Marguerite Yourcenar (1903-1987) femme de lettres et académicienne française.
En tête à tête avec le piano
Un soir... je cédai à l'attirance du piano, qui jusqu'alors était resté fermé. J'étais seul dans le salon presque sombre... Il est des musiques fraîches où l'on se désaltère : du moins je le pensais. Je me mis à jouer.
Je jouais; je jouais d'abord avec précaution, doucement, délicatement comme si j'avais mon âme à endormir en moi. J'avais choisi les morceaux les plus calmes, de purs miroirs d'intelligence, Debussy ou Mozart...
Je jouais vaguement, laissant chaque note flotter sur du silence.
...Et ce fut à ce moment que mes mains m'apparurent. Mes mains reposaient sur les touches, deux mains nues... et c'était comme si j'avais sous les yeux mon âme deux fois vivante. Mes mains... me semblaient tout à coup extraordinairement sensitives; mêmes immobiles, elles paraissaient emmurer le silence comme pour l'inciter à se révéler en accords...