13 mai 2024 1 13 /05 /mai /2024 21:02

 

 

 

Charles de Saint-Évremond, seigneur de Saint-Denis et de Saint-Ébremond (1614 -1703) moraliste et critique libertin français.


Œuvres mêlées


À M. Lulli


À Lulli seul le monde est redevable

De l’opéra dont on est enchanté ;

Rome n’a rien qui lui soit comparable,

Et tout Venise en est déconcerté.

Il nous réduit à chercher, dans la fable,

Un demi-dieu dont le charme est vanté.

Là, son Orphée, à jamais vénérable,

Demande au ciel, pour sa félicité,

Que par Lulli, ce maître inimitable,

Soit son mérite et décrit et chanté.

Si ce qu’on dit d’Orphée est véritable,

Il sut fléchir une divinité,

Jusques alors trouvée inexorable.

À son retour du lieu tant redouté,

Et l’ours affreux et le tigre implacable

Se dépouilloient de leur férocité ;

L’arbre qu’on vit le plus inébranlable,

Perdant alors son immobilité,

Suivoit Orphée : à son chant lamentable,

Il n’étoit plus d’insensibilité.

L’accent plaintif d’un amant misérable,

Par les échos tendrement répété,

À sa douleur rendoit tout pénétrable ;

Un deuil lugubre avoit tout infecté.

L’air du malheur, rendu communicable,

De sa noirceur avoit tout attristé ;

Tout s’affligeoit avec l’inconsolable.

On t’auroit vu bien plus de fermeté

Que n’eut Orphée, en son art déplorable.

Perdre sa femme est une adversité ;

Mais ton grand cœur auroit été capable

De supporter cette calamité.

En tout, Lulli, je te tiens préférable ;

Et chaque jour qu’on a représenté,

N’as-tu pas fait chose plus incroyable,

Que le miracle en mes vers raconté ?

Lorsqu’il te plaît, un rocher pitoyable

Se fond en pleurs malgré sa dureté ;

Le vent te prête un silence agréable ;

Des fiers torrents le cours est arrêté.

Lorsqu’il te plaît, un sommeil favorable

Donne aux tourments le repos souhaité ;

Et qui possède une douceur aimable,

Est, si tu veux, aussitôt agité.

Dans nos périls vient un dieu secourable ;

De nos péchés un autre est irrité :

Pluton te sert, de son gouffre effroyable ;

Les cieux, ouverts selon ta volonté,

Nous laissent voir le palais adorable,

Où Jupiter règne en sa majesté.

D’Orphée et de Lulli le mérite est semblable,

Je trouve cependant de la diversité,

Sur un certain sujet, assez considérable :

Si Lulli, quelque jour, descendoit aux enfers,

Avec un plein pouvoir de grâces et de peines :

Un jeune criminel sortiroit de ses fers,

Une pauvre Euridice y garderoit ses chaînes.

Orphée aux enfers  - Jacquesson de la Chevreuse

Orphée aux enfers - Jacquesson de la Chevreuse

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13 mai 2024 1 13 /05 /mai /2024 20:22

 

 

Tristan l'Hermite (1601-1655) gentilhomme et écrivain français.

La Lyre (1641)

 


XVI

Orphée

A Monsieur Berthod

 

Ordinaire de la Musique du Roi

Berthod, personne illustre en cet âge barbare

Où l'Ami véritable est un trésor si rare ;

Ami discret, fidèle, et digne de mon choix,

De qui l'esprit éclate aussi bien que la voix,

Et dont la merveilleuse et divine harmonie

A d'un feu tout céleste échauffé mon Génie.

Cesse de réveiller avec tant de beaux Airs

Echo qui se retire au fond de ces Déserts,

Et qui plaignant encor le trépas de Narcisse,

A besoin de repos plutôt que d'exercice.

Laisse dormir en paix les Nymphes de ces eaux

Qui couronnant leur front de joncs et de roseaux,

Sous le liquide argent de leurs robes superbes,

Dancent à tes chansons dessus l'émail des herbes.

Ne donne plus d'amour à la Reine des fleurs

Qui fait montre à tes yeux de ses vives couleurs,

Et qui prêtant l'oreille à ta voix qui l'attire,

Charge de ses odeurs les ailes de Zéphire.

Suspens cet art divin qui peut tout enchanter,

Et tiens la bouche close afin de m'écouter.

 

Comme le plus grand Roi qui soit en la Nature

S'est daigné divertir à faire ta peinture,

Et tirer ton Portrait de cette même main

Dont il a fait trembler l'Ibère et le Germain :

Je veux par un labeur qui dépite les Parques

De notre amitié sainte éterniser les marques

Et graver ton mérite et ton nom dans ces vers,

D'un soin qui les conserve autant que l'Univers.

Je veux chanter l'effet que la Fable ancienne

Raconte d'une voix moins belle que la tienne :

Je veux dépeindre ici d'une vive couleur,

Ce que tenta ce Chantre accablé de douleur

Qui rendit à ses Airs les marbres pitoyables,

Et fit dans les Enfers des progrès incroyables.

Mille petits Oiseaux serrant leurs plumes peintes,

Y deviennent muets pour entendre ses plaintes :

Là le Chardonneret, le Tarin, le Pinson

Ecoutent à l'envi cette docte leçon ;

Le Serin la médite, et l'aimable Linote

En forme en son idée une petite note.

Jamais le Rossignol, ce Chantre ingénieux,

Cet Atome sonnant, ce point harmonieux,

Qui mêle en ses motets un si rare artifice,

Contre ce Champion n'ose entrer dans la lice.

Là le Geai peu discret, se rend respectueux,

La Corneille y retient son cri tumultueux,

Et le Merle touché d'une douleur secrète,

Semble y porter le deuil de celle qu'on regrette.

La Chouette en leur troupe ose lever le front,

Et sans que sa laideur y reçoive d'affront ;

Car sa difformité, qui leur colère attise,

Auprès de cette Lyre est en lieu de franchise.

Il semble que l'aiguille ait fait adroitement

Ces animaux sans voix comme sans mouvement ;

Et parmi tous ceux-ci beaucoup d'Oiseaux de proie

Semblent aussi charmés, n'être faits que de soie.

Le Lanier qui soutient, superbe et généreux,

Voit lever des Pigeons et ne fond point sur eux :

L'Epervier au Moineau n'ose faire la guerre,

L'Autour et la Perdrix sont en paix sur la terre.

L'Oiseau de Jupiter, ce Monarque des airs

Qui tient la région d'où partent les éclairs,

Paraîst haut suspendu dans un profond silence

Sans faire à ses sujets aucune violence

Le Héron dessous lui plane d'un vol léger,

Et demeure sans crainte à l'ombre du danger.

Ainsi la Majesté d'une voix docte et belle,

Suspend la tyrannie et la peur naturelle ;

Et sous l'autorité de ses charmes puissants

Mille Peuples divers sont tous obéissants.

Mais cette loi parlante en cette aimable sorte

Maîtrise bien des coeurs de nature plus forte :

Si les hôtes de l'air respectent cette voix,

Ceux dont la cruauté déshonore les Rois

Et qui sur les troupeaux font de sanglants ravages,

Ne sont point en ce lieu plus fiers ni plus sauvages.

La Biche et le Chevreuil se trouvent sans danger

Près du Cervier cruel, et de l'Once léger ;

Le Lion dépouillant sa naturelle audace,

Souffre qu'auprès de lui le Taureau prenne place ;

L'indomptable Eléphant dans cette attention

Près du Rhinocéros n'a point d'émotion.

La Brebis et le Loup suivent cette harmonie,

L'un sans aucune peur, l'autre sans tyrannie,

Puisque durant l'excès d'un si charmant plaisir

Ni l'effroi, ni la faim ne les peuvent saisir.

La Bellette au combat peu devant attachée,

Laisse avecque l'Aspic sa victoire ébauchée ;

Et son fier ennemi par l'oreille enchanté

Quitte avec son venin son animosité.

 

Là se viennent coucher en diverse posture

Cent Animaux divers de forme et de nature :

La frauduleuse Hyène, et de qui la beauté

Sous un port innocent cache sa cruauté,

Le Cheval glorieux, symbole de la guerre,

Le Lynx aux yeux perçants, dont l'eau se change en pierre,

La Marmotte assoupie, et le Singe dispos,

Le Castor y fait voir sa longue pane rousse,

Le Porc-épic ses traits dont lui-même est la trousse,

Le Tigre y met au jour son beau gris argenté

Qu'avec art la Nature a si bien moucheté.

L'Ours y vient avouer que des douceurs pareilles

Ne se rencontrent point au séjour des Abeilles.

Le Sanglier y paraît dont le crochet fatal

A terrassé de Mars le glorieux Rival ;

L'on y voit arriver le Bison solitaire,

La docile Girafe et le laid Dromadaire.

Là le Caméléon qui change si souvent,

Se nourrit des beaux airs d'un Chantre si savant.

Là se vient présenter la Martre Zibeline,

Là, se laisse ravir la pure et blanche Hermine.

Le Chat, que la Lybie enfante en ses ardeurs,

Y fait profusion de ses bonnes odeurs ;

Le Griffon, de son Or, et l'aimable Licorne

Y donne pour tribut sa précieuse corne.

 

Voilà comme en ce lieu de sauvages sujets

Se laissent captiver à d'aimables objets,

Et conservent entre eux un respect incroyable,

Ployant également sous un chant pitoyable

Et voilà comrne Orphée allège un peu ses maux

Durant qu'il les partage à tous ces Animaux.

 

Un jour une Bacchante errant à l'aventure,

Un vagabond recueil de dons de la Nature ;

Qui même, avec Junon disputant de beauté,

Ne lui pouvoit céder que pour la majesté ;

Un Chef-d'oeuvre des Cieux, un Miracle visible,

Un objet adorable à tout sujet sensible,

Qui pouvait tout ravir, à qui tout semblait dû,

Donna dans ce filet parmi l'air étendu.

Cette jeune Beauté de Bacchus échauffée

Courut où résonnait la douce voix d'Orphée.

 

Sa taille haute et droite était pleine d'appâts,

Et comme sa fureur précipitait ses pas,

Sa jupe qui s'ouvrait au dessous de la hanche

Faisait voir à tous coups sa cuisse ronde et blanche.

Ses brodequins dorés faits délicatement,

Où l'on voyait de neuds un riche ajustement

En augmentait la grâce et donnait connaissance

Qu'elle ne venait pas d'une obscure naissance.

Entre ses belles mains un Thyrse elle tenait

Qu'un long et frais tissu de pampre environnait ;

Sa gorge étoit ouverte, où d'une force égale

Deux petits Monts de lait s'enflaient par intervalle.

Ses yeux étaient brillants, et ses jeunes regards

Lançaient innocemment des feux de toutes pars.

Sa bouche paraissoit comme un bouton de rose,

Petite, relevée, et n'était point si close

Dans cette émotion qu'on ne vit au dedans

Eclater la blancheur des perles de ses dents :

Cette bouche qu'Amour tient entre ses miracles

Qui d'esprit de Jasmin parfume ses Oracles.

Son poil comme elle errant, s'épanouit sans dessein

Tantôt sur son épaule et tantôt sur son sein ;

Et Zéphyr qui l'enflait de son haleine molle,

Y soulevait des flots tels que ceux du Pactole :

Mais dont l'aymable orgueil, ému de tous côtés,

Eût fait faire naufrage à mille libertés.

La voilà qui soupire aussitôt qu'elle approche

De cette résonnante et merveilleuse roche

Où se forment des sons assez mélodieux

Pour adoucir le coeur du plus cruel des Dieux.

Elle admire l'Auteur de la douce harmonie

Qui déjà dans son Ame étend sa tyrannie ;

Et bien qu'il soit d'ennuis et de pleurs suffoqué,

Assis dessus un banc dans le Roc pratiqué,

Et que rien que le tour d'un vert Laurier ne ceigne

Sa longue chevelure entre blonde et châtaigne,

Il passe en son esprit dès le premier regard

Pour un jeune Vainqueur triomphant sur un char.

Dieux ! quel charme secret se trouve en la Musique !

Cette Beauté que trouble une chaleur bachique,

Sent à ce rare objet chasser de son cerveau

Les épaisses vapeurs du bouillant vin nouveau,

Et contemplant Orphée avec trop de tendresse

Chancelle en un instant d'une plus belle ivresse.

Elle écoute sa plainte avec tant de plaisir,

Que déjà sa raison prend loi de son désir.

Son coeur abandonné de l'enfant de Sémelle,

Reçoit un autre enfant d'une humeur plus cruelle ;

Mais fût-il plus perfide, et plus cruel cent fois,

Elle est déterminée à recevoir ses lois.


Déjà l'Arrêt s'imprime en son âme charmée,

Qu'il faut soudain qu'elle aime et qu'elle soit aimée :

Son effréné désir souffre un mors importun,

Elle avance deux pas, puis elle en recule un,

Sa flamme à s'affranchir trouve de la contrainte,

Elle en rougit de honte, elle en pâlit de crainte,

S'efforce de parler jusqu'à deux ou trois fois ;

Et sentant rétrécir le canal de sa voix,

Diffère en cet état de la mettre en usage

Jusqu'à ce que l'amour augmente son courage.

A la fin s'approchant de ce beau Thracien

Qui fut pour son malheur si grand Musicien,

Elle lui dit ces mots pleins d'ardeur et de flamme :

"Cesse de regretter le trépas d'une femme,

Digne et Parfait Amant de qui les qualités

Donneraient de l'amour à des Divinités.

Une belle aventure aujourd'hui t'est offerte

Pour essuyer tes pleurs et réparer ta perte,

Si tu daignes porter ton esprit et tes yeux

Sur un nouveau présent qui t'est venu des Cieux.

Un légitime bruit me donne autant de charmes

Qu'en eut ce bel objet pour qui tu fonds en larmes :

Heureuse en mon Destin, s'ils sont assez puissants

Pour prendre à l'avenir l'Empire de tes sens".

A ces mots, elle met la main dessus sa Lyre

Qui l'assistait toujours à plaindre son martyre.

Mais lui, qui dans son mal ne peut goûter de bien,

La repousse du bras sans lui répondre rien.

Et tenant à rigueur ce devôt sacrifice,

Se remet à chanter l'obsèque d'Eurydice.

O dangereux effet d'un insolent mépris

Qui remplit de colère un coeur d'amour épris !

Jamais fière Tigresse aux forêts d'Arménie,

Ne fit voir tant d'ardeur et tant de félonie,

Alors qu'ayant suivi la piste du Chasseur,

Elle atteint de ses Faons le cruel ravisseur.

Jamais Aspic superbe aux beaux jours de l'année,

Ne fit voir tant de traits d'une rage obstinée

Alors que du Passant la vieille inimitié

A meurtri devant lui sa fidèle moitié.

Rien peut-il égaler la colère embrasée

D'une Beauté superbe, amante, et méprisée ?

Le dépit est si grand dont son coeur est atteint

Qu'il enflame à la fois et ses yeux et son teint ;

Elle s'en mord la lèvre avecque violence,

Gravant dans ce rubis son désir de vengeance.

Rien ne peut modérer ce furieux transport,

Déjà de ce qu'elle aime, elle a conclu la mort ;

Et déjà sur le champ la main de cette belle

Exécute sur lui sa sentence cruelle.

Son Thyrse en la poitrine elle veut lui cacher ;

Mais le coup détourné porte sur le Rocher,

Le bois vole en éclats, et la Nymphe avec larmes

Ne se voit point vengée et se trouve sans armes.

La terre en offre encore à son juste courroux,

Pour contenter sa rage elle prend des cailloux ;

Mais son bel ennemi n'en reçoit point d'offense

Car sa Lyre et sa voix armés pour sa défense

Suspendent chaque pierre, et par enchantement

La font devant ses pieds tomber tout doucement.

Lors la Nymphe enragée, au désespoir réduite,

De peur des Animaux à la fin prend la fuite ;

En blasphémant le Ciel et le coeur inhumain

Qu'elle n'a pu blesser des yeux ni de la main.

Quand cet homme fameux dont la Lyre et la voix

Attiraient après lui les Rochers et les Bois,

Suspendaient pour un temps le cours de la Nature,

Arrêtaient les Ruisseaux, empêchaient leur murmure,

Domptaient les Animaux d'un air impérieux,

Assûraient les craintifs, calmaient les furieux,

Et par une merveille inconnue à la Terre

Faisaient naître la paix où fut toujours la guerre.

Quand, dis-je, cet Amant eut accusé la mort,

Injurié les Cieux, les Astres et le Sort,

Et dit sur l'accident du trépas de sa femme

Tantôt avec louange, et tantôt avec blâme,

Tout ce que dans l'excès d'un semblable malheur

Lui purent inspirer l'amour et la douleur,

Il dressa le tombeau de sa chère Eurydice

Dessus un grand Rocher pendant en précipice,

Pour y passer sa vie et s'y plaindre toujours

Du cours infortuné de ses tristes amours.

Il ne prit avec lui que sa Lyre fidèle

Pour employer le temps à se plaindre avec elle :

Mais ce rare instrument qu'il sut si bien toucher,

De nouveaux ornements embellit son Rocher ;

Car le son merveilleux de ses cordes divines

Obligea les forêts d'enlever leurs racines,

Pour venir honorer de leur ombrage frais

Ce mortel si savant à faire des regrets.

A ses premiers accords on vit soudain paraître

Le Noyer, le Cormier, le Tilleul, et le Hêtre,

Le Chêne qui jadis couronnait le Vainqueur

D'une juste pitié s'y fendit jusqu'au coeur.

Le Cèdre impérieux y vint baisser la tête

Suivi du vert Laurier qui brave la tempête.

Le Palmier s'y pressa pour lui faire la Cour,

Cet exemple parfait de constance et d'amour,

Le Tremble y vint couvert de sa feuille timide,

Le Cyprès y parut en verte Pyramide :

Le Peuplier qui du Pô rend les bords honorés,

Le Coudre déceleur des trésors enterrés,

L'Arbre qu'aime Vénus, celui qu'aime Diane,

L'Erable, le Sapin, le Tamarin, le Plane,

Le Cycomore noir, le Saule pâlissant,

Le Bouleau chevelu, l'Aubépin fleurissant,

L'Abricotier qui porte une moisson sucrée,

La plante pacifique à Pallas consacrée ;

L'arbre délicieux qui produit les Pavis,

Le Grenadier chargé de ses tendres rubis :

Le Figuier, le Mûrier, dont le fruit agréable

Fut coloré de sang par un sort déplorable.

L'Oranger qui son fruit de sa fleur accompagne,

L'Encens, le Violier, et le Jasmin d'Espagne,

Attirés par le son de ses charmants accords,

Furent de la partie et ne firent qu'un Corps,

Tout alentour d'Orphée en ordre se rangèrent,

Et de son infortune ensemble s'affligèrent,

Se mettant en devoir d'adoucir ses ennuis

En lui venant offrir ou des fleurs ou des fruits.

 

Monarque redouté qui règnes sur les Ombres,

Je ne suis pas venu dessus ces rives sombres

Pour enlever ton Sceptre et me faire Empereur

De ces lieux pleins d'horreur.

 

En mon pieux dessein je n'ai point d'autres armes

Que les gémissements, les soupirs et les larmes,

Avec tous les ennuis dont peut être chargé

Un Amant affligé.

 

Aussi je ne descends dans ce grand précipice

Que pour te demander ma fidèle Eurydice

Que la Parque ravit à mes chastes amours,

En la fleur de ses jours.

 

O Dieux ! je la perdis en la même journée

Qui nous avait rangés sous le joug d'Hyménée ;

Au lieu d'entrer au lit, ce Chef-d'oeuvre si beau

Entra dans le Tombeau !

 

Cette jeune Beauté par les vertes campagnes,

S'égayait en courant avecque ses Compagnes,

Lors qu'elle rencontra l'Auteur de son trépas

Caché dessous ses pas.

 

Un serpent plus cruel que ceux de tes Furies,

Qui mêlait son émail à celui des prairies,

D'un trait envenimé la mit dans le cercueil,

Et moi dans ce grand deuil.

 

Hélas ! je la trouvai telle qu'est une souche ;

En vain j'allai poser mes lèvres sur sa bouche,

Car déjà les esprits, de ses membres gelés,

S'en étaient envolés.

 

Que devins-je à l'objet de sa pâleur mortelle ?

Je fus si fort surpris et ma douleur fut telle

Qu'il faut être savant en l'art de bien aimer

Pour le bien exprimer.

 

Depuis cette cruelle et fatale aventure,

J'ai toujours de mes pleurs mouillé sa sépulture,

Sans pouvoir faire trêve avecque mes ennuis

Ni les jours ni les nuits.

 

Amour importuné de mes plaintes funèbres

M'éclairant de sa flamme à travers des ténèbres,

Par ton secret avis m'a fait venir ici

Te conter mon souci.

 

Tu connais le pouvoir de sa secrète flamme ;

Si le bruit n'est menteur, elle embrasa ton âme

Lorsque dans la Sicile, un Miracle des Cieux

Parut devant tes yeux.

 

On dit qu'en observant sa grâce non pareille,

Tu frémis dans ton char d'amour et de merveille

Et que tu n'as ravi cette jeune Beauté

Qu'après l'avoir été.

 

S'il te souvient encor de ces douces atteintes,

Prends pitié de mes maux, prends pitié de mes plaintes

Et fais bientôt cesser avecque mes douleurs,

Mes soupirs et mes pleurs.

 

Je t'en viens conjurer par ton Palais qui fume

Par le nitre embrasé, le souffre et le bitume

De ces fleuves brûlants et de ces noirs Palus

Qu'on ne repasse plus.

 

Par les trois noires Soeurs, ces Compagnes cruelles

Qui portent l'eteacute;pouvente et l'horreur avec elles ;

Et qui tiennent toujours leurs cheveux hérissés

D'Aspics entrelacés.

 

Par l'auguste longueur de ton poil qui grisonne,

Par l'éclat incertain de ta rouge Couronne

Et par la Majesté du vieux Sceptre de fer

Dont tu régis l'Enfer...

 

Rends-moi mon Eurydice, et fais qu'à ma prière

Elle revoie encore une fois la lumière,

Faisant ressusciter par ses embrassements,

Tous mes contentements.

 

Je ne demande pas qu'en renouant sa trame,

Pour des siecles entiers on rejoigne son âme

A cet aimable corps cruellement blessé,

Qu'elle a si tôt laissé.

Lui par cette merveille échappé de l'Orage,

De l'effet de sa voix sent grossir son courage

Et s'assure déjà de vaincre son malheur,

S'il peut bien appliquer ce charme à sa douleur.

Dès lors d'un doux espoir son âme ensorcelée,

Pense voir des Enfers sa Moitié rappelée :

Il lève chaque pierre avec ravissement,

Et flatte ses désirs de ce raisonnement :

"Puisque les doux récits de ma fidèle flamme

Ont bien eu ce pouvoir dessus des corps sans âme,

Sachons si la vertu de nos charmants accords

Aura quelque pouvoir sur des esprits sans corps :

Allons voir des Enfers la demeure effroyable

Et tâchons d'adoucir leur Prince impitoyable".

La nuit, au cours de l'Ebre il se purifia,

Invoqua Proserpine, et lui sacrifia

Une noire brebis, vieille, stérile, étique,

De lait doux arrosée et puis de miel Attique ;

Lorsqu'il eut de son sang, après le coup mortel,

Rempli toute une fosse à côté de l'Autel,

Tandis que d'une voix humble, basse, et plaintive,

Il conjurait la Lune à cet Acte attentive.

Aussitôt qu'il fut jour, pour aller chez les morts,

D'un long manteau volant il se couvrit le corps.

La couleur en était de la feuille qui vole

Lorsque le vent du Nord tous les Arbres désole ;

Le dessous était vert montrant qu'en son malheur

Quelque espoir se joignait encore à sa douleur.

Par les bouts d'une écharpe, avec art étendue,

A deux agrafes d'or sa Lyre étit pendue,

Ce Cèdre résonnant, ce bois mélodieux,

Dont il savoit charmer les hommes et les Dieux.

 

A côté du Ténare une large ouverture

Vomit incessamment une fumée obscure ;

Et cette Grotte assise en ces affreux déserts

Est un fameux chemin pour descendre aux Enfers.

Ce fut par cet endroit que cet Amant fidèle

Osa bien s'introduire en la nuit éternelle,

Et même sans frayeur, dévaler en des lieux

Où n'arriva jamais la lumière des Cieux.

Chastes et doctes Soeurs, Muses qui le suivîtes

Et qui dans ce dessein dignement le servîtes,

Dites-moi la façon dont il parvint là bas,

Combien il rencontra d'obstacles sur ses pas ?

Combien de cris sifflants et de clameurs funèbres

Perçaient l'épaisse horreur de ces moites ténèbres ?

Combien de noirs Serpents et d'Hydres furieux,

De Dragons et de Sphinx erraient devant ses yeux,

De Chimères en feu, de Scylles aboyantes,

De Fantômes glacés, et de Larves sanglantes ?

Les blés d'un vaste champ par les vents agités

Paraissent moins nombreux et sont plus arrestés.

Mais sans s'épouvanter de ces frêles images,

Notre Amant arriva sur les sombres rivages ;

Et contre tant de cris et tant de vains abois,

N'opposa que sa Lyre et le son de sa voix.

Charon qui le reçut en sa Barque funeste,

Crut d'abord que c'était le Messager céleste,

Le beau Cylénien, de la Lyre inventeur,

Et qui de la Musique est si grand amateur.

Ce Vieillard tout ensemble affreux et vénérable

Fit à ce rare Chantre un accueil favorable,

Et traversant le fleuve avec contentement,

Pour mieux goûter sa voix, rama fort lentement.

Cerbère pour ouïr de si douces merveilles,

Fermant ses trois gosiers, ouvrit ses six oreilles,

Et sentit arriver un sommeil gracieux

Qui ne s'était jamais posé dessus ses yeux.

Un vaste Amphithéâtre au centre de la Terre,

Frémit incessamment des horreurs qu'il enserre :

Là sur mille Rochers, hurlent les criminels

Que Minos abandonne aux tourments éternels.

Là dans mille bassins poussant des jets de flammes,

En un confus désordre on voit plonger les âmes.

Les esprits malheureux, l'un sur l'autre entassés,

Qu'on précipite après dans des Etangs glacés.

Là tout ce que les sens ont eu le plus en haine

Leur donne sans relâche une cruelle gêne ;

La Nature y frissonne à l'objet du tourment

Qui n'est pas supportable et dure incessamment.

Et toujours en secret leur triste souvenance,

Leur désir sans effet, comme sans espérance,

Leur remords inutile en ces derniers malheurs,

Et leur rage immortelle augmentent leurs douleurs.

 

En cette large enceinte où règne l'infortune,

S'élève de Pluton la superbe Tribune

Où souvent il préside en ce triste manoir

Sur un Trône d'acier tout émaillé de noir.

Sitôt qu'il eût appris qu'avec impatience

Un illustre mortel demandait audience,

Il s'y vint présenter d'Ombres accompagné,

Le poil tout en désordre et le front renfrogné,

Ce front dont la fierté pleine de véhémence

Montre assez de son coeur la barbare inclémence.

Mais cependant qu'il fait des signes de la main

Pour imposer silence au peuple frêle et vain,

Notre Chantre sacré qu'un feu céleste inspire,

Retâte doucement les cordes de sa Lyre,

S'enquiert avec ses doigts si tout est bien d'accord

Pour gagner une Palme où triomphe la Mort.

I1 voulut commencer par un certain prélude

Plein de beaucoup de grâce et de beaucoup d'étude,

D'excellents contrepoints, simples et figurés,

Des mélanges de sons vites et modérés,

Où sa main s'égayant par de diverses classes,

Forme avecque sa voix des fugues et des chasses.

Sa voix tantôt est forte, et tantôt ne l'est pas,

Elle monte bien haut, puis redescend bien bas ;

Tantôt elle gémit, tantôt elle soupire,

Ou prend quelque repos, pour prendre plus d'empire ;

Produit avec merveille en ces beaux mouvements,

Du grave et de l'aigu de doux temperaments ;

Et jointe aux nerfs parlants dont elle est secondée,

cherche des beaux acords la plus parfaite Idée.

Cette aimable harmonie imite le serpent,

Ondoie à longs replis, se retire, et s'étend,

Et dans ces roulements, d'un artifice extrême,

Se quitte, se reprend, sort et rentre en soi-même ;

Tandis que par l'oreille elle épand un poison

Qui se glisse dans l'âme et trouble la raison.

Tantôt elle languit, et tantôt elle éclate,

Repousse, tance, et fuit, rappelle, apaise et flatte,

Emeut comme il lui plaît la crainte, ou le désir,

Assoupit la douleur, réveille le plaisir,

Et soit qu'elle se hausse ou qu'elle s'adoucisse,

Qu'elle croisse en vigueur ou qu'elle s'alentisse,

Toujours des malheureux elle allège les fers,

Et loge un Paradis au milieu des Enfers.

Sitôt qu'il s'aperçut qu'on lui prêtait silence

Et que de ses acords on goûtoit l'excellence,

Voici comme il mêla d'une docte façon

Sa prière à sa plainte, en sa triste chanson.

Voic de quelle sorte il forma sa harangue

Où son coeur affligé se fondit sur sa langue ;

Et faisant éclater ses mortelles langueurs,

Répandit la pitié dans tous les autres coeurs.

Seulement, qu'elle vive autant qu'une personne

Dont la complexion se rencontre assez bonne,

Et qui par trop d'excès ne précipite pas

L'heure de son trépas.

 

Sans cesse les humains en tes Etats descendent ;

Par cent chemins divers à toute heure ils s'y rendent,

Et nul homme vivant quoiqu'il puisse inventer,

Ne s'en peut exempter.

 

Quand nous aurons ensemble accompli les années

Que nous aura marquées la loi des Destinées,

Nous viendrons pour jamais en cet obscur séjour

Demeurer à ta Cour.

 

Laisse-moi donc là haut ramener cette belle,

Ou permets qu'ici bas je demeure avec elle ;

J'aurai peu de regret au bien de la clarté

Près de cette Beauté.

 

Les graces d'Eurydice à mes yeux exposées,

Me tiendront toujours lieu des doux champs Elysées :

Et pour moi, son absence a des feux et des fers

Pires que les Enfers".

 

Au son de cette voix, des esprits respectée,

Ixyon pour un temps vit sa roue arrêtée.

Sysiphe en oublia de tenir son rocher,

Tantale cette soif qu'il ne peut étancher ;

Et les cruelles Soeurs, les fières Danaïdes,

Ne s'aperçurent pas que leurs seaux étaient vides ;

Tytie en ces douceurs abîmant son ennui,

Sentit moins sa douleur que la peine d'autrui :

Et l'immortel Vautour qui lui ronge le foie,

Suspendit ses rigueurs, touché de même joie.

La Parque, en ses Ciseaux, Ministres du trépas,

Tint un fil dévidé, qu'elle ne trancha pas ;

Tandis que cette voix, dont elle était ravie,

Avec tant de douceur demandait une vie.

Rien ne sut résister à la compassion,

Tout se trouva touché de cette émotion,

Et les Esprits sans corps amollis par ces charmes,

Eux qui n'ont point de sang, en versèrent des larmes.

Mais leur impitoyable et cruel Souverain

Qui comme son Palais, a le coeur tout d'airain,

Lui qui se rit des maux qu'on lui peut faire entendre,

Ne sut parer les traits d'une pitié si tendre,

Et de ses tièdes pleurs mouilla le poil chenu

Que l'on voit hérisser sur son estomac nu.

Il pleura, l'implacable, et d'un signe de tête

Accorda sur le champ cette juste requête.

Euridice parut par son commandement,

Et vint jeter ses bras au col de son Amant,

Qui transporté d'amour dans cette joie extrême,

Ne se put retenir de l'embrasser de même.

Heureux en ses destins, s'il se fût maintenu

Dans un ressentiment un peu plus retenu ;

Il aurait préservé le sujet de sa flamme,

Du second coup donné sur sa seconde trame.

Mais son désir actif, ennemi de son bien,

Fit qu'en obtenant tout, il ne posséda rien.

Il ne put accomplir la sévère ordonnance,

De marcher devant elle à travers du silence,

Sans que sur son visage il détournât ses yeux

Jusqu'à ce qu'il eût vu la lumière des Cieux.

De son impatience il ne sut être maître,

Et la voyant trop tôt, il la fit disparaître ;

Elle fut ramenée en ce funeste lieu,

Et n'eût rien que le temps de lui crier : "Adieu.

Adieu charmant Orphée, adieu ma chère vie,

C'est enfin pour jamais que je te suis ravie.

Par ce transport d'amour, tout espoir m'est ôté

De revoir du Soleil l'agréable clarté.

Ta curiosité trop peu considérée,

Me remet dans les fers dont tu m'avais tirée.

Pourquoi du vieux Minos n'as-tu gardé les lois,

Et tempéré tes yeux aussi bien que ta voix ?

O faute sans remède ! ô dommageable vue !

Avec trop de travaux tu m'avais obtenue :

Mais je prends tes regards et ma fuite à témoin,

Que tu m'as conservée avec trop peu de soin.

Que dis-je toutefois ? mon jugement s'égare,

Puisque c'est seulement ton soin qui nous sépare :

Tu craignais de me perdre en cette sombre horreur,

Et cette seule crainte a produit ton erreur :

De ton affection ma disgrâce est éclose,

Et si j'en hais l'effet, j'en dois aimer la cause.

Encore que tes yeux me donnent le trépas,

Cette atteinte me tue et ne me blesse pas :

Ta foi, charmant Epoux, n'en peut être blâmée ;

Tu n'aurais point failli si j'étois moins aimée :

Je me dois consoler de ne voir plus le jour,

Puisque c'est par un trouble où j'ai vu ton amour.

Console-toi de même et ne plains point ma cendre

Dans les torrents de pleurs que tu pourrais épandre :

Ne va point abréger le beau fil de tes jours,

Les Destins assez tôt en borneront le cours.

Le Ciel est équitable, il nous fera justice ;

Tu te verras encore avec ton Eurydice :

Si l'Enfer ne me rend, la Parque te prendra,

L'Amour nous désunit, la Mort nous rejoindra ;

Il faudra que le Sort à la fin nous rassemble

Et nous aurons le bien d'être à jamais ensemble".

Ces doux et tristes mots à peine elle acheva

Que comme un tourbillon quelqu'esprit l'enleva.

 

Le timide Berger qu'un éclat de tonnerre

Du vent de sa passée a jeté contre terre

Et qui voit de ce coup un Chêne terrassé,

Au prix de cet Amant n'a point le sang glacé.

Celui de qui la voix sut animer les marbres,

Retenir les Torrents, faire marcher les Arbres,

Et même retirer les morts du monument,

Se trouve à cette voix privé de sentiment.

La merveille est si grande où ce malheur le plonge

Qu'il en mécroit ses sens, et le tient pour un songe,

Pour un Fantôme vain de ses voeux ennemi,

Et tâche à s'éveiller comme un homme endormi.

Puis comme il reconnaît sa disgrâce plus vraie,

Son coeur se sent percé d'une mortelle plaie ;

Il tombe de son haut, de faiblesse et d'ennui,

S'accuse de sa perte, et s'en venge sur lui.

Mettant cruellement ses ongles en usage,

Il en punit son poil, ses yeux, et son visage,

Abandonne son âme à ses vives douleurs,

Eclate en cris perçants, et se débonde en pleurs.

En vain pour adoucir cette dure sentence,

Il veut de son erreur faire la pénitence :

Il a beau s'affliger, conjurer, et prier,

Il ne gagne qu'un rhume à force de crier ;

Et n'ayant plus de voix pour forcer le passage,

Il perd en même temps l'espoir et le courage.

Tristan l'Hermite (1601-1655) - gentilhomme et écrivain français - La Lyre,  XVI Orphée
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12 mai 2024 7 12 /05 /mai /2024 23:21

Carte Bonne Fête Rolande - 13 mai

 

Bonne Fête Rolande - 13 mai

Bonne Fête Rolande - 13 mai

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12 mai 2024 7 12 /05 /mai /2024 23:20

Carte Bonne Fête Achille - 12 mai

 

 

Bonne Fête Achille - 12 mai

Bonne Fête Achille - 12 mai

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12 mai 2024 7 12 /05 /mai /2024 23:13


 

 

Antoine de Nervèze (c. 1570 - après 1622) aristocrate français, romancier, traducteur, épistologiste et moraliste 


 

J'entends la triste Philomèle

Chanson

 

J'entends la triste Philomèle

Qui chante la nuit et le jour :

Mais je ne puis faire comme elle

Qui dit librement son amour.

 

Je voudrais en mes tristes peines

Me transformer en cet oiseau,

Pour aller chanter sur les chênes

L'ennui qui me mène au tombeau.

 

J'irais sur la verte ramée

Chanter la beauté de deux yeux,

Et voudrais que ma bien-aimée

Me pût entendre en tous les lieux

 

Tantôt dans quelque allée sombre,

Tantôt dans quelque cabinet,

Recherchant la fraîcheur de l'ombre,

Je chanterais là mon regret.

 

Si la fraîcheur donnait le somme

A ses beaux yeux pour reposer,

Reprenant la forme d'un homme

J'hasarderais de la baiser.

 

Et si je voyais que ma belle

Y prit quelque contentement,

Quittant le chant de Philomèle

Je ferais l'office d'amant.
 

Antoine de Nervèze (c. 1570 - après 1622) - aristocrate français, romancier, traducteur, épistologiste et moraliste - J'entends la triste Philomèle, Chanson
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12 mai 2024 7 12 /05 /mai /2024 22:38


 

 

William Shakespeare (1564-1616) dramaturge, poète et acteur anglais 

Texte établi par François-Victor Hugo, Pagnerre, 1872,

Traduction par Victor Hugo.

XV : Sonnets – Poëmes – Testament 

 


Le Pèlerin passionné 

 


Si musique et douce poésie s’accordent comme le doivent deux

cœurs, alors nous devons bien nous aimer, toi et moi, car tu

aimes l’une et j’aime l’autre.

 

Ton goût est pour Dowland, dont la touche céleste sur le luth

ravit les sens humains ; le mien est pour Spenser, dont la

pensée est si profonde que, dépassant toute pensée, elle

échappe à l’éloge.

 

Tu aimes entendre le doux son mélodieux que Phébus tire de

son luth, ce roi de la musique, et moi je suis surtout noyé dans

des délices profondes quand il se met à chanter.

 

Poésie et musique ont le même Dieu, dit la fable : toutes deux

ont le même amoureux, car toutes deux vivent en toi.
 

William Shakespeare (1564-1616) dramaturge, poète et acteur anglais - Le Pèlerin passionné  
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12 mai 2024 7 12 /05 /mai /2024 22:33


 

William Shakespeare (1564-1616) dramaturge, poète et acteur anglais 

Traduction par Victor Hugo


 

Sonnets 

CXXVIII — 8


Toi dont la voix est une musique, pourquoi écoutes-tu si

mélancoliquement la musique ? Ce qui est doux ne heurte pas ce

qui est doux ; la joie se plaît à la joie. Pourquoi aimes-tu ce

que tu goûtes ainsi sans gaîté, ou du moins goûtes-tu avec

plaisir ce qui t’attriste ?

 

Si le juste accord des notes assorties, mariées par la mesure,

blesse ton oreille, ce n’est que parce qu’elles te

grondent mélodieusement de perdre dans un solo la partie que

tu dois au concert.

 

Remarque comme les cordes, ces suaves épousées, vibrent l’une

contre l’autre par une mutuelle harmonie ; on dirait le père et

l’enfant et la mère heureuse, qui, tous ne faisant qu’un,

chantent une même note charmante :

 

Voix sans parole dont le chant, multiple quoique semblant

unique, te murmure ceci : "Solitaire, tu t’anéantis."
 

Femme jouant de la harpe - Martin van Mijtens (Meytens 1648-1736)

Femme jouant de la harpe - Martin van Mijtens (Meytens 1648-1736)

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12 mai 2024 7 12 /05 /mai /2024 22:30


 

 

William Shakespeare (1564-1616) dramaturge, poète et acteur anglais 

Traduction par Victor Hugo


 

Sonnets 

V — 128



Que de fois, ô ma vivante musique, quand tu joues de la

musique sur ce bois bienheureux dont la vibration résonne sous

tes doigts harmonieux, quand tu règles si doucement l’accord

métallique qui ravit mon oreille,

 

J’envie les touches qui, dans leurs bonds agiles, baisent le

tendre creux de ta main, tandis que mes pauvres lèvres, qui

devraient recueillir cette récolte, restent près de toi toutes

rouges de la hardiesse du bois !

 

Pour être ainsi caressées, elles changeraient bien d’état et de

place avec les touches dansantes sur lesquelles tes doigts se

promènent d’une si douce allure, rendant le bois mort plus

heureux que des lèvres vivantes.

 

Puisque ces petites effrontées en sont si joyeuses, donne-leur

tes doigts à baiser, mais donne-moi tes lèvres.
 

William Shakespeare (1564-1616) dramaturge, poète et acteur anglais - Sonnets - V — 128
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12 mai 2024 7 12 /05 /mai /2024 22:26


 

 

Madeleine de l'Aubespine (1546-1596) Poétesse française  

Recueil : Les chansons de Callianthe (1926).


 

Sonnet.

Le luth

 

Pour le doux ébat que je puisse choisir,

Souvent, après dîner, craignant qu'il ne m'ennuie,

Je prends le manche en main, je le tâte et manie,

Tant qu'il soit en état de me donner plaisir.

 

Sur mon lit je me jette, et, sans m'en dessaisir,

Je l'étreints de mes bras et sur moi je l'appuie,

Et, remuant bien fort, d'aise toute ravie,

Entre mille douceurs j'accomplis mon désir.

 

S'il advient, par malheur quelquefois qu'il se lâche,

De la main je le dresse, et, derechef, je tâche

Au jouir du plaisir d'un si doux maniement :

 

Ainsi, mon bien aimé, tant que le nerf lui tire,

Me contemple et me plaît, puis de lui, doucement,

Lasse et non assouvie enfin je me retire.
 

Femme jouant du luth Cornelis Bega

Femme jouant du luth Cornelis Bega

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12 mai 2024 7 12 /05 /mai /2024 22:21

 

 

Joachim du Bellay (1522-1560) poète français 

Sonnet XXV des Antiquités de Rome.

 


Que n'ai-je encor la harpe thracienne

 

Que n'ai-je encor la harpe thracienne, 

Pour réveiller de l'enfer paresseux 

Ces vieux Césars, et les ombres de ceux 

Qui ont bâti cette ville ancienne ? 

 

Ou que je n'ai celle amphionienne, 

Pour animer d'un accord plus heureux 

De ces vieux murs les ossements pierreux, 

Et restaurer la gloire ausonienne ? 

 

Pussé-je au moins d'un pinceau plus agile 

Sur le patron de quelque grand Virgile 

De ces palais les portraits façonner : 

 

J'entreprendrais, vu l'ardeur qui m'allume, 

De rebâtir au compas de la plume 

Ce que les mains ne peuvent maçonner. 
 

Joachim du Bellay (1522-1560) - poète français - Que n'ai-je encor la harpe thracienne
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