Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) poétesse française .
Le petit oiseleur
La mère
Vous voilà bien riant, mon amour ! quelle joie !
Comme un petit chasseur, traînez-vous quelque proie ?
Sous ce fragile osier cachez-vous un trésor ?
L’enfant
C’est un oiseau du ciel ; il a des plumes d’or.
Il reposait son vol au bord de la fontaine ;
J’ai retenu longtemps mes pas et mon haleine :
Quand il a secoué son plumage plein d’eau,
J’ai saisi ses ailes mouillées,
Et le voilà, blotti dans les fleurs effeuillées.
Regardez qu’il est bien, ma mère, et qu’il est beau !
La mère
Oui, je l’entends gémir.
L’enfant
Non, mère, c’est qu’il chante.
La mère
Vous croyez, mon amour ? Sa chanson est touchante.
L’enfant
Je crois qu’il est content puisqu’il est dans les fleurs ;
Il les aime. Son nid est sous l’amandier rose,
Cet arbre au fruit de lait que la fontaine arrose ;
C’est là qu’il dérobait ses brillantes couleurs.
La mère.
Y demeurait-il seul ?
L’enfant.
Ses enfants sont au gîte :
C’était pour les revoir qu’il se baignait si vite.
Mais je n’ai point de peur, ils ne sauraient bouger ;
Ils n’ont pas une plume et n’ont rien à manger.
La mère
Que vont-ils devenir ?
L’enfant
J’agrandirai la cage ;
J’en ferai dans l’hiver un semblant de bocage ;
Et j’aurai mille oiseaux qui chanteront toujours.
Que de musiciens pour amuser mes jours !
Quel bonheur de nourrir tant de joyeux esclaves !
À peine ils sentiront leurs légères entraves.
Ô ma mère, j’y cours.
La mère
Arrêtez… il fait nuit ;
Quelque chose de triste entoure ce réduit ;
Restez ! de noirs soldats les farouches cohortes
Au coucher du soleil ont assailli nos portes.
Ne vous éloignez pas, ne quittez plus mon sein ;
De vous saisir peut-être ils avaient le dessein.
L’enfant
Des soldats ? et beaucoup, ma mère ? et pour me prendre ?
La mère
Vous, charme de ma vie, et pour ne plus vous rendre.
L’enfant
Que feront-ils de moi ?
La mère
Qui le sait ? un captif,
Un orphelin, peut-être ; un prisonnier plaintif.
L’enfant
Sauvez-moi !
La mère.
Priez Dieu, c’est en lui que j’espère,
Loin de nous les cruels emmènent votre père,
Ce père, si content quand ils vous embrassait,
Ce gardien de vos jours et qui les nourrissait.
L’enfant
Mon père prisonnier !
La mère
C’est le roi qui l’ordonne.
L’enfant
Qu’est-ce qu’un roi ?
La mère.
Puissant par l’amour ou l’effroi,
Un maître s’il punit, presque un Dieu s’il pardonne.
L’enfant.
Ah ! laissez-moi sortir : je veux parler au roi,
Mon père va mourir !
La mère
Eh quoi ! si jeune encore,
Savez-vous si l’on meurt loin de ceux qu’on adore ?
Qu’arraché de son toit votre appui va souffrir ?
Que sans la liberté l’on n’a plus qu’à mourir ?
Savez-vous qu’en prison la vie est bien amère ?
L’enfant
Oui, nous mourrons sans vous, et vous mourrez, ma mère.
Mais ce roi si méchant, qui l’a mis en courroux ?
La mère
Le roi n’est ni méchant ni cruel plus que vous,
Mon fils. Las de ses jeux, il vient troubler les nôtres ;
Libre, il a des captifs : n’avez-vous pas les vôtres ?
Dans une chambre étroite il vous renfermera.
Mais vous serez content, car il vous nourrira,
Pourquoi de vos sanglots déchirez-vous mon âme ?
Est-ce à vous, cher coupable, à murmurer le blâme ?
Nous sommes des oiseaux dans ses cages plongés.
Pourquoi de son plaisir serions-nous affligés,
Si, dans ses jeux de roi qu’on a faits légitimes,
De lumière et d’air pur il prive ses victimes ?
Où courez-vous ?
L’enfant
De l’air ! de l’air au prisonnier !
Qu’il respire, ma mère, et qu’il vole, et qu’il vive !
Oiseau ! des malheureux que n’est-tu le dernier !
Je ne veux point d’esclave.
La mère
Ô clémence naïve !
Embrassez-moi, mon fils, vous m’arrachez des pleurs :
Soyez libre vous-même, et calmez vos douleurs.
Quoi ! jusque dans mes bras votre frayeur palpite !…
Ah ! le cœur de l’oiseau palpitait-il moins vite,
Quand votre instinct cruel empêcha son essor !
Enfant, sans vos chagrins quel eût été son sort ?
Vous ravissiez l’époux à l’épouse éperdue ;
Elle eût traîné sa plainte, et Dieu l’eût entendue !
Et les petits tout nus, glacés dans votre main,
Auraient péri de froid, de langueur et de faim.
L’enfant
Ah ! je n’y songeais pas !
La mère
Maintenant tout respire ;
Tout se calme et s’endort.
L’enfant
Et mon père ?
La mère
Il soupire,
Comme l’oiseau du ciel un moment arrêté ;
Mais Dieu, qui voit partout, veille à sa liberté.
L’enfant
Le roi le voudra-t-il ? nous rendra-t-il mon père ?
La mère.
Oui, mon fils, oui, mon bien, maintenant je l’espère ;
Oui, s’il a des enfants comme les miens chéris,
Des jeunes suppliants il accueille les cris.
Un père a dans le cœur je ne sais quoi de tendre ;
Toutes les voix d’enfant savent s’y faire entendre.
L’enfant
Je veux le voir. Venez ! conduisez-moi vers lui.
La mère
Oui, mon amour, demain.
L’enfant
Pas demain, aujourd’hui.
La mère
Quoi ! votre chère enfance à cette heure exposée ?…
L’enfant
Je veux montrer au roi cette cage brisée ;
Je lui dirai : Voyez ! je fus méchant aussi ;
Je ne le suis plus, Dieu merci !
Au captif innocent j’ai rendu la volée,
Et sa famille consolée
À cette heure est au nid plus heureuse que nous !
Le même arbre en ses fleurs les couvre et les rassemble :
Chaque famille ainsi doit s’endormir ensemble,
Et nous venons chercher mon père à vos genoux.
La mère
Écoutez !… par l’appui de quelque voix divine,
On dirait que le roi vous plaint et vous devine ;
Car voici votre père, il a tout entendu :
Enfant, Dieu vous absout, puisqu’il nous est rendu.