Louis Janmot (1814-1892) peintre et poète français
Poèmes de l'âme
I-V Naissance et enfance de l'âme
V - Souvenir du ciel
Lorsqu'arrive le soir, l'enfant lassé repose près du lit maternel sa tête blonde et rose ;
Et les songes, amis du paisible berceau, d'un monde merveilleux écartent le rideaux.
Dans une vaste plaine, au bord d'un fleuve,
Il rêve qu'il marche tout joyeux, ramassant sur la grève coquille et diamant, dont le prisme changeant
Luit dans le sable d'or en clairs reflets d'argent ; pendant que le soleil, qui sur les eaux décline,
Jette un dernier regard à la ville voisine, que les vitres en flamme et les toits, empourprés
D'une étrange splendeur, brillent transfigurés.
Tout à coup il entend comme un battement d'ailes, il écoute, il regarde : ô surprises nouvelles!
Des anges radieux aux doux yeux, au front pur, passent en se jouant dans le limpide azur.
Quel sourire divin sur leur bouche divine,sous leurs cheveux flottants quand leur beau col s'incline,
Sur le front d'un enfant qui, pour être embrassé, leur sourit à son tour entre leurs bras bercé !
Ainsi la rose en fleurs sur le bouton se penche, quand, au vent du matin, la verdoyante branche
Qui porte avec orgueil le couple gracieux, se balance légère en les berçant tous deux.
Des chants d'une harmonie inconnue à la terre, s'élèvent dans les airs, voilés, pleins de mystères.
Comme ces bruits confus que la brise parfois murmure en soupirant à l'ombre des grands bois.
Les célestes accents se croisent, se confondent et s'appellent entr'eux ;
des harpes leur répondent comme des lis semés sur la pourpre des rois, les belles notes d'or brillent entre les voix.
Lorsqu'apparaît dans le ciel d'un bleu sombre l'astre aux rayons d'argent, des étoiles sans nombre
Le chœur brillant l'entoure, et leur vive lueur scintille à ses côtés, sans ternir sa blancheur.
L'enfant seul délaissé, d'une oreille ravie écoute, puis soupire, et d'un œil plein d'envie Il regarde, il implore, en leur tendant les bras,
Les groupes bienheureux qui ne l'entendent pas ; qui, tels que des oiseaux, tantôt rasent la terre,
Dans l'ombre disparus, tantôt à la lumière émergeant tout à coup, reparaissent au loin,
S'entr'ouvrant dans la nue un splendide chemin que ne peut-il, comme eux emporté dans l'espace,
Atteindre dans son vol le nuage qui passe, le mettre sous ses pieds comme un échelon d'or,
Et de là vers les cieux reprendre son essor ! Mais plus grands sont les vœux, plus les efforts stériles.
De ses yeux abaissés sur ses pieds immobiles, des pleurs de désespoir commençaient à couler,
Quand d'une voix connue, il s'entend appeler : « Que de tes pleurs amers la source soit tarie ;
Vois-tu l'enfant Jésus et la Vierge Marie? Ils te consoleront.
En s'approchant de nous comme ils semblent sourire !.. à genoux, à genoux ! »
A peine ont-ils fléchi que, grâce inespérée ! Comme d'un corps mortel une âme délivrée.
Fleuve, grève, sous ses pieds semblent fuir, et, d'un vol qui s'accroît au gré de son désir, il monte vers le ciel...
mais, hélas ! même en rêve, le bonheur s'entrevoit et jamais ne s'achève des êtres lumineux la vision s'enfuit,
Et l'enfant reste seul dans la profonde nuit.