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30 novembre 2021 2 30 /11 /novembre /2021 19:51

 

Henri-Auguste Barbier (1805-1882) poète français, également nouvelliste, mémorialiste, librettiste, critique d'art et traducteur.


 

Un dîner d'Anges - Satire

Nouvelle interprétation d' Horace:


Paris présente aux yeux des contrastes étranges;

On y voit les démons parler comme des anges

Et les anges souvent vivre de la façon

La plus habituelle aux enfants du démon,

Dans toutes les douceurs que donne la richesse,

Le monde, le confort et la charmante ivresse

Des fins repas... un jour de cet hiver dernier,

Je reçois d'un des miens une invite à dîner.


C'est un homme savant et de ferme droiture,

Riche, des mieux placé dans la magistrature,

Mais un peu simple et, bien que fort pieux, trop chaud

Pour les coureurs d'église et le monde bigot.

N'importe, au jour marqué par son billet aimable,

Chez notre amphitryon, en habit convenable,

Je me rends, et voilà qu'un superbe salon

M'ouvre sa porte au cri d'un laquais à galon.


Là, dans un bon fauteuil, près de la flamme active

D'un foyer monstrueux dont la chaleur ravive,

Tout en causant avec mon hôte un peu distrait,

J'attends que des dîneurs le cercle soit complet.

L' attente n' est pas longue... à fort peu d'intervalle

Des invités paraît la bande triomphale.

Le premier qu' on annonce est un gros réjoui

À l'oeil vif, au teint frais, au rire épanoui,

Masque de bon vivant chauffé de rouge antique,

Qui jubile et s'incline au nom de: cher critique !

Le second, salué par mon parent trois fois,

Est traité de plus haut: une broche de croix

Étincelle au-dessous de sa blanche cravate:

C'est quelque grand seigneur et même un diplomate.


Derrière lui surgit, du fond d'un paletot

Doublé de molleton bien douillet et bien chaud,

Un long profil blafard, sec, à la lèvre mince,

Qui s' avance de l'air d' un pontife ou d' un prince,

Et dont le salut roide et le regard hautain

Décèlent un grand clerc, un saint Thomas D'Aquin.

Pour faire le contraste un monsieur en moustache

Entre sur ses talons; ses cheveux en panache

Se dressent, un habit d'un goût neuf et coquet

Emprisonne ses reins comme dans un corset.


Un pantalon collant lui dessine la cuisse;

On dirait à le voir un lion de coulisse.

Le cercle à son abord est tout empoisonné

D' une senteur de musc qui vous brûle le né.

Enfin, le front suant, couvert d' un rouge tendre,

Honteux et tout confus de s' être fait attendre,

Se glisse un petit homme à l' imberbe menton,

Un abbé d' autrefois, un reste du vieux ton,

Qu' à ses saluts nombreux et sa mine discrète,

Comme l' a dit Boileau, je reconnus poëte.

Les convives présents, dans le lieu du festin

Nous passons; en marchant, tout heureux, mon cousin

Me dit: " tu vois la fleur des esprits catholiques,

Mon cher, écoute bien ces bouches angéliques :

Leur pensée est solide et leur parler divin. "

Le service était beau, plats d'argent, damas fin.


On s' assied, et d' abord circule le madère;

Mon convive de gauche en dégustant son verre

Adresse la parole au blond poétereau :

"Eh bien, cher Sannazar, à quand le saint Bruno !

Le chef-d'oeuvre attendu ne se dévoile guères.

- Et vous, cher Théophraste, à quand vos caractères ?

Ce que l' on en connaît est d'un si haut ragoût

Que nous avons au coeur grand appétit du tout. "

Et voilà de nouveau ces héros de Molière

Se jetant par le nez tout le vocabulaire

Des fades compliments en mots pharamineux :

" On n' est pas plus piquant! - on ne chante pas mieux ! "

Mais un vaste turbot fait à point son entrée

Pour finir l'embrassade et la phrase sucrée

Des deux lettrés ; alors, les yeux sur le morceau,

Chacun de s' écrier en choeur: " ah ! Que c' est beau !

- Je ne crois pas, dit l'un, que la superbe bête

Pour laquelle un César fit si grave requête

Aux sénateurs de Rome ait valu ce poisson.


- Eh, eh ! Domitien... ce prince avait du bon,

Repart le diplomate à la langue affilée ;

Il savait se moquer des bavards d' assemblée,

Seulement, il usait trop souvent du bourreau.

- Messieurs, dit à l' instant l'homme aux parfums, le beau,

En donnant un grand coup de couteau sur la table,

Ne faisons pas trop fi de l'homme respectable

Qui se nomme Bourreau; nous ne pourrions sans lui

Manger en sûreté le dîner d' aujourd' hui.

- C'est vrai, répond la troupe. - hier, j' étais en visite

Chez la marquise D, coeur tendre, esprit d'élite,

Pour la désennuyer je lui lus tout d' un trait

Le portrait merveilleux qu' un grand homme en a fait.

 

 

Elle n'avait rien lu de si beau de sa vie.

- Pardieu, je le crois bien, dit le fils d'Apollon,

C'était du pur De Maistre. " au bruit de ce grand nom,

Ainsi qu'au fond des bois le cri d'un chien qui jappe

Est soudain répété par les échos qu'il frappe

Quatre ou cinq fois, ainsi de nos gosiers béats

De Maistre fait jaillir un torrent de hourras.

"Quel homme, quel lutteur ! Quelle ironie amère !

- Comme il vous flanque à bas ce drôle de Voltaire !

- Jean-Jacques, Montesquieu, ces donneurs de leçons,

Auprès du savoyard sont de vrais polissons !"

Et mille autres propos ; mon cousin pâmait d'aise,

À chaque trait ses yeux scintillaient comme braise,

Il ne dégorgeait mot, mais je voyais son oeil

De temps en temps vers moi tourner avec orgueil

Semblant me dire : eh bien ! était-ce raillerie

Quand je te promettais si fine compagnie!

Je ne décrirai pas les différents morceaux

Qui nous furent servis tant refroidis que chauds ;

Hure de sanglier cuite à la bohémienne,

Côtelettes d' agneau, dinde à la parisienne,

Truffes du Périgord ; je ne parlerai pas

Non plus des entremets couronnant le repas,

Pois verts au naturel et gelée à la fraise,

Croque-en-bouche, babas, crème à la polonaise ;

Pour dignement louer ce service excellent

Il faudrait un Berchoux... je n'ai pas son talent ;

Je viens donc au dessert; il apparaît splendide,

Du champagne escorté; l'homme à face livide,

Notre penseur profond qui n'avait pas encor

Pris langue, dit d'un ton de saint Jean bouche d'or :

"Permettez moi, messieurs, en dévoué confrère,

De vous faire présent à tous d'un exemplaire

Du livre que je vais donner sur la douleur.

-La douleur! Ah! Vraiment, répond la table en choeur,

Quel superbe sujet! - oui, messieurs, c'est le thème

Que je viens de traiter avec un soin extrême.

J' en ai sondé le fond d'un regard plein d'amour,

Saisi tous les côtés, et le contre et le pour,

Et du tout j'ai conclu que rien sur cette terre

À notre avancement n'était plus nécessaire.

Vous jugerez, messieurs, mais je crois avoir fait

De mon mieux et toujours être demeuré vrai.

- Admirable, bravo ! Dit chacun à la ronde.

La douleur, la douleur ! C'est la bêche féconde

Qui, délivrant nos coeurs des penchants vicieux,

Les prépare à mûrir la semence des cieux ;

C'est le divin creuset où sur l'ardente flamme

Le fer devient acier... c'est la trempe de l' âme...

Sans elle nous serions moins que des animaux,

Des mollusques grossiers, de fades végétaux... "

C'était à qui mieux mieux: d'un moment de silence

Je profite à mon tour pour doter l'assistance

De mon mot, et je dis: " messieurs, pour moi, de Dieu

En créant la douleur j'ignore encor le voeu,

Mais je le bénis fort de sa pitié des hommes

Et d'avoir fait couler sur le globe où nous sommes

Tant de flots de bon vin afin de l'y noyer... "

Mon mot lâché, j'attends l' effet du plaidoyer.

Hélas! On aurait dit qu'une flamme effroyable

Du feu d' enfer venait de tomber sur la table.

Tous les yeux aussitôt se dirigent vers moi

Étonnés, inquiets, comme saisis d' effroi ;

Il semblait que je fusse une horrible vipère,

Un scorpion mortel... j'étais plus, un faux frère

Faufilé dans la bande on ne sait trop comment,

Pour y porter le trouble et l' empoisonnement.

Je voyais dans les yeux s' amasser la tempête,

Des cris, peut-être bien quelque verre à la tête ;

Redoutant pour lui-même une part des éclats, 

Mon cousin tout penaud regardait dans les plats. 

Pourtant, grâce à l'entrain de notre gros critique,

La chose prit un air moins lugubre et tragique.

"Monsieur en est encore au Dieu des bonnes gens,

C' est un peu vieux, dit-il, mais soyons indulgents :

Un jour, comme plus d'un il brisera l'idole 

De son printemps; pour nous, reprenant notre rôle, 

À notre ami portons une santé d'honneur.

Au noble historien de la sainte douleur,

Au poëte inspiré de la grâce suprême

Qui, tous, nous doit sauver par un second baptême,

Gloire, hommage, succès ! " - et levant dans les cieux

Son verre étincelant du jus délicieux,

Il le vide d'un trait ; ce magnifique exemple

Est soudain imité par les anges du temple,

Et la table bientôt n'est plus qu' un cliquetis

De verres ballottés, de vivats et de cris,

Parmi lesquels pourtant j' entends à mes oreilles

Tinter d'étranges mots et des phrases pareilles

À celles-ci: - " la ligue avait bien sa raison...

Vivent les fils d'Ignace et l'inquisition ! "

Connaissant trop l'effet de ma courte harangue,

Je n' étais plus d' humeur à jouer de la langue

Dans ce tohu-bohu, puis je ne voulais pas

Affliger le cousin d'un nouvel embarras;

Je pris donc le parti de demeurer en place

Bouche close, écoutant d' un sang-froid tout de glace

Tomber le flot vineux des grotesques rumeurs

Qu' épanchait le gosier de ces gais festineurs.

Cependant je cherchais sourdement en moi-même

Un honnête moyen, un décent stratagème

Pour fausser compagnie à notre Amphitryon.


Il se montra bientôt. Dès l'instant qu' au salon

Tout le monde passa pour achever la fête,

Entre le moka noir et la blanche anisette,

Je saisis mon chapeau; puis, d' un pied clandestin

M'esquivant, de mon toit je repris le chemin,

Non sans rire parfois au feu des réverbères

De ce grave troupeau de Sénèques austères

Que j'avais vus, suivant le poëte Victor,

Boire si joliment le falerne dans l'or.
 

Bartolomé Esteban Murillo  (1617-1682) la Cuisine des Anges - 1646

Bartolomé Esteban Murillo (1617-1682) la Cuisine des Anges - 1646

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30 novembre 2021 2 30 /11 /novembre /2021 14:22

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) Poétesse française   


 
Le convoi d'un Ange


Quand j'ignorais la mort, je pense qu'une fois

On me fit blanche et belle, et qu'on serra ma tête

D'une tresse de fleurs comme pour une fête ;

Qu'une gaze tombait sur mes souliers plus beaux ;

Et qu'à travers le jour nous portions des flambeaux :

Et puis, qu'un long ruban nous tenait, jeunes filles

Prises pour le cortège au sein de nos familles.

 

Oui, de mes jours pleures je vois sortir ce jour

Tout soleil ! ruisselant sur la fraîche chapelle

Où je voudrais prier quand je me la rappelle.

Enfants, nous emportions à son dernier séjour

Un enfant plus léger, plus peureux de la terre.

Et qui s'en retournait habillé de mystère,

Furtif comme l'oiseau sur nos toits entrevu,

Posé pour nous chanter son passage imprévu,

Dont la flèche invisible a détendu les ailes.

Et qui se traîne aux fleurs, et disparaît sous elles !

 

Nous entrâmes sans bruit dans la chapelle ouverte,

Étrangère au soleil sous sa coupole verte ;

Là, comme une eau qui coule au milieu de l'été,

On entendait tout bas courir l'éternité ;

Quelque chose de tendre y languissait : du lierre

Y tenait doucement la vierge prisonnière ;

Parmi le jour douteux qui flottait dans le chœur,

On voyait s'abaisser et s'élever son cœur.

Je le croirai toujours : c'était comme une femme

Sur ses genoux émus tenant son premier-né,

Chaste et nu, doux et fort, humble et prédestiné,

Déjà si plein d'amour qu'il nous attirait l'âme !

 

La mort passait sans pleurs. Hélas ! on n'avait pu

Porter la mère au seuil où la blanche volée,

Sur la petite boîte odorante et voilée,

Reprenait l'hymne frêle aux vents interrompu :

Et le deuil n'était pas dans notre frais cortège ;

Car le prêtre avait dit : "Enfant, Dieu te protège ;

Dieu t'enlève au banquet mortel qui t'appelait,

Encor gonflé pour toi de larmes et de lait !"

 

Et quand je ne vis plus ce doux fardeau de roses

Trembler au fond du voile au soleil étendu,

On dit : "Regarde au ciel !" Et je vis tant de choses,

Que je l'y crus porté par le vent, ou perdu.

 

Fait ange dans l'azur inondé de lumière ;

Car l'or du ciel fondait en fils éuncelants,

Et tant de jour coulait sur nos vêtements blancs.

Qu'il fallut curieuse en ôter ma paupière.

Longtemps tout fut mobile et rouge sous ma main,

Et je ne pus compter les arbres du chemin :

Sous le toit sans bonheur on nous reçut encore :

Le jardin nous offrit ce que l'enfance adore,

 

Et nous trouvâmes bons les fruits de l'ange.

Hélas ! Une chambre était triste : elle ne s'ouvrit pas ;

Et nous fîmes un feu des églantines mortes,

Dont l'enfant qui s'en va fait arroser les portes.
 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) - Poétesse française - Le convoi d'un Ange
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30 novembre 2021 2 30 /11 /novembre /2021 14:22


Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) Poétesse française   

Recueil : Pauvres fleurs (1839).

 


L'ange gardien

 

Oui, vous avez un ange ; un jeune ange qui pleure ;

Il pleure, car il aime... et vous ne pleurez pas ;

Il s'en plaint doucement dans le ciel, puis dans l'heure,

Quand elle sonne triste à ralentir vos pas.

Voyez comme il vous donne et couve sous son aile

Des mots harmonieux tièdes d'âme et d'encens :

Et, quand vous les prenez dans sa main fraternelle,

Comme ils forment aux yeux de célestes accents.

 

Nous avons tous notre ange, et je tiens de ma mère,

Qu'on ne marche pas seul dans une voie amère.

Le rayon de soleil qui passe et vient vous voir,

L'haleine de vos fleurs que vous buvez le soir ;

Un pauvre qui bénit votre obole furtive,

Dont la prière à Dieu s'achève moins plaintive ;

La fraîche voix d'enfant qui vous jette : Bonjour !

Comptez que c'est votre ange et votre ange d'amour !

 

D'autres fois, je croyais qu'on nous coupait les ailes,

Pour nous faire oublier le chemin des oiseaux.

Puis, qu'elles renaissaient plus vives et plus belles,

Quand nous avions marché longtemps, quand les roseaux

Ne se relevaient plus près des dormantes eaux :

Nous remontions alors raconter nos voyages

Aux frères parcourant leurs villes de nuages ;

Et las de cette terre où tombent toutes fleurs,

Nous chantions au soleil avec des voix sans pleurs !

Rêves d'enfant pensif et bercé de prières,

Dont quelque doux cantique assoupit les paupières ;

Indigent, mais comblé de biens mystérieux,

Au foyer calme et nu qu'ornait le buis pieux !

 

À présent je suis femme à la terre exilée,

Descendue à l'école où vous brûlez vos jours ;

Toujours en pénitence ou d'un livre accablée,

N'apprenant rien du monde et l'épelant toujours !

 

Ce livre, c'est ma vie et ses mobiles pages

Où le cyprès serpente à chaque ligne. Eh quoi !

N'avez-vous pas des pleurs à cacher comme moi,

Sous l'album périssable et lourd de trop d'images ?

 

Dans ces jours embaumés respirés par le cœur,

N'avez-vous pas aussi vu tomber bien des roses ?

N'aviez-vous pas choisi parmi ces frêles choses,

Un intime trésor qui s'appela : Malheur !

 

Mais je crois ! mais quelque ange à l'aveugle écolière,

Ouvre parfois son aile et sa pitié de feu :

Il me laisse à genoux ; mais il desserre un peu

L'anneau qui loin de lui me retient prisonnière !
 

Angelo Custode - ange gardien

Angelo Custode - ange gardien

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30 novembre 2021 2 30 /11 /novembre /2021 14:21

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) Poétesse française   

Recueil : Romances (1830).

 


L'ange et le rameau


Que ce rameau béni protège ta demeure !

L'ange du souvenir me l'a donné pour toi :

Toi qui n'aimes pas que l'on pleure,

Sois heureux, plus heureux que moi !

 

Écoute : À ce rameau j'attache une espérance :

L'ange qui me conduit sait mon cœur comme toi ;

S'il a bien compris ma souffrance,

Sois heureux, plus heureux que moi !

 

J'ai respiré l'encens de ce vieux sanctuaire,

Et je m'y suis assise, et j'ai prié pour toi ;

Je n'ai dit que cette prière :

Sois heureux, plus heureux que moi !

 

Pour passer près de toi j'ai fait un long voyage ;

Mais l'ange me rappelle et veut m'ôter à toi.

Adieu... Donne-moi du courage :

Sois heureux, plus heureux que moi !
 

Ange tenant un Rameau d'olivier - Hans Memling - Musée du Louvre

Ange tenant un Rameau d'olivier - Hans Memling - Musée du Louvre

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29 novembre 2021 1 29 /11 /novembre /2021 23:00


 

Théophile Gautier (1811-1872) Poète, romancier et critique d'art


Recueil : Élégies (1830).

 

Élégie VII.


Cher ange, vous êtes belle


Cher ange, vous êtes belle

A faire rêver d'amour,

Pour une seule étincelle

De votre vive prunelle,

Le poète tout un jour.

 

Air naïf de jeune fille,

Front uni, veines d'azur,

Douce haleine-de vanille,

Bouche rosée où scintille

Sur l'ivoire un rire pur ;

 

Pied svelte et cambré, main blanche,

Soyeuses boucles de jais,

Col de cygne qui se penche,

Flexible comme la branche

Qu'au soir caresse un vent frais ;

 

Vous avez, sur ma parole,

Tout ce qu'il faut pour charmer ;

Mais votre âme est si frivole,

Mais votre tête est si folle

Que l'on n'ose vous aimer.

 

 Giselle - Carlotta Grisi - 1841 Opéra de Paris


 

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29 novembre 2021 1 29 /11 /novembre /2021 23:00

 

Albert Samain (1858-1900) poète symboliste français.

Recueil : Au jardin de l'infante (1893).

Sonnet.


 

Soirs (II)

 

Le Séraphin des soirs passe le long des fleurs...

La Dame-aux-Songes chante à l'orgue de l'église ;

Et le ciel, où la fin du jour se subtilise,

Prolonge une agonie exquise de couleurs.

 

Le Séraphin des soirs passe le long des cœurs...

Les vierges au balcon boivent l'amour des brises ;

Et sur les fleurs et sur les vierges indécises

Il neige lentement d'adorables pâleurs.

 

Toute rose au jardin s'incline, lente et lasse,

Et l'âme de Schumann errante par l'espace

Semble dire une peine impossible à guérir...

 

Quelque part une enfant très douce doit mourir...

Ô mon âme, mets un signet au livre d'heures,

L'Ange va recueillir le rêve que tu pleures.


 

Albert Samain (1858-1900) - poète symboliste français - Soirs (II)
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29 novembre 2021 1 29 /11 /novembre /2021 00:19


Sophie d'Arbouville (1810-1850) Poète et nouvelliste française.

Recueil : Poésies et nouvelles (1840).

 


Une voix du ciel


Je suis l'astre des nuits. Je brille, pâle et blanche,

Sur la feuille qui tremble au sommet d'une branche,

Sur le ruisseau qui dort, sur les lacs, bien plus beaux

Quand mes voiles d'argent s'étendent sur leurs eaux.

Mes rayons vont chercher les fleurs que je préfère,

Et font monter au ciel les parfums de la terre ;

Je donne la rosée au rameau desséché,

Que l'ardeur du soleil a, sur le sol, penché.

Sitôt que je parais, tout se tait et repose,

L'homme quitte les champs, et l'abeille la rose :

Plus de bruit dans les airs, plus de chant dans les bois ;

Devant mon doux regard nul n'élève sa voix,

De la terre ou du ciel aucun son ne s'élance,

J'arrive avec la nuit, et je règne en silence !

Je cache mes rayons quand le cri des hiboux

Vient troubler mon repos et mon calme si doux.

 

Je suis l'astre des nuits ; je brille, pâle et blanche,

Sur le cœur attristé, sur le front qui se penche,

Sur tout ce qui gémit, sur tout ce qui se plaint,

Sur tous les yeux en pleurs qu'aucun sommeil n'atteint.

 

Quelques heureux, parfois, me donnent un sourire,

S'aiment, et devant moi trouvent doux de le dire ;

J'écoute avec bonheur leurs longs serments d'amour,

Je leur promets tout bas de n'en rien dire au jour.

Mais les plus beaux rayons de mon blanc diadème

Sont pour vous qui souffrez !... C'est vous surtout que j'aime

Donnez-moi vos soupirs et donnez-moi vos pleurs ;

Laissez-moi deviner vos secrètes douleurs,

Le rêve inachevé qui n'a point de parole,

Que nul ne sut jamais et que nul ne console !

J'ai pour les cœurs brisés, ainsi que pour les fleurs,

Une fraîche rosée endormant les douleurs.

Écoutez-moi ce soir, vous saurez un mystère

Ignoré jusqu'ici du reste de la terre,

Secret que je révèle à ceux de mes élus,

Qui m'ont le plus aimée et qui rêvent le plus.

 

Je vous dirai pourquoi je brille, pâle et blanche,

Sur le cœur attristé, sur le front qui se penche,

Sur tout ce qui gémit, sur tout ce qui se plaint,

Sur tous les yeux en pleurs qu'aucun sommeil n'atteint.

 

Votre vie, ici-bas, est un triste voyage,

Dont le ciel, où je suis, est le port, le rivage ;

Elle a bien des écueils, la route où vous passez...

Et vous n'arrivez pas sans vous être blessés !

Vous n'abordez pas tous sur la céleste plage,

Ceux qui se sont souillés demeurent à l'écart ;

Coupables et souffrants, dans une morne attente,

Ils s'arrêtent au seuil du séjour où l'on chante.

Un ange, dont les pleurs voilent le doux regard,

Leur barre le chemin et murmure : "Plus tard !"

— Parmi ces exilés traînant au loin leur chaîne,

Parmi les longs sanglots de ces âmes en peine,

Errantes loin de Dieu, du soleil et du jour,

Moi, je prends en pitié les coupables d'amour.

J'appelle auprès de moi ces Âmes de la terre,

Qu'un Dieu juste éloigna du séjour de lumière,

Parce qu'en sa présence elles gardaient encor

Un souvenir d'amour, au delà de leur mort.

Je leur donne ma nuit, mes rayons, mes étoiles,

Je donne à leur exil l'abri de mes longs voiles,

Et les larmes, le soir, qui coulent de leurs yeux,

Semblent à vos regards des étoiles des cieux ;

Ce ne sont que des pleurs... des pleurs d'âmes souffrantes,

Qui, la nuit, dans l'espace avec moi sont errantes.

 

Vous, encor sur la terre où s'agitent vos cœurs,

Levez les yeux vers moi ! j'ai près de moi vos sœurs.

Oh ! veillez bien sur vous... et priez bien pour elles !

Entendez-vous leurs pleurs ? car si mes nuits sont belles,

Pourtant Dieu n'est pas là ! le seul repos, c'est Lui...

Il fait jour près de Dieu, — je ne suis que la nuit !

 

Je vous ai dit pourquoi je brille pâle et blanche

Sur le cœur attristé, sur le front qui se penche,

Sur tout ce qui gémit, sur tout ce qui se plaint,

Sur tous les yeux en pleurs qu'aucun sommeil n'atteint.
 

 Sophie d'Arbouville (1810-1850) - Poète et nouvelliste française - Une voix du ciel
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29 novembre 2021 1 29 /11 /novembre /2021 00:19

 

Sophie d'Arbouville (1810-1850) Poète et nouvelliste française.

Extrait de:  Poésies et nouvelles (1840)

 

 

L'Ange de la poésie et la jeune femme

 

L'ANGE DE LA POESIE

Éveille-toi, ma sœur, je passe près de toi !

De mon sceptre divin tu vas subir la loi ;

Sur toi, du feu sacré tombent les étincelles,

Je caresse ton front de l'azur de mes ailes.

À tes doigts incertains, j'offre ma lyre d'or,

Que ton âme s'éveille et prenne son essor !...

 

Le printemps n'a qu'un jour, tout passe ou tout s'altère ;

Hâte-toi de cueillir les roses de la terre,

Et chantant les parfums dont s'enivrent tes sens,

Offre tes vers au ciel comme on offre l'encens !

Chante, ma jeune sœur, chante ta belle aurore,

Et révèle ton nom au monde qui l'ignore.

 

LA JEUNE FEMME.

Grâce !.. éloigne de moi ton souffle inspirateur !

Ne presse pas ainsi ta lyre sur mon cœur !

Dans mon humble foyer, laisse-moi le silence ;

La femme qui rougit a besoin d'ignorance.

Le laurier du poète exige trop d'effort...

J'aime le voile épais dont s'obscurcit mon sort.

Mes jours doivent glisser sur l'océan du monde,

Sans que leur cours léger laisse un sillon sur l'onde ;

Ma voix ne doit chanter que dans le sein des bois,

Sans que l'écho répète un seul son de ma voix.

 

L'ANGE DE POÉSIE.

Je t'appelle, ma sœur, la résistance est vaine.

Des fleurs de ma couronne, avec art je t'enchaîne :

Tu te débats en vain sous leurs flexibles nœuds.

D'un souffle dévorant j'agite tes cheveux,

Je caresse ton front de ma brûlante haleine !

 

Mon cœur bat sur ton cœur, ma main saisit la tienne ;

Je t'ouvre le saint temple où chantent les élus...

Le pacte est consommé, je ne te quitte plus !

Dans les vallons lointains suivant ta rêverie,

Je prêterai ma voix aux fleurs de la prairie ;

Elles murmureront : "Chante, chante la fleur

Qui ne vit qu'un seul jour pour vivre sans douleur."

Tu m'entendras encor dans la brise incertaine

Qui dirige la barque en sa course lointaine ;

Son souffle redira : "Chante le ciel serein ;

Qu'il garde son azur, le salut du marin !"

J'animerai l'oiseau caché sous le feuillage,

Et le flot écumant qui se brise au rivage ;

L'encens remplira l'air que tu respireras...

Et soumise à mes lois, ma sœur, tu chanteras !

 

LA JEUNE FEMME.

J'écouterai ta voix, ta divine harmonie,

Et tes rêves d'amour, de gloire et de génie ;

Mon âme frémira comme à l'aspect des cieux...

Des larmes de bonheur brilleront dans mes yeux.

Mais de ce saint délire, ignoré de la terre,

Laisse-moi dans mon cœur conserver le mystère ;

 

Sous tes longs voiles blancs, cache mon jeune front ;

C'est à toi seul, ami, que mon âme répond !

Et si, dans mon transport, m'échappe une parole,

Ne la redis qu'au Dieu qui comprend et console.

Le talent se soumet au monde, à ses décrets,

Mais un cœur attristé lui cache ses secrets ;

 

Qu'aurait-il à donner à la foule légère,

Qui veut qu'avec esprit on souffre pour lui plaire ?

Ma faible lyre a peur de l'éclat et du bruit,

Et comme Philomèle, elle chante la nuit.

Adieu donc ! laisse-moi ma douce rêverie,

Reprends ton vol léger vers ta belle patrie !

 

L'ange reste près d'elle, il sourit à ses pleurs,

Et resserre les nœuds de ses chaînes de fleurs ;

Arrachant une plume à son aile azurée,

Il la met dans la main qui s'était retirée.

En vain elle résiste, il triomphe... il sourit...

Laissant couler ses pleurs, la jeune femme écrit.
 

Alfred de Curzon (1820-1895)

Alfred de Curzon (1820-1895)

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26 novembre 2021 5 26 /11 /novembre /2021 14:51

 

Antoine-Étienne Fontaney (1803-1837) Poète, écrivain, journaliste et poète romantique français.

Recueil : Ballades, mélodies et poésies diverses (1829).


 

Un ange

 

Dans toutes les douleurs humaines

Toujours avec nous de moitié,

Quel instinct secret vers nos peines

Guide ainsi ta tendre pitié ?

 

Dès ce jeune âge où l'existence

Comprend à peine le malheur,

D'où te vient cette expérience

De toutes les vertus du cœur ?

 

N'es-tu qu'une simple mortelle ?

N'as-tu rien en toi de divin ?

Partout où l'on souffre on t'appelle,

Et qui jamais t'appelle en vain ?

 

A nos larmes, dans nos prières,

Nous sentons tes pleurs se mêler ;

Et, plus que nous, de nos misères

C'est toi qu'il faudrait consoler !

 

Que ta bienfaisance est aimable,

Et que de grâce a ta bonté !

Tu voudrais rendre inépuisable

Le trésor de ta charité.

 

Le Ciel devait te le permettre ;

Mais quand tous tes heureux sont faits,

Si tu n'as plus même à promettre,

Tes refus sont d'autres bienfaits.
 

Nancy Noel - ange

Nancy Noel - ange

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25 novembre 2021 4 25 /11 /novembre /2021 22:33

 

 

Maurice Rollinat (1846-1903), poète, musicien et interprète français.

Recueil : Les névroses (1883).

Sonnet.

 

L'ange pâle


À la longue, je suis devenu bien morose :

Mon rêve s'est éteint, mon rire s'est usé.

Amour et Gloire ont fui comme un parfum de rose ;

Rien ne fascine plus mon cœur désabusé.

 

Il me reste pourtant un ange de chlorose,

Enfant pâle qui veille et cherche à m'apaiser ;

Sorte de lys humain que la tristesse arrose

Et qui suspend son âme aux ailes du baiser.

 

Religieux fantôme aux charmes narcotiques !

Un fluide câlin sort de ses doigts mystiques ;

Le rythme de son pas est plein de nonchaloir.

 

La pitié de son geste émeut ma solitude ;

À toute heure, sa voix infiltreuse d'espoir

Chuchote un mot tranquille à mon inquiétude.

Maurice Rollinat (1846-1903) - poète, musicien français - L'ange pâle
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