Léon Dierx,
né à Saint-Denis de La Réunion le 31 mars 1838 et mort à Paris le 12 juin 1912,
est un poète parnassien et peintre français.
En 1864, il fait partie des poètes parnassiens qui se réunissent autour de Catulle Mendès, avec Sully Prudhomme, Villiers de L'Isle-Adam, José-Maria de Heredia, Albert Glatigny, quand Paul Verlaine, âgé de 20 ans, fait la connaissance de ce groupe. Il fait la connaissance de Guy de Maupassant lors de sa collaboration à La Revue fantaisiste, qui lui dédiera en 1883 sa nouvelle "Regret". Il est élu prince des poètes à la mort de Stéphane Mallarmé en 1898.
La nuit de juin
Les lèvres closes
A J-M De Heredia.
La nuit glisse à pas lents sous les feuillages lourds ;
Sur les nappes d'eau morte aux reflets métalliques,
Ce soir traîne là-bas sa robe de velours ;
Et du riche tapis des fleurs mélancoliques,
Vers les massifs baignés d'une fine vapeur,
Partent de chauds parfums dans l'air pris de torpeur.
Avec l'obsession rythmique de la houle,
Tout chargés de vertige, ils passent, emportés
Dans l'indolent soupir qui les berce et les roule.
Les gazons bleus sont pleins de féeriques clartés ;
Sur la forêt au loin pèse un sommeil étrange ;
On voit chaque rameau pendre comme une frange,
Et l'on n'entend monter au ciel pur aucun bruit.
Mais une âme dans l'air flotte sur toutes choses,
Et, docile au désir sans fin qui la poursuit,
D'elle-même s'essaye à ses métempsycoses.
Elle palpite et tremble, et comme un papillon,
A chaque instant, l'on voit naître dans un rayon
Une forme inconnue et faite de lumière,
Qui luit, s'évanouit, revient et disparaît.
Des appels étouffés traversent la clairière
Et meurent longuement comme expire un regret.
Une langueur morbide étreint partout les sèves ;
Tout repose immobile, et s'endort ; mais les rêves
Qui dans l'illusion tournent désespérés,
Voltigent par essaims sur les corps léthargiques
Et s'en vont bourdonnant par les bois, par les prés,
Et rayant l'air du bout de leurs ailes magiques.
- Droite, grande, le front hautain et rayonnant,
Majestueuse ainsi qu'une reine, traînant
Le somptueux manteau de ses cheveux sur l'herbe,
Sous les arbres, là-bas, une femme à pas lents
Glisse. Rigidement, comme une sombre gerbe,
Sa robe en plis serrés tombe autour de ses flancs.
C'est la nuit ! Elle étend la main sur les feuillages,
Et tranquille, poursuit, sans valets et sans pages,
Son chemin tout jonché de fleurs et de parfums.
Comme sort du satin une épaule charnue,
La lune à l'horizon sort des nuages bruns,
Et plus languissamment s'élève large et nue.
Sa lueur filtre et joue à travers le treillis
Des feuilles ; et, par jets de rosée aux taillis,
Caresse, en la sculptant dans sa beauté splendide,
Cette femme aux yeux noirs qui se tourne vers moi.
Enveloppée alors d'une auréole humide,
Elle approche, elle arrive : et, plein d'un vague effroi,
Je sens dans ces grands yeux, dans ces orbes sans flamme,
Avec des sanglots sourds aller toute mon âme.
Doucement sur mon coeur elle pose la main.
Son immobilité me fascine et m'obsède,
Et roidit tous mes nerfs d'un effort surhumain.
Moi qui ne sais rien d'elle, elle qui me possède,
Tous deux nous restons là, spectres silencieux,
Et nous nous contemplons fixement dans les yeux.
Illustration mcp
Nuit de juin