2 décembre 2024 1 02 /12 /décembre /2024 21:01

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) poétesse française 

Bouquets et prières, 1843 

 


L’Enfant amateur d’Oiseaux

 

Écoute, oiseau ! je t’aime et je voudrais te prendre,

Pour ton bien ! Seul au toît, comment peux-tu chanter ?

Moi, quand je suis tout seul, je m’en vais : s’arrêter

C’est attendre ou dormir ; et courir, c’est apprendre ;

Viens courir ! je t’invite à mon jardin très grand ;

Plus grand que cette plaine et qui sent bon les roses :

Mon père y va chanter ses rimes et ses proses ;

Ma mère y tend son linge et le lave au courant ;

 

Moi j’y vis en tous sens, comme l’oiseau qui vole ;

Je monte aux murs en fleurs, aux fruits plantés pour moi :

Viens ! je partagerai les plus beaux avec toi ;

Viens ! nous partagerons tout, excepté l’école.

Depuis que je t’ai vu pour la première fois,

Je ne fais que chanter pour imiter ta voix.

Oh ! les hommes devraient chanter au lieu d’écrire !

L’encre et les lourds papiers les empêchent de rire.

Oiseau ! tu chanterais pour moi si tu m’aimais :

Mais, tu t’en vas toujours, et tu ne viens jamais !

 

Viens : sois reconnaissant. Je tiendrai ta fontaine

De verre toujours fraîche et, sois sûr, toujours pleine.

L’école, c’est ma mort : jamais tu n’y viendras.

Je serais bien fâché d’y faire aller personne !

Je n’ai jamais sommeil que quand l’école sonne.

Toi, sans penser à rien, libre, tu m’attendras

Dans ta cage : elle est neuve et solide et cachée

Sous la vigne flottante autour de ma maison ;

Tu verras le soleil descendre à l’horizon

Et tu diras le jour à ma mère couchée.

 

Tu n’as vu nulle part de nid mieux fait, plus vert ;

Plus frais quand on a chaud ; plus chaud quand c’est l’hiver.

Tout s’y trouve : on y peut loger un grand ménage

D’oiseau. C’est un palais !

 

L’oiseau.

Oui, mais c’est une cage :

Et pour mes goûts d’oiseau, mon garçon, j’aime mieux 

Les cieux !

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  - poétesse française - L’Enfant amateur d’Oiseaux
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2 décembre 2024 1 02 /12 /décembre /2024 20:26

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) poétesse française 

Recueil : Mélanges (1830)

 


Le petit menteur

 

Venez bien près, plus près, qu'on ne puisse m'entendre.

Un bruit vole sur vous, mais qu'il est peu flatteur !

Votre mère en est triste ; elle vous est si tendre !

On dit, mon cher amour, que vous êtes menteur.

 

Au lieu d'apprendre en paix la leçon qu'on vous donne,

Vous faites le plaintif, vous traînez votre voix,

Et vous criez très haut : Hé ! ma bonne ! ma bonne !

L'écho, qui me dit tout, m'en a parlé deux fois.

 

Vous avez effrayé cette bonne attentive.

Et, pour vous secourir,

Près de vous, toute pâle, on l'a vue accourir :

Hélas ! vous avez ri de sa bonté craintive,

Enfant ! vous avez ri ! quelle douleur pour nous !

On ne croira donc plus à vos jeunes alarmes ?

Si j'avais eu ce tort, j'irais à deux genoux

Lui demander pardon d'avoir ri de ses larmes ;

J'irais... Ne pleurez pas ; causons avant d'agir ;

Écoutez une histoire, et jugez-la vous-même :

Cachez-vous cependant sur ce coeur qui vous aime ;

Je rougis de vous voir rougir.

 

" Au loup ! au loup ! à moi ! " criait un jeune pâtre ;

Et les bergers entr'eux suspendaient leurs discours.

Trompé par les clameurs du rustique folâtre,

Tout venait, jusqu'aux chiens, tout volait au secours.

Ayant de tant de cours éveillé le courage,

Tirant l'un du sommeil, et l'autre de l'ouvrage,

Il se mettait à rire, il se croyait bien fin :

" Je suis loup, " disait-il. Mais attendez la fin.

Un jour que les bergers, au fond d'une vallée,

Appelant la gaîté sur leurs aigres pipeaux,

Confondaient leurs repas, leurs chansons, leurs troupeaux,

Et de leurs pieds joyeux pressaient l'herbe foulée

" Au loup ! au loup ! à moi ! " dit le jeune garçon ;

" Au loup ! " répéta-t-il d'une voix lamentable.

Pas un n'abandonna la danse ni la table :

" Il est loup, dirent-ils ; à d'autres la leçon. "

 

Et toutefois le loup dévorait la plus belle

De ses belles brebis ;

Et pour punir l'enfant qu'il traitait de rebelle,

Il lui montrait les dents, et rompait ses habits :

Et le pauvre menteur, élevant ses prières,

N'attristait que l'écho ; ses cris n'amenaient rien.

Tout riait, tout dansait au loin dans les bruyères :

 


" Eh quoi ! pas un ami, dit-il, pas même un chien ! "

On ajoute, et vraiment, c'est pitié de le croire !

Qu'il serrait la brebis dans ses deux bras tremblants ;

Et, quand il vint en pleurs raconter son histoire,

On vit que ses deux bras étaient nus et sanglants.

" Il ne ment pas, dit-on, il tremble ! il saigne ! il pleure !

Quoi ! c'est donc vrai, Colas ? " Il s'appelait Colas.

 

"Nous avons bien ri tout à l'heure ;

Et la brebis est morte ! elle est mangée...hélas ! "

On le plaignit. Un rustre, insensible à ses larmes.

Lui dit : " Tu fus menteur, tu trompas notre effroi :

Or, s'il m'avait trompé, le menteur fût-il roi,

Me crierait vainement aux armes. "

 

Et vous n'êtes pas roi, mon ange, et vous mentez !

Ici, pas un flatteur dont la voix vous abuse ;

Vous n'avez point d'excuse.

Quand vous aurez perdu tous les cours révoltés,

Vous ne direz qu'à moi votre souffrance amère,

Car on ne ment pas à sa mère.

Tout s'enfuira de vous, j'en pleurerai tout bas ;

Vous n'aurez plus d'amis, je n'aurai plus de joie :

Que ferons-nous alors ? Oh ! ne vous cachez pas !

Prenez un peu courage, enfant ; que je vous voie ;

Vous me touchez le coeur, j'y sens votre pardon ;

Allez, petit chéri, ne trompez plus personne ;

Soyez sage, aimez Dieu, priez qu'il vous pardonne ;

Il est père, il est bon !
 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) - poétesse française - Le petit menteur
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29 novembre 2024 5 29 /11 /novembre /2024 20:16

 

 

Marceline Desbordes-Valmore(1786-1859) poétesse française 

 

 

Le petit mécontent

 

Mère, je veux crier et faire un grand tapage.

Comment, je ne peux pas tous les jours être sage !

Non, mère, c’est trop long tous les jours, tous les jours !

Le monsieur l’a bien dit : "Rien ne dure toujours."

Tant mieux ! je vais m’enfuir et crier comme George.

Qui m’en empêchera ?

— Personne. À pleine gorge,

Vous pouvez, cher ami, vous donner ce régal.

Mais vous serez malade…

— Oh ! cela m’est égal :

George ne meurt jamais.

— George afflige sa mère.

Un enfant mal appris est une joie amère.

— Je reviendrai t’aimer.

— M’aimer sans m’obéir ?

Déserter ton devoir, enfant, c’est me trahir.

Je crains, moi, qu’avant peu personne ne vous aime,

Et vous vous ferez peur tout seul avec vous-même.

— Non ! George n’a pas peur dans le cabinet noir.

 

Il dit que c’est tout brun comme quand c’est le soir ;

Pas plus. Et puis il chante à travers la serrure ;

Il se moque des grands, il fait le coq, il jure.

C’est brave de chanter sans jour et sans flambeau !

Je veux être méchant pour voir.

— Ce sera beau !

— Je veux être grondé : gronde donc.

— Pourquoi faire ?

Vous me faites pitié.

— Je suis las de me taire !

J’ai cassé mon cheval ; j’ai mis de l’encre à tout ;

Regarde ma figure !

— Oui, c’est laid jusqu’au bout.

Mais qui vous a donné ce faux air de courage ?

Hier encor, priant Dieu qu’il vous rendît bien sage,

Vous vouliez ressembler à notre vieux cousin.

— Je n’avais pas été chez le petit voisin.

Il bat des pieds très-bien quand on le contrarie ;

Il ne dit pas bonjour, même quand on l’en prie !…

Ah ! ah ! c’est qu’on est fier d’être mis en prison !

— Beaucoup de grands enfants y perdent la raison.

Pour leurs mères surtout c’est une triste gloire !

Restez libre et soumis, si vous voulez m’en croire.

Moi, je n’ai point de cage où mettre mon enfant ;

Pas même les oiseaux, mon cœur me le défend.

 

Vous n’obtiendrez de moi ni prison, ni colère,

Et j’attendrai, de loin, que le temps vous éclaire.

— De loin ?

— Battez des pieds, poussez des cris affreux,

Devenez comme George un petit malheureux,

Vous en aurez la honte au grand jour.

— Quelle honte ?

George rit ; je rirai…

— Nous voici loin de compte.

Si vous ne craignez pas de rougir devant Dieu,

Il faudra, mon enfant, bientôt nous dire adieu.

À vivre sans honneur, moi, je ne puis prétendre,

Et si vous n’étiez pas ma gloire la plus tendre,

À la mère de George il faudrait ressembler.

— Oh ! non, ressemble-toi !

— Son sort me fait trembler.

Loin de la saluer, quand cette femme passe,

On se détourne d’elle, on lui fait de l’espace,

On va de porte en porte en chuchotant tout bas :

'Elle a gâté son fruit, ne la saluons pas ! "

Le fruit accuse l’arbre, et l’on juge, et le blâme

Tombera sur la mère et non sur la jeune âme

Qu’elle a laissé corrompre. On est plein de rigueur.

— Que dit-on de la dame ?

— On dit qu’elle est sans cœur.

 

Voyez comme elle est triste au fond de sa faiblesse !

Le monde la méprise et son enfant la blesse !

Ô mère humiliée en votre unique amour,

Je vous plaignis souvent : me plaindrez-vous un jour ?

— Pardon !… je ne veux pas te voir humiliée…

Pardon ! pardon ! Je veux que tu sois saluée !

Mère, je serai bon comme le vieux cousin !

Mère, je n’irai plus chez le petit voisin ! "

 

La mère tressaillit dans une vive étreinte ;

L’enfant ne cria plus ; il fut bon sans contrainte.

Et quand on saluait cette mère en chemin,

Il rougissait de joie et lui serrait la main !
 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) - poétesse française - Le petit mécontent
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22 novembre 2024 5 22 /11 /novembre /2024 22:31


 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  poétesse française 

 


Le petit brutal

 

J’ai vu bien des enfants mal éclos dans ma vie ;

J’en ai tant vu, tant vu que les yeux m’en font mal !

Mais ils valaient de l’or près du petit brutal

Qui, de ne pas l’aimer, me donnerait l’envie.

 

Il faut aimer pourtant : que faire de son cœur ?

Quand il serait encor plus hardi, plus moqueur,

Il faut en le grondant lui faire une caresse

El le changer peut-être à force de tendresse.

Gronder n’est pas si beau.

— " Viens donc, mon pauvre enfant,

Ma raison te pardonne et mon cœur te défend.

La malice est un dard que l’indulgence émousse.

Bonjour ! Prends cette orange… Elle est mûre, elle est douce ;

Fais-en ce que tu veux ; je la gardais pour toi :

Un jour, pour quelque enfant tu feras comme moi.

Tu ne dis pas merci ?

— Non.

— Pourquoi donc ?

— Je mange.

 

— Et tu ne m’aimes pas un peu ?

— J’aime l’orange.

— Tu n’es pas dans ton tort. Mais poursuis ton chemin

Sois libre comme l’air.

— Je t’aimerai demain.

— Je le sais mieux que toi, ton regard me l’assure ;

Comme un petit serpent tu guéris ta morsure.


....................


— Je n’aime pas le grand qui me fait de grands yeux,

El qui lève toujours sa canne sur ma tête.

C’est un laid, c’est un noir, c’est une grosse bête !

Quand il sera petit et que je serai grand,

Nous verrons !

— Ne peux-tu l’éviter en courant ;

Et le laisser partir sans que tu te déranges ?

On se distrait d’ailleurs en mangeant des oranges.

C’est si bon, d’être bon, d’être gai, franc, loyal,

Et d’être pardonné quand on a fait le mal !

Dieu m’a traitée ainsi lorsque j’étais méchante :

Cette bonté toujours me rend bonne et m’enchante !

— Vous avez donc crié ?

— Tais-toi, c’était affreux !

Et les petits enfants se regardaient entre eux.

J’arrachais les fruits verts, je marchais sur les roses ;

Je faisais, comme toi, de très-vilaines choses.

 

Et l’on me détestait.

— C’est drôle !

— C’est bien plus,

C’est bête, et l’on s’en moque aux livres que j’ai lus.

Lis-tu beaucoup ?

— Jamais ! Je déchire la page.

Quand vous étiez méchante, aimiez-vous le tapage ?

— À t’en donner l’horreur. Tu verras !

— Je verrai.

— Viens, nous en causerons comme amis.

— Je viendrai,

Mais quand ?

— À la belle heure avec toi reparue.

— Ah ! c’est que j’ai beaucoup d’affaires dans la rue !

— Ne te gêne donc pas et viens quand tu voudras.

Je me confesserai : toi, tu me jugeras. "

 

Il vint, et de lui-même ouvrant d’un coup la porte

Il y passait sa tête aimable ou non, n’importe,

Et tenté par un charme, une histoire, un doux fruit,

Il oubliait de battre et de faire du bruit.
 

Ludwig Knaus - enfant avec une orange

Ludwig Knaus - enfant avec une orange

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22 novembre 2024 5 22 /11 /novembre /2024 22:25

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) Poétesse française

 


Ouvrez aux enfants


 
Les enfants sont venus vous demander des roses :

              Il faut leur en donner.

— Mais les petits ingrats détruisent toutes choses....

              — Il faut leur pardonner


 
Tout printemps est leur fête et tout jardin leur table ;

              Qu’ils prennent à loisir !

Ils nous devront du moins, souvenir délectable !

              D’avoir eu du plaisir !


 
Demain nous glanerons les roses répandues,

              Trésor du jardin vert ;

Ces haleines d’été ne seront pas perdues

              Pour embaumer l’hiver.


 
Ouvrez donc aux enfants qui demandent des roses :

              Il faut leur en donner ;

Et si l’instinct les pousse à briser toutes choses,

              Il faut leur pardonner !
 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) - Poétesse française - Ouvrez aux enfants
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22 novembre 2024 5 22 /11 /novembre /2024 21:54

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) poétesse française . 


Le petit oiseleur

 

La mère

Vous voilà bien riant, mon amour ! quelle joie !

Comme un petit chasseur, traînez-vous quelque proie ?

Sous ce fragile osier cachez-vous un trésor ?

 

L’enfant

C’est un oiseau du ciel ; il a des plumes d’or.

Il reposait son vol au bord de la fontaine ;

J’ai retenu longtemps mes pas et mon haleine :

Quand il a secoué son plumage plein d’eau,

J’ai saisi ses ailes mouillées,

Et le voilà, blotti dans les fleurs effeuillées.

Regardez qu’il est bien, ma mère, et qu’il est beau !

 

La mère

Oui, je l’entends gémir.

 

L’enfant

Non, mère, c’est qu’il chante.

 

La mère

Vous croyez, mon amour ? Sa chanson est touchante.

 

L’enfant

Je crois qu’il est content puisqu’il est dans les fleurs ;

Il les aime. Son nid est sous l’amandier rose,

Cet arbre au fruit de lait que la fontaine arrose ;

C’est là qu’il dérobait ses brillantes couleurs.

 

 La mère.

Y demeurait-il seul ?

 

L’enfant.

Ses enfants sont au gîte :

C’était pour les revoir qu’il se baignait si vite.

Mais je n’ai point de peur, ils ne sauraient bouger ;

Ils n’ont pas une plume et n’ont rien à manger.

 

La mère

Que vont-ils devenir ?

 

L’enfant

J’agrandirai la cage ;

J’en ferai dans l’hiver un semblant de bocage ;

Et j’aurai mille oiseaux qui chanteront toujours.

Que de musiciens pour amuser mes jours !

Quel bonheur de nourrir tant de joyeux esclaves !

À peine ils sentiront leurs légères entraves.

Ô ma mère, j’y cours.

 

La mère

Arrêtez… il fait nuit ;

Quelque chose de triste entoure ce réduit ;

Restez ! de noirs soldats les farouches cohortes

Au coucher du soleil ont assailli nos portes.

Ne vous éloignez pas, ne quittez plus mon sein ;

De vous saisir peut-être ils avaient le dessein.

 

 L’enfant

Des soldats ? et beaucoup, ma mère ? et pour me prendre ?

 

La mère

Vous, charme de ma vie, et pour ne plus vous rendre.

 

L’enfant

Que feront-ils de moi ?

 

La mère

Qui le sait ? un captif,

Un orphelin, peut-être ; un prisonnier plaintif.

 

L’enfant

Sauvez-moi !

 

La mère.

Priez Dieu, c’est en lui que j’espère,

Loin de nous les cruels emmènent votre père,

Ce père, si content quand ils vous embrassait,

Ce gardien de vos jours et qui les nourrissait.

 

L’enfant

Mon père prisonnier !

 

La mère

C’est le roi qui l’ordonne.

 

L’enfant

Qu’est-ce qu’un roi ?

 

 La mère.

Puissant par l’amour ou l’effroi,

Un maître s’il punit, presque un Dieu s’il pardonne.

 

L’enfant.

Ah ! laissez-moi sortir : je veux parler au roi,

Mon père va mourir !

 

La mère

Eh quoi ! si jeune encore,

Savez-vous si l’on meurt loin de ceux qu’on adore ?

Qu’arraché de son toit votre appui va souffrir ?

Que sans la liberté l’on n’a plus qu’à mourir ?

Savez-vous qu’en prison la vie est bien amère ?

 

 L’enfant

Oui, nous mourrons sans vous, et vous mourrez, ma mère.

Mais ce roi si méchant, qui l’a mis en courroux ?

 

La mère

Le roi n’est ni méchant ni cruel plus que vous,

Mon fils. Las de ses jeux, il vient troubler les nôtres ;

Libre, il a des captifs : n’avez-vous pas les vôtres ?

Dans une chambre étroite il vous renfermera.

Mais vous serez content, car il vous nourrira,

Pourquoi de vos sanglots déchirez-vous mon âme ?

Est-ce à vous, cher coupable, à murmurer le blâme ?

Nous sommes des oiseaux dans ses cages plongés.

Pourquoi de son plaisir serions-nous affligés,

Si, dans ses jeux de roi qu’on a faits légitimes,

De lumière et d’air pur il prive ses victimes ?

Où courez-vous ?

 

L’enfant

De l’air ! de l’air au prisonnier !

Qu’il respire, ma mère, et qu’il vole, et qu’il vive !

Oiseau ! des malheureux que n’est-tu le dernier !

Je ne veux point d’esclave.


 
La mère

Ô clémence naïve !

Embrassez-moi, mon fils, vous m’arrachez des pleurs :

Soyez libre vous-même, et calmez vos douleurs.

Quoi ! jusque dans mes bras votre frayeur palpite !…

Ah ! le cœur de l’oiseau palpitait-il moins vite,

Quand votre instinct cruel empêcha son essor !

Enfant, sans vos chagrins quel eût été son sort ?

Vous ravissiez l’époux à l’épouse éperdue ;

Elle eût traîné sa plainte, et Dieu l’eût entendue !

Et les petits tout nus, glacés dans votre main,

Auraient péri de froid, de langueur et de faim.

 

L’enfant

Ah ! je n’y songeais pas !

 

La mère

Maintenant tout respire ;

Tout se calme et s’endort.

 

L’enfant

Et mon père ?

 

La mère

Il soupire,

Comme l’oiseau du ciel un moment arrêté ;

Mais Dieu, qui voit partout, veille à sa liberté.

 

L’enfant

Le roi le voudra-t-il ? nous rendra-t-il mon père ?

 

La mère.

Oui, mon fils, oui, mon bien, maintenant je l’espère ;

Oui, s’il a des enfants comme les miens chéris,

Des jeunes suppliants il accueille les cris.

Un père a dans le cœur je ne sais quoi de tendre ;

Toutes les voix d’enfant savent s’y faire entendre.

 

L’enfant

Je veux le voir. Venez ! conduisez-moi vers lui.

 

 La mère

Oui, mon amour, demain.

 

L’enfant

Pas demain, aujourd’hui.

 

La mère

Quoi ! votre chère enfance à cette heure exposée ?…

 

L’enfant

Je veux montrer au roi cette cage brisée ;

Je lui dirai : Voyez ! je fus méchant aussi ;

Je ne le suis plus, Dieu merci !

Au captif innocent j’ai rendu la volée,

Et sa famille consolée

À cette heure est au nid plus heureuse que nous !

Le même arbre en ses fleurs les couvre et les rassemble :

Chaque famille ainsi doit s’endormir ensemble,

Et nous venons chercher mon père à vos genoux.

 

La mère

Écoutez !… par l’appui de quelque voix divine,

On dirait que le roi vous plaint et vous devine ;

Car voici votre père, il a tout entendu :

Enfant, Dieu vous absout, puisqu’il nous est rendu.
 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) - poétesse française - Le petit oiseleur
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17 novembre 2024 7 17 /11 /novembre /2024 20:11

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  poétesse française

 

L’Enfant questionneur


— Pourquoi le soleil ne vient-il pas la nuit ? disait Hippolyte à quatre ans ; on verrait bien plus clair !

— Parce que c’est le soleil, lui répondit sa mère, qui fait le jour. S’il venait la nuit il n’y aurait plus de nuit.

Hippolyte fut très étonné.

Il passait alors par une vaste rue. La lune se levait large, rouge et majestueuse. En voilà une toute neuve ! dit-il. Où est celle d’hier ;

— C’est la même toujours, mais mieux frappée par le soleil que nous ne voyons plus, et dont elle n’est que le reflet.

— Qui donc a fait ces deux belles choses si gaies ?

— Dieu ! qui t’a fait une mère et qui m’a fait un fils.

 Que je l’aime ! et dis-moi, reprit-il après un long silence : n’y a-t-il qu’un bon Dieu dans le ciel ?

— Un seul.

— Ah ! tant mieux ! répliqua-t-il avec joie.

— Pourquoi tant mieux ?

— C’est que, s’ils étaient deux, ils se battraient, et alors… ce ne seraient plus le bon Dieu.


Il ne faut pas juger Dieu d’après les hommes.
 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) - poétesse française - L’Enfant questionneur
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16 novembre 2024 6 16 /11 /novembre /2024 22:53

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) - poétesse française - 

 


Le nuage et l’enfant

 

L’enfant disait au nuage :

" Attends-moi jusqu’à demain,

Et par le même chemin

Nous nous mettrons en voyage.

 

" Toi, sous tes belles lueurs ;

Moi, dans les champs pleins de fleurs,

Sur le cheval de mon père :

Nous irons vite, j’espère !

 

" Je m’y tiens bien, tu verras !

J’y monte seul à la porte ;

Et quand mon père m’emporte,

Je n’ai pas peur dans ses bras.

 

" Quand il fait beau, comme un guide,

En tête il me fait asseoir ;

Toi, d’en haut tu pourrais voir

Comme je tiens bien la bride !

 


" Ah ! je voudrais d’ici là

Ne faire qu’une enjambée

Sur la nuit toute tombée,

Pour te dire : Me voilà !

 

" Mais je vais faire un beau rêve

Où je rêverai de toi ;

Jusqu’à ce que Dieu l’achève,

Ami nuage, attends-moi !

 


Comme il jetait les paroles

De ses espérances folles,

Le nuage décevant

Glissait, poussé par le vent.

 

Pourtant le bambin sautille,

L’oiseau chante, l’eau scintille,

Et l’écho lui sonne au cœur :

" Demain ! demain ! quel bonheur ! "

 

Enfin le soleil se couche

Et son baiser qui le touche

D’un voile ardent clôt ses yeux

Qu’il tenait ouverts aux cieux.

 


Près de rentrer chez sa mère,

Au voyageur éphémère

L’enfant veut parler encor,

Mais le beau fantôme d’or

 

N’est plus qu’une vapeur grise

Qu’avec un cri de surprise,

L’enfant qu’il vient d’éblouir

Voit fondre et s’évanouir.

 

Au cri de la petite âme,

S’est élancée une femme

Qui, le voyant sauf et sain,

Boudeur l’emporte à son sein.

 

Plaintif, le mignon s’y cache,

Déclarant ce qui le fâche,

Que, sans son bel étranger,

Il ne veut plus voyager !

 

" Si tu chéris les nuages,

Mon amour, pour tes voyages

Le temps en aura toujours ;

Il en passe tous les jours.

 


— Ce ne sera plus le même,

Celui-là, mère, je l’aime ! "

Dit l’enfant, puis il pleura…

Et la femme soupira.

 


Juin 1848.
 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  - poétesse française -  Le nuage et l’enfant
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13 juillet 2024 6 13 /07 /juillet /2024 22:55

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  poétesse française

 

 

Ondine à l’école

 

Vous entriez, Ondine, à cette porte étroite,

Quand vous étiez petite, et vous vous teniez droite ;

Et quelque long carton sous votre bras passé

Vous donnait on ne sait quel air grave et sensé

Qui vous rendait charmante. Aussi, votre maîtresse

Vous regardait venir, et fière avec tendresse,

Opposant votre calme aux rires triomphants,

Vous montrait pour exemple à son peuple d’enfants ;

Et du nid studieux l’harmonie argentine

Poussait à votre vue : " Ondine ! Ondine ! Ondine ! "

Car vous teniez déjà votre palme à la main,

Et l’ange du savoir hantait votre chemin.

 

Moi, penchée au balcon qui surmontait la rue,

Comme une sentinelle à son heure accourue,

Je poursuivais des yeux mon mobile trésor,

Et disparue enfin je vous voyais encor.

Vous entraîniez mon âme avec vous, fille aimée,

Et je vous embrassais par la porte fermée.

 

Quel temps ! De tous ces jours d’école et de soleil

Qui hâtaient la pensée à votre front vermeil,

De ces flots de peinture et de grâce inspirée,

L’âme sort-elle heureuse, ô ma douce lettrée ?

Dites, si quelque femme avec votre candeur

En passant par la gloire est allée au bonheur ?…

 

Oh ! que vous me manquiez, jeune âme de mon âme !

Quel effroi de sentir s’éloigner une flamme

Que j’avais mise au monde, et qui venait de moi,

Et qui s’en allait seule : Ondine ! quel effroi !

 

Oui, proclamé vainqueur parmi les jeunes filles,

Quand votre nom montait dans toutes les familles,

Vos lauriers m’alarmaient à l’ardeur des flambeaux :

Ils cachaient vos cheveux que j’avais faits si beaux !

Non, voile plus divin, non, plus riche parure

N’a jamais d’un enfant ombragé la figure.

Sur ce flot ruisselant qui vous gardait du jour

Le poids d’une couronne oppressait mon amour.

Vos maîtres étaient fiers et moi j’étais tremblante ;

J’avais peur d’attiser l’auréole brûlante,

Et, troublée aux parfums de si précoces fleurs,

Vois-tu, j’en ai payé l’éclat par bien des pleurs.

Comprends tout… J’avais vu tant de fleurs consumées !

 

Tant de mères mourir, de leur amour blâmées !

Ne sachant bien qu’aimer je priais Dieu pour vous,

Pour qu’il te gardât simple et tendre comme nous ;

Et toi tu souriais intrépide à m’apprendre

Ce que Dieu t’ordonnait, ce qu’il fallait comprendre.

Muse, aujourd’hui, dis-nous dans ta pure candeur

Si Dieu te l’ordonnait du moins pour ton bonheur ?
 

Norbert Goeneutte - La leçon

Norbert Goeneutte - La leçon

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10 juillet 2024 3 10 /07 /juillet /2024 22:40

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)poétesse

française

 

 

La grande petite fille

 

Maman ! comme on grandit vite !

Je suis grande, j’ai cinq ans !

Eh bien, quand j’étais petite,

J’enviais toujours les grands.

 

Toujours, toujours à mon frère,

S’il venait me secourir,

Même, quand j’étais par terre,

Je disais : " Je veux courir ! "

 

Ah ! c’était si souhaitable

De gravir les escaliers !

À présent, je dîne à table ;

Je danse avec mes souliers !

 

Et ma cousine Mignonne

À qui j’apprends à parler

Du haut des bras de sa bonne

Boude, en me voyant aller.

 


Pauvre enfant ! Qu’elle est gentille

Quand elle pleure après moi !

J’en fais ma petite fille ;

Je la baise comme toi,

 

Lorsque, me voyant méchante,

Tu chantais pour me calmer.

Je la calme aussi ; je chante

Pour la forcer de m’aimer.

 

Et puis, maman, je suis forte,

Bon papa te le dira.

Son grand fauteuil, à la porte,

Sais-tu qui le roulera ?

 

Moi ! c’est sur moi qu’il s’appuie

Quand son pied le fait souffrir ;

C’est moi qui le désennuie

Quand il dit :  " Viens me guérir "

 

Ô maman, je te regarde

Pour apprendre mon devoir,

Et c’est doux d’y prendre garde

Puisque je n’ai qu’à te voir.

 


Quand j’aurai de la mémoire,

C’est moi qui tiendrai la clé,

Veux-tu, de la grande armoire

Où le linge est empilé ?

 

Nous la polirons nous-mêmes

De cire à la bonne odeur ;

Ô maman, puisque tu m’aimes

Je suis sage avec ardeur !

 

Nous ferons l’aumône ensemble

Quand tes chers pauvres viendront.

Un jour, si je te ressemble.

Maman ! comme ils m’aimeront !

 

Je sais ce que tu vas dire ;

Tous tes mots, je m’en souviens.

Là, j’entends que ton sourire

Dit : " Viens m’embrasser ! " Je viens !
 

Elisabeth-Louise Vigée Le Brun - Mère et fille

Elisabeth-Louise Vigée Le Brun - Mère et fille

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