28 mai 2024 2 28 /05 /mai /2024 22:14

 

 

René Ghil (1862-1925) poète français

 


Dies irae


Un soir l'Orgue d'église aux spasmes des Violons

Montait loin sa douleur sourde en les râles longs :

Voix de genèse, Amour et Trépas, ô pleurs longs !

Un soir l'Orgue montait dans l'horreur des Violons...

 

Horreur ! la Terre pleure, et, grande Trisaïeule,

Par la vulve et l'ovaire aux ouvraisons de gueule

Ainsi qu'une en gésine appelle et meugle seule :

Horreur ! la Terre pleure et pousse, en sa Terreur,

Son sein de glaise rouge et l'immense dièse

De la genèse en pleurs qui la saigne et la lèse :

Horreur ! la Mère pleure et du Tout la genèse

 


Dans le noir a vagi le grand et premier pleur :

Horreur ! la Terre a mis au monde ; et, pris de peur,

Le noir ivre - sonnez ! - ulule à voix mauvaise :

Dans l'Inouï sonnez ! ô vous que rien n'apaise,

Sonnez, horreurs du noir et dièse vainqueur !...

 

Sang des dièses ! le Vague en musique ruisselle

Sourde ou mélodieuse, et pleure, universelle,

Dans le spasme ou le spleen l'angoisse de mamelle,

Quand hurle l'aise large ou meugle d'inespoir :

 

Sang des dièses ! le Vague, eau de voix noire et pâle,

Voix de gorge se pâme; et, hors du sexe mâle,

Le pollen doux et rauque et qui de Tout s'exhale

Hurle un péan d'amour et de mâle vouloir :

 

Sang des dièses ! l'Amour hurle son péan noir

Dans le noir qui - sonnez ! - ulule au large et râle :

Dans l'inouï sonnez, ô rauqueur animale,

Plaisir aigu qui pleure aux serres du pouvoir !...

 

Vide et Trépas ! du Tout pleure au loin la nénie :

A la Terre au sein noir l'âme du Vague unie

Doloroso s'éplore : et le pleur de la pluie,

Vide et trépas ! haut darde, et sous l'ire du nord

Troue, hélas ! de grands Trous et des mares navrées,

Des mares et des mers aux immenses marées

Montant : A Toi, Nihil ! ô vainqueur des durées,

A Toi gloire ! ô Tueur sans aise et sans remords !

 

Vide et Trépas ! la mer ample, en l'ire qui mord,

A des sourdeurs - sonnez ! - de gorges éplorées :

Dans l'Inouî sonnez ! ô voix enlangourées !

Ô noir primordial et soupirs sans essor !...

 

Oh pleurez ! longues voix, sourdes voix, voix des larmes !

Voix du monde qui saigne et qu'aux ivresses d'armes

Traverse, pâle et noir, le long peuple en alarmes

Des dièses de l'orgue et des âpres Violons !

Oh pleurez ! longues voix de la lèvre animale :

Rien ne vaut la douleur et le plaisir qui râle ;

Rien ne vaut l'orgue sourd et l'émoi qui s'exhale

Apre et rauque, et damné, des Violons noirs et longs :

 

Un soir l'Orgue d'église aux spasmes des Violons

Montait loin sa douleur sourde en les râles longs :

Voix de genèse, Amour et Trépas, ô pleurs longs !

Un soir l'Orgue montait dans l'horreur des Violons..

René Ghil (1862-1925) - poète français - Dies irae
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