, de la force, et des graces du jeu.
Vous qui sur ce théatre oserez vous produire,
Reçûtes-vous des traits assortis pour séduire ?
N’allez point, sur la scene usurpant un autel,
Faire huer un dieu sous les traits d’un mortel.
Le monde où vous entrez est peuplé de déesses :
L’amour, en folâtrant, y choisit ses prêtresses.
Avec des traits flétris, un teint jaune et plombé,
Pourrez-vous, sans rougir, prendre le nom d’Hébé ?
D’un œil indifférent verrai-je une mulâtre
Appliquer à Vénus sa couleur olivâtre ;
Dans un char transparent, par des cignes traîné,
Fendre les airs, aux yeux de Paphos étonné,
Et rappeller en vain cet enfant volontaire,
Qui s’est allé cacher à l’aspect de sa mere ?
Que Flore à mes regards n’ose jamais s’offrir,
Sans me faire envier le bonheur de zéphir.
Sa bouche au doux souris, doit être aussi vermeille
Que les boutons de rose, épars dans sa corbeille.
L’amante de Titon, pour fixer nos amours,
Doit avoir la fraîcheur du matin des beaux jours ;
Et sous les pampres verds dont Bacchus se couronne,
Le plaisir doit briller dans les yeux d’érigone.
Que la taille et le port soient toujours adaptés
Aux rôles différens que vous représentez.
Des colosses hautains, dont l’amour fuit les traces,
Pourront-ils badiner sous le corset des graces ?
La naine pourra-t-elle, avec l’air enfantin,
Me retracer Pallas une lance à la main ?
Et l’orgueil menaçant d’une reine en colere
Conviendra-t-il au front d’une simple bergere ?
Sachez, quand il le faut, varier votre ton,
Sévere dans Diane, emporté dans Junon.
Vous sur-tout qui voulez, dans vos fureurs lyriques,
Ressusciter pour nous ces paladins antiques,
Tous ces illustres fous, ces héros fabuleux ;
Soyez, à nos regards, gigantesques comme eux.
C’est peu de m’étaler une jeunesse aimable ;
Je hais un Amadis, s’il n’est point formidable.
Quand Roland déracine, en ses fougueux accès,
Ces chênes orgueilleux, ornemens des forêts,
Je veux que, déployant une haute stature,
Il enrichisse l’art des dons de la nature.
S’il n’en impose point à l’œil du spectateur,
Si je ne confonds point le modele et l’acteur,
D’un tableau sans effet bientôt je me détache ;
Je ne vois qu’un enfant caché sous un panache,
Et dont le foible bras, fidele à sa leçon,
Renverse avec fracas des arbres de carton.
En vain son œil menace, et sa main est armée ;
Je cherche le héros, et je ris du pygmée.
Par la seule raison mon esprit enchanté,
Cherche dans le prestige un air de vérité.
Pour nous rendre les traits d’Adonis ou d’Alcide,
Le genre de vos voix peut vous servir de guide.
Des sons frêles et doux seroient choquans et faux,
Dans la bouche du dieu qui gourmande les flots.
Ces organes sont faits pour briller dans des fêtes ;
C’est d’un ton foudroyant que l’on parle aux tempêtes.
Quand les vents déchaînés mugissent une fois,
Ils ne s’appaisent point avec des ports de voix ;
Et Jupiter-lui même, armé de son tonnerre,
Se verroit, dans sa gloire, insulté du parterre,
S’il venoit, s’annonçant par un timbre argentin,
Prononcer en fausset les arrêts du destin.
Mais c’est peu de la voix, c’est peu de la figure,
Si vous ignorez l’art d’achever l’imposture,
De parer ces présens, d’y joindre l’action,
Et cette vérité, d’où naît l’illusion.
Dans ce ressort trop dur mettez plus de mollesse :
Ces muscles trop tendus ont besoin de souplesse.
La grace et la beauté d’un athlete vainqueur
Sont dans l’usage adroit de sa mâle vigueur.
Faites-vous, il le faut, une secrete étude
De chaque mouvement et de chaque attitude.
Instruits par la nature, apprenez à l’orner ;
Sur le théatre enfin sachez vous dessiner.
C’est par là que Chassé régna sur votre scene,
Et partage le trône où s’assied Melpomene.
Prête à favoriser vos utiles efforts,
La peinture a pour vous déroulé ses trésors.
Des grands maîtres de l’art consultez les ouvrages,
Voyez-y nos héros vivre dans leurs images.
L’un, pâlissant de rage, arrachant ses cheveux,
Semble frapper la terre, et maudire les cieux :
L’autre, plus recueilli dans ses sombres alarmes,
De son œil consterné laisse tomber des larmes.
Ici, c’est un amant, vengeant ses feux trahis :
Là, c’est un pere en pleurs, qui réclame son fils.
Dans sa noble fureur, voyez comment Achille
Est fier et menaçant, quoiqu’il reste immobile.
Quelle ame dans ce calme et quel emportement !
Chaque fibre, à mes yeux, exprime un sentiment.
Mais auprès de Vénus cherche en vain son audace :
La fureur disparoît, et l’amour la remplace.
Entre des bras d’albâtre à tout moment pressé,
Sur le sein qu’il caresse il languit renversé ;
Son regard est brûlant, son ame est éperdue :
Aux levres de Cypris sa bouche est suspendue ;
Et de son œil guerrier, où brillent les desirs,
Coulent ces pleurs si doux, que l’on doit aux plaisirs.
Raphaël et Rubens ont droit à votre hommage :
C’est quand l’acteur peint bien qu’il nous plaît davantage.
Lorsqu’un chantre fameux, une lyre à la main,
Exerçoit des accords le pouvoir souverain,
Et par une harmonie, ou belliqueuse ou tendre,
Maîtrisoit le génie et l’ame d’Alexandre,
Échauffoit ses transports, l’enivroit tour-à-tour
De douleur, de plaisir, de vengeance et d’amour,
Lui faisoit à son gré prendre ou quitter les armes,
Pousser des cris de rage, ou répandre des larmes ;
Rallumoit sa fureur contre Persépolis,
Ou le précipitoit sur le sein de Thaïs,
Puis-je croire qu’alors un front plein d’énergie,
De ces divers accens n’aidât point la magie ?
Les regards de l’Orphée, altiers, sombres touchans
Peignoient les passions, mieux encor que ses chants ;
Dans tous ses mouvemens respiroit le délire :
Son geste, son visage accompagnoit sa lyre,
Et de son action l’éloquente chaleur
Transmettoit à ses sons la flamme de son cœur.
L’organe le plus beau, privé de cette flame,
Forme un stérile bruit qui ne va point à l’ame.
Que l’organe pourtant ne soit point négligé.
Cet utile ressort veut être dirigé.
La nature le donne, et l’art sait le conduire,
L’affoiblir ou l’enfler, l’étendre ou le réduire.
Insinuant et doux, quand il faut demander,
Terrible et véhément, quand il faut commander ;
Sourd dans le désespoir, sonore dans la joie,
Tantôt il se renferme et tantôt se déploie.
Le ton est tyrannique ; il s’y faut asservir ;
Mais les inflexions doivent vous obéir.
Selon que l’ame souffre ou que l’ame est contente,
L’inflexion doit suivre ou vive ou gémissante.
Des sons autour de nous éclatent vainement ;
Leur plus douce magie est dans le sentiment :
Le sentiment fait tout, c’est lui qui me réveille,
Par lui l’ame est admise au plaisir de l’oreille ;
Et je place l’acteur, privé d’un si beau don,
Au-dessous du fluteur instruit par Vaucanson.
Notre goût, plus superbe avec plus de justesse,
De nos récitatifs accuse la tristesse ;
Ces modulations, dont le refrein glacé
Semble un hymne funebre au sommeil adressé.
Le vrai récitatif, sans appareil frivole,
Doit marcher, doit voler, ainsi que la parole.
Pour lier l’action ce langage est formé,
Et veut être chanté, bien moins que déclamé.
Pourquoi donc tous ces cris, ces inflexions lourdes,
Ces accens prolongés sur des syllabes sourdes,
Ces froids glapissemens, qu’on se plaît à filer ?
Cessez de m’étourdir, quand il faut me parler.
Quittez cet attirail, cette insipide emphase,
L’écueil de notre chant, loin d’en être la base ;
Et ne vous piquez plus du fol entêtement
D’endormir le public mélodieusement.
La célebre Le Maure, honneur de votre scene,
Asservissoit Euterpe aux loix de Melpomene.
Elle phrasoit son chant, sans jamais le charger :
Ce qui languissoit trop, elle osoit l’abréger.
Ce long récitatif, où l’auditeur sommeille,
Fixoit l’esprit alors, en caressant l’oreille ;
Et le drame lyrique, aujourd’hui si traînant,
Avec légéreté couroit au dénoûment.
Réservez, réservez la pompe musicale,
Pour ces morceaux marqués, où l’organe s’étale,
Où l’ame enfin s’échappe en sons plus véhémens,
Et donne un libre essor à tous ses sentimens.
Mais parmi les écarts d’une voix moins timide,
Que le motif de l’air soit toujours votre guide.
C’est ainsi qu’un sculpteur, à qui l’art est connu,
Sous le voile toujours fait soupçonner le nu.
Dans ce fracas lyrique, et ce brillant délire,
Par un maintien forcé n’apprêtez point à rire.
Craignez de vous borner à des sons éclatans ;
Et gardez que vos bras, suspendus trop long-tems,
Comme deux contrepoids qu’en l’air un fil balance,
Attendent, pour tomber, la fin d’une cadence.
Sans doute par le chant vous devez nous charmer ;
Mais c’est au jeu sur-tout que je veux vous former.
Toi, qui veux t’emparer des rôles à baguette,
Si tu n’as pour talent qu’une audace indiscrette,
Pourras-tu, l’œil en feu, bouleverser les airs,
Faire pâlir Hécate, enfler le sein des mers,
Et perçant de Pluton le ténébreux domaine,
À tes dragons ailés parler en souveraine ?
Tes yeux me peindront-ils la rage et la douleur ?
Pour évoquer l’enfer, il faut de la chaleur.
Ne va point imiter ces sorcieres obscures,
Qui n’ont rien d’infernal, si ce n’est leurs figures ;
Menacent sans fureur, s’agitent sans transport,
Et dont le moindre geste est un pénible effort.
Sisyphe, à leur aspect, et transit et succombe :
De ses doigts engourdis sa roche échappe, tombe ;
Et l’ardent Ixion, surpris de frissonner,
Sur son axe immobile a cessé de tourner.
Il faut que, dans son jeu, la redoutable Armide
M’attendrisse à la fois, m’échauffe et m’intimide.
Dans ces rians jardins Renaud est endormi,
Ce n’est plus ce guerrier, ce superbe ennemi,
Ombragé d’un panache et caché sous des armes ;
C’est Adonis qui dort, protégé par ses charmes.
Armide l’apperçoit, jette un cri de fureur,
S’élance, va percer son inflexible coeur…
Ô changement soudain ! Elle tremble, soupire,
Plaint ce jeune héros, le contemple et l’admire.
Trois fois, prêt à frapper, son bras s’est ranimé,
Et son bras qui retombe est trois fois désarmé.
Son courroux va renaître et va mourir encore :
Elle vole à Renaud, le menace, l’adore,
Laisse aller son poignard, le reprend tour-à-tour ;
Et ses derniers transports sont des transports d’amour.
Que ces emportemens sont mêlés de tendresse !
Quel contraste frappant de force et de foiblesse !
Que de soupirs brûlans ! Que de secrets combats !
Que de cris et d’accens, qui ne se notent pas !
À l’ame seule alors il faut que j’applaudisse :
La chanteuse s’éclipse, et fait place à l’actrice.
Il échappe souvent des sons à la douleur,
Qui sont faux à l’oreille et sont vrais pour le cœur.
Quand de Psyché mourante au milieu de l’orage,
Arnould les yeux en pleurs me vient offrir l’image,
Et frémit sous la nue, où brillent mille éclairs,
Puis-je entendre sa voix, dans le fracas des airs ?
J’aime à voir son effroi lorsque la foudre gronde,
Et ses regards errans sur les gouffres de l’onde ;
Ses sons plaintifs et sourds me pénetrent d’horreur,
Et son silence même ajoute à ma terreur.
Grace à l’illusion, je sens trembler la terre ;
Cet airain, en roulant, me semble un vrai tonnerre :
Ces flots que l’art souleve et sait assujettir,
Sont des flots écumans, tout prêts à l’engloutir ;
Et lorsque le flambeau des pâles euménides
Éclaire son désordre et ses graces timides,
J’éprouve sa frayeur, je frissonne, et je croi
Entendre tout l’enfer rugir autour de moi.
Telle est du grand talent la puissante féerie ;
Il rend tout vraisemblable, il donne à tout la vie ;
Il anime la scene, et, pour dicter des loix,
À peine a-t-il besoin du secours de la voix.
À ces divers effets comment pourroit prétendre
Celle qui, sur la scene affectant un air tendre,
Sensible par corvée, et folle par état,
Quand son air est chanté, sourit au premier fat,
Provoque les regards, va mendier l’éloge
De ce jeune amateur endormi dans sa loge ;
Et le cœur gros encor, l’œil de larmes trempé,
Arrange, en minaudant, tout le plan d’un soupé ?
Que jamais votre esprit ne soit hors de la scene,
Que votre œil au hasard jamais ne se promene.
Oubliez des balcons ces muets entretiens ;
Vos regards sont distraits, ils détournent les miens.
Mais vous qui, dans nos chœurs prétendus harmoniques,
Venez nous étaler vos masses organiques,
Et circulairement rangés en espalier,
Detonnez de concert pour mieux nous ennuyer ;
Vous verrai-je toujours, l’esprit et le cœur vuides,
Hurlant, les bras croisés, vos refrains insipides ?
Vous est-il défendu de peindre dans vos yeux,
Ou la tristesse sombre, ou les folâtres jeux ?
Pour célébrer Vénus, Cérès, Flore et Pomone,
Lorsque le tambourin autour de vous résonne,
Sous des berceaux de fleurs lorsque d’heureux amans
Entrelacent leur chiffre, et gravent leurs sermens,
Ou que l’ardent vainqueur de l’Indus et du Gange,
Une coupe à la main, préside à la vendange ;
Quand tout est rayonnant du feu de la gaîté,
De quel œil soutenir votre immobilité ?
Vous gâtez le tableau qui par vous se partage ;
De grace, criez moins, et sentez davantage ;
Et que l’on puisse enfin, sur vos fronts animés,
Trouver le sens des vers, par la voix exprimés…
La scene s’embellit : sur des bords solitaires,
Je vois se réunir des grouppes de bergeres.
Des bergers amoureux ont volé sur leurs pas ;
Apollon les appelle à d’aimables combats.
Des guirlandes de fleurs ont paré ces musettes.
Cent touffes de rubans décorent ces houlettes :
Déjà de l’art du chant on dispute le prix,
Les juges sont églé, Silvanire, Cloris ;
C’est dans leurs jeunes mains que brille la couronne,
C’est le goût qui l’obtient, et l’amour qui la donne.
Le goût fut ton génie, ô toi, chantre adoré,
Toi, moderne Linus, par lui-même inspiré !
Que j’aimois de tes sons l’heureuse symmétrie,
Leur accord, leur divorce et leur économie !
Organe de l’amour auprès de la beauté,
Tu versois dans les cœurs la tendre volupté.
L’amante en vain s’armoit d’un orgueil inflexible ;
Elle couroit t’entendre, et revenoit sensible.
Plus d’une fois le dieu qui préside aux saisons,
Qui fait verdir les prés, et jaunir les moissons,
Las du céleste ennui, jaloux de nos hommages,
Sous les traits d’un berger parut dans nos bocages :
Sous ces humbles dehors, heureux et caressé,
Il retrouva les cieux dans les regards d’Issé ;
Et goûtant de deux cœurs la douce sympathie,
Fut dieu plus que jamais dans les bras de Clithie.
C’est lui sans doute encor qui vient, changeant d’autels,
Amuser sous tes traits, et charmer les mortels.
Vous, qui voulez sortir de la foule profane,
Comme lui cultivez et domptez votre organe ;
Corrigez-en les tons aigres, pesans ou faux ;
En graces, comme lui, transformez vos défauts.
Prétendez-vous m’offrir le lever de l’aurore ?
Que votre foible voix par degré semble éclore,
Et soudain déployée en sons vifs et brillans,
Me retrace du jour les feux étincelans.
De l’amour qui gémit qu’elle exprime les peines,
Se joue avec ses traits, et roule avec ses chaînes.
Peignez-vous un ruisseau ? Que vos sons amoureux
Coulent avec ses flots, et murmurent comme eux.
Répandez sur vos tons une aimable mollesse :
D’un organe d’airain soumettre la rudesse
À chanter les plaisirs et les ris ingénus,
C’est donner à Vulcain l’écharpe de Vénus.
Tel acteur s’applaudit et se croit sûr de plaire,
Qui d’une voix tonnante aborde une bergere.
À peine dans son art il est initié,
Et c’est en mugissant qu’il me peint l’amitié.
Mettez dans votre chant d’insensibles nuances ;
Des airs lents ou pressés marquez les différences.
Ce passage est frappant et veut de la vigueur :
Là, que l’inflexion expire avec langueur,
Et que par le succès votre voix enhardie
Ajoute, s’il se peut, à notre mélodie.
Divine mélodie, ame de l’univers,
De tes attraits sacrés viens embellir mes vers.
Tout ressent ton pouvoir ; sur les mers inconstantes
Tu retiens l’aquilon dans les voiles flottantes.
Tu ravis, tu soumets les habitans des eaux,
Et ces hôtes ailés qui peuplent nos berceaux.
L’amphion des forêts, tandis que tout sommeille,
Prolonge en ton honneur son amoureuse veille,
Et seul sur un rameau, dans le calme des nuits,
Il aime à moduler ses douloureux ennuis.
Tes loix ont adouci les mœurs les plus sauvages ;
Quel antre inhabité, quels horribles rivages
N’ont pas été frappés par d’agréables sons ?
Le plus barbare écho répéta des chansons.
Dès qu’il entend frémir la trompette guerriere,
Le coursier inquiet leve sa tête altiere,
Hennit, blanchit le mords, dresse ses crins mouvans,
Et s’élance aux combats, plus léger que les vents.
De l’homme infortuné tu suspends la misere,
Tu rends le travail doux, et la peine légere.
Que font tant de mortels en proie aux noirs chagrins,
Et que le ciel condamne à souffrir nos dédains ?
Le moissonneur actif que le soleil dévore,
Le berger dans la plaine errant avant l’aurore ?
Que fait le forgeron soulevant ses marteaux ?
Le vigneron brûlé sur ses ardens côteaux ?
Le captif dans les fers, le nautonnier sur l’onde,
L’esclave enseveli dans la mine profonde,
Le timide indigent dans son obscur réduit ?
Ils chantent : l’heure vole, et la douleur s’enfuit.
Jeune et discret amant, toi qui, dans ton ivresse,
N’as pu fléchir encor ton injuste maîtresse :
Dans le mois qui nourrit nos frêles rejetons,
Et voit poindre les fleurs à travers leurs boutons,
Sur la scene des champs n’oses-tu la conduire ?
La nature est si belle à son premier sourire !
Qu’avec toi ton églé contemple ces tableaux,
Et l’émail des vallons, et l’argent des ruisseaux :
Dans cet enchantement, que sa main se repose
Sur ce frais velouté qui décore la rose ;
Qu’elle puisse à longs traits en respirer l’odeur :
Le plaisir de ses sens va passer dans son cœur.
Si de tous ces attraits elle osoit se défendre,
Joins-y la volupté d’un chant flexible et tendre :
Tu l’entendras bientôt en secret soupirer…
Et je laisse à l’amour le soin de t’éclairer.
L’art des sons n’est que l’art d’émouvoir et de plaire ;
C’est le plus doux secret pour vaincre une bergere :
Mais bannissez l’apprêt ; il nous glace ; et le chant,
S’il est maniéré, cesse d’être touchant.
Évitez avec soin la molle afféterie ;
Qu’avec légéreté votre voix se varie.
Jaloux de l’embellir, craignez de la forcer ;
Un organe contraint ne peut intéresser.
Soyez vrai, naturel, c’est la premiere grace,
Et celle qu’on poursuit dégénere en grimace.
Pour illustrer votre art, respectez dans vos jeux
Le palais des héros et le temple des dieux.
Du trône où siege Euterpe il ne faut point descendre.
Sans indignation puis-je voir, puis-je entendre
Naziller Arlequin, grimacer Pantalon,
Où tonnoit Jupiter, où chantoit Apollon ?
En secret indigné que sa scene avilie
Se fût prostituée aux bouffons d’Italie ;
Que le françois, trompé par un charme nouveau,
Eût pour leurs vains fredons abandonné Rameau ;
Ce dieu voulut punir ce transport idolâtre,
Et chargeant d’un carquois ses épaules d’albâtre,
Les yeux étincelans, la fureur dans le sein,
Aux antres de Lemnos il descend chez Vulcain.
L’immortel, tout noirci de feux et de fumée,
Attisoit de ses mains la fournaise allumée ;
Mais il ne forgeoit plus ces instrumens guerriers,
Ces tonnerres de Mars, ces vastes boucliers,
Où l’air semble fluide, où l’onde dans sa sphere
Coule, et sert mollement de ceinture à la terre.
L’enclume retentit sous de plus doux travaux ;
Il y frappe des dards pour l’enfant de Paphos.
Vulcain, dit Apollon, on profane mon culte ;
Sur mes autels souillés chaque jour on m’insulte.
Venge-moi. Tout-à-coup dans les bruyans fourneaux
Des cyclopes ailés allument cent flambeaux ;
Ils volent, et déjà leur cohorte enhardie
Sur les faîtes du temple a lancé l’incendie.
Le croissant de Phébé, la conque de Cypris,
La guirlande de Flore et l’arc brillant d’Iris,
Des champs élisiens l’immortelle parure,
Les zéphirs, les ruisseaux, les fleurs et la verdure,
Les superbes forêts, les rapides torrens,
Du souverain des mers les palais transparens,
Hélas, tout est détruit ! On parcourt les ruines :
Là chantoient les plaisirs et les graces badines.
Le Mierre, prodigant les charmes de sa voix,
Là, disputoit le prix aux sirenes des bois :
Ici l’aimable Arnould exerçoit son empire,
Et nous intéressoit aux pleurs de Télaïre.
Euterpe cependant, pour nous dicter ses loix,
Rentre dans son asyle, et reprend tous ses droits.
Rameau, le sceptre en main, éclipse Pergolese :
Le goût a reparu : le dieu du jour s’appaise,
Et son ressentiment nous poursuivroit encor,
Si la scene à ses yeux n’eût remontré Castor.