9 mai 2024 4 09 /05 /mai /2024 21:47

 

 

Pierre de Ronsard (1524-1585) Poète français 

Recueil : Poésies diverses (1587).

 


À son luth


Si autrefois sous l'ombre de Gastine

Avons joué quelque chanson latine,

De Cassandre enamouré,

Sus, maintenant, luth doré,

Sus ; l'honneur mien, dont la voix délectable,

Sait réjouir les princes à la table,

Change de forme, et me sois

Maintenant un luth françois.

 

Je t'assure que tes cordes
Par moi ne seront polues

De chansons salement ordes

D'un tas d'amours dissolues ;

Je ne chanterai les princes,

Ni le soin de leurs provinces,

Ni moins la nef que prépare

Le marchant, las ! trop avare

Pour aller après ramer

Jusqu'aux plus lointaines terres,

Pêchant ne sais quelles pierres

Au bord de l'Indique mer.

 

Tandis qu'en l'air je soufflerai ma vie,

Sonner Phébus j'aurai toujours envie,

Et ses compagnes aussi,

Pour leur rendre un grand merci

De m'avoir fait poète de nature,

Idolâtrant la musique et peinture,

Prestre saint de leurs chansons,

Qui accordent à tes sons.

 

L'enfant que la douce Muse

Naissant d'œil bénin a vu,

Et de sa science infuse

Son jeune esprit a pourvu,

Toujours en sa fantaisie

Ardera de poésie

Sans prétende un autre bien ;

Encor qu'il combattit bien,

Jamais les Muses peureuses

Ne voudront le prémïer

De laurier, fut-il premier

Aux guerres victorieuses.

 

La poésie est un feu consumant

Par grand ardeur l'esprit de son amant,

Esprit que jamais ne laisse

En repos, tant elle presse.

Voila pourquoi le ministre des Dieux

Vit sans grands biens, d'autant qu'il aime mieux

Abonder d'inventions

Que de grandes possessions.

 

Mais Dieu juste, qui dispense

Tout en tous, les fait chanter

Le futur en récompense

Pour le monde épouvanter.

Ce sont les seuls interprètes

Des hauts Dieux que les poètes ;

Car aux prières qu'ils font

L'or aux Dieux criant ne sont,

Ni la richesse, qui passe ;

Mais un luth toujours parlant

L'art des Muses excellent,

Pour dessus leur rendre grâce.

 

Que dirons-nous de la musique sainte ?

Si quelque amante en a l'oreille atteinte,

Lente en larmes goutte à goutte

Fondra sa chère âme toute,

Tant la douceur d'une harmonie éveille

D'un cœur ardent l'amitié qui sommeille,

Au vif lui représentant

L'aimé parce qu'elle entend.

 

La Nature, de tout mère,

Prévoyant que notre vie

Sans plaisir serait amère,

De la musique eut envie,

Et, ses accords inventant,

Alla ses fils contentant

Par le son, qui loin nous jette

L'ennui de l'âme sujette,

Pour l'ennui même donter ;

Ce que l'émeraude fine

Ni l'or tiré de sa mine

N'ont la puissance d'ôter.

 

Sus, Muses, sus, célébrez-moi le nom

Du grand Appelle, immortel de renom,

Et de Zeus qui peignait

Si au vif qu'il contraignait

L'esprit ravi du pensif regardant

A s'oublier soi-même, cependant

Que l'œil humait à longs traits

La douceur de ses portraits.

 

C'est un céleste présent

Transmis çà-bas où nous sommes,

Qui règne encore à présent,

Pour lever en haut les hommes ;

Car, ainsi que Dieu a fait

De rien le monde parfait,

II veut qu'en petite espace

Le peintre ingénieux fasse

(Alors qu'il est agité),

Sans avoir nulle matière,

Instrument de deïté.

 

On dit que cil qui ranima les terres,

Vuides de gens, par le jet de ses pierres

(Origine de la rude

Et grossière multitude),

Avait aussi des diamants semé

Dont tel ouvrier fut vivement formé,

Son esprit faisant connaître

L'origine de son être.

 

Dieux ! de quelle oblation

Acquitter vers vous me puis-je,

Pour rémunération

Du bien reçu qui m'oblige ?

Certes, je suis glorieux

D'être ainsi ami des dieux,

Qui seuls m'ont fait recevoir

Le meilleur de leur savoir

Pour mes passions guérir,

Et d'eux, mon luth, tu attends

Vivre çà-bas en tout temps,

Non de moi, qui dois mourir.

 

Ô de Phébus la gloire et le trophée,

De qui jadis le Thracien Orphée

Faisait arrêter les vents

Et courir les bois suivants !

Je te salue, ô luth harmonieux,

Raclant de moi tout le soin ennuyeux,

Et de mes amours tranchantes

Les peines, lorsque tu chantes !
 

Valentin de Boulogne joueur de luth - 1625 1626

Valentin de Boulogne joueur de luth - 1625 1626

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