3 décembre 2021 5 03 /12 /décembre /2021 15:34

 

Arthur Rimbaud (1854-1891)  poète français, 

Bien que brève, son œuvre poétique est caractérisée par une prodigieuse densité thématique et stylistique, faisant de lui une des figures majeures de la littérature française.

Album zutique - Louis Ratisbonne.

 


L'Angelot maudit

 

Toits bleuâtres et portes blanches
Comme en de nocturnes dimanches,

 

Au bout de la ville sans bruit
La Rue est blanche, et c'est la nuit.

 

La Rue a des maisons étranges
Avec des persiennes d'Anges.

 

Mais, vers une borne, voici
Accourir, mauvais et transi,

 

Un noir Angelot qui titube,
Ayant trop mangé de jujube.

 

Il fait caca : puis disparaît :
Mais son caca maudit paraît,

 

Sous la lune sainte qui vaque,
De sang sale un léger cloaque!

 

Ecole XX),s. - Angelot

Ecole XX),s. - Angelot

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3 décembre 2021 5 03 /12 /décembre /2021 15:33

 

Géo Norge (1898-1989), de son vrai nom Georges Mogin, est un poète belge d'expression française. 

 

 

Révolte des Anges

 

Nos fameux canons de terre glaise.

Nos ailes de poussière et nos becs

De suie et nos tourelles de braise.

Quelle armée et quelle artillerie !

 

On en a vu des anges dans

Les impasses glissantes du vent.

Nos clairons leur ont sucé le jus.

Séraphins grillés sur vos échelles.

Anges effeuillés, petits flocons

Prisonniers de nos chaînes de glu.

Salue/ ces brigades rebelles !

Les brèches du ciel, nous les tenons.

 

Et grincent les fifres du démon

Surelets puis grandis en orage :

Ce sont les orgues des beaux ravages.

Quelle grande marée elles font.

 

Nos fameux fusils de sable sec

Tirent leurs célèbres coups de feu.

Dans la cime on les entend avec

Lenteur moudre le trône de Dieu.
 

Géo Norge (1898-1989) - poète belge - Révolte des Anges
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3 décembre 2021 5 03 /12 /décembre /2021 15:33


Géo Norge (1898-1989), de son vrai nom Georges Mogin, est un poète belge d'expression française. 

 

 

Séraphin 

 


Un jour est repu

Le ver calme et blanc

Qui ronge.

 

Le dernier venu

Du songe.

 

Le petit rampant.

Le petit mineur

Se sent en humeur

D'azur.

 

A d'autres gloutons

Il cède un peu ton

Fémur.

 

Il boit tout le ciel,

Il goûte le miel

Des nues.

 

Le petit dodu

Se sent les vertus

Emues.

 

Ainsi, séraphin

De l'argile, enfin

Te venge.

 

Son désir ailé

Son élan d'aller

Aux anges.
 

Géo Norge ((1898-1989) - poète belge d'expression française - Séraphin 
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2 décembre 2021 4 02 /12 /décembre /2021 13:29

 

 

Max Jacob (1876-1944), mort à Drancy, poète moderniste et romancier mais aussi un peintre français.

 


La lutte contre l'Ange

 


L'ange aux ailes d'épervier, l'ange fut vainqueur de Jacob 

mais il y avait là deux colonnes égyptiennes,

peintes des signes éternels : 

oh ! colonnes resplendissantes brillantes

de toutes les couleurs radieuses, 

l'ange pensa les détruire :

il échoua.

Oh ! colonnes resplendissantes,

si vous êtes celles des Saintes Écritures,

soutenez-moi dans ma lutte contre l'ange aux ailes d'épervier.
 

Gustave Moreau  (1826–1898) La lutte de Jacob contre l'Ange  (Gn 32, 31)(1874-1878)

Gustave Moreau (1826–1898) La lutte de Jacob contre l'Ange (Gn 32, 31)(1874-1878)

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2 décembre 2021 4 02 /12 /décembre /2021 13:29

Max Jacob (1876-1944), mort à Drancy, poète moderniste et romancier mais aussi un peintre français.

 

 

Les anges déménagent

 

Voici que les anges chavirent

Voici ! les anges se retirent !

Comme les maladies et comme la pâleur

Comme les vieilles heures.

 

Ils m'avaient invité chez eux

Leurs tables étaient bien pourvues.

Des anges j'avais la confiance

Ils m'avaient fait leurs confidences

"Gare si tu es infidèle !

"Rien n'est qu'osmose ! pas d'étincelles !

"Lorsque les anges déménagent

"Qui suivrait notre escamotage ?"

 

Le jardin, mon jardin n'est plus qu'un solfatare

Quand on arrive on trouve

Les démons et les louves

Les démons et les Sicambres les décombres.

Le jardin, mon jardin n'est plus qu'un solfatare.

Visages, vous laissez ma poitrine au catarrhe

Parfumeur, tu me laisses à mes odeurs d'été, 

Et la crasse envahit lentement mes complets.

 

A vous héros du ciel comment me présenter ?

"Non non, pas de l'odeur des fauves !

"Depuis ta dernière débauche

"Tu sens la bile et la colique

"Comme un musée zoologique !"

 

Démons, j'avais la vocation des firmaments.

J'ai recueilli des témoignages d'habitants.

Et maintenant l'enfer ?

Quand jusqu'à la ceinture

Les flammes observent comme un lac de verdure

Et vous ceignent de plis en terrible velours

Il est trop tard ! trop tard pour implorer secours.
 

Max Jacob (1876-1944) - poète moderniste et romancier, peintre français - Les anges déménagent
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2 décembre 2021 4 02 /12 /décembre /2021 13:28


 

Max Jacob (1876-1944), mort à Drancy, poète moderniste et romancier mais aussi un peintre français.

 


L'Ange de Sainte Véronique

 

eAllez du côté des remparts

sur la promenade des remparts.

Prenez des torchons propres avec vous

du beau linge fin,

disait un ange à

Sainte

Véronique

Et que ferais-je près des remparts sur la promenade des remparts

que ferais-je du linge fin ?

Un condamné à mort vous le verrez vous verrez un condamné

avec les bois de

Justice sur le dos.

Deux autres seront près de

Lui

deux condamnés avec leurs gibets

avec leurs gibets sur le dos.

La foule ne manquera pas,

Des trois l'un est innocent :

il est venu sur terre pour vous sauver tous de l'enfer.

Et comment reconnaître

Celui qui est cet agneau ?

A la couronne qu'il aura sur le front.

A la couronne je le reconnaîtrai

et son sang je l'essuierai

ses pieds salis je les essuierai

avec mon torchon neuf, avec mon tablier.

Il vous faut du courage à cause des soldats

Vous garderez la toile marquée par ce sang-là

Tenez-la à la main le jour que vous mourrez

Au grand

Saint

Pierre du ciel vous la lui montrerez ! "

 

Sainte Véronique au Suaire, Maître de la Véronique vers 1420.

Sainte Véronique au Suaire, Maître de la Véronique vers 1420.

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1 décembre 2021 3 01 /12 /décembre /2021 20:38

 

Delphine Jouve

7 septembre 2003

 


Un ange de lumière

 

Un ange de lumière

Est venu ce matin

Contempler sur la Terre

La vie des humains.

Un ange tout petit

Avec des ailes blanches,

Un regard malicieux

Et de très long cheveux.

Intrigué par la vie

Que l'on mène ici bas,

Perché sur son nuage,

Le petit ange, toute la journée resta.

Il n'avait de sa vie vu pareilles couleurs :

Du noir, du gris, du brun et du bleu nuit,

Pas plus qu'au Paradis il avait entendu

De si étranges sons et une telle cacophonie.

Il vit ainsi toute la journée,

Les hommes passer et repasser

Avec toujours ce petit air pressé.

"Je n'en reviens pas" se dit-il

"Que les hommes puissent vivre ainsi.

Pas un n'a des ailes,

Personne ne sourit,

Ils ne grimpent pas aux nuages,

Vieillissent, ont tous un âge !"

A la fin de la journée

Le petit ange de lumière

S'en fut au Paradis

Pour aller voir Saint Pierre.

"Pourquoi les hommes vivent-ils ainsi ?"

Demanda-il au viel homme en barbe blanche

Assis en face de lui.

"Pourquoi en bas n'est-ce pas comme ici ?"

Saint Pierre après un long moment de réflexion

Répondit au petit ange de lumière :

"Tu me poses là une bien drôle de question !

Si les hommes vivent sur la Terre,

Ce n'est pas sans raison,

La violence, la souffrance et la guerre

N'ont pas de place dans notre maison.

Mais n'oublie pas que les anges sont là

Pour veiller sur la Terre,

Exaucer les voeux de ceux qui le méritent,

Répandre l'amour et l'amitié sans discernement de frontière

Apporter joie santé et bonne humeur

A toute vie qui peuple la planète.

Ainsi grâce à toi et à tous tes amis,

Dieu espère rendre le coeur des hommes meilleur,

Qu'il ne l'a été jusqu'ici."

Le petit ange de lumière

Répondit alors en souriant à Saint Pierre :

"Je crois que j'ai compris,

Il manque juste aux hommes,

Dans un coin de leur coeur,

Un petit bout de Paradis."
 

Delphine Jouve - Poète - Un ange de lumière
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1 décembre 2021 3 01 /12 /décembre /2021 16:08

Alfred Victor de Vigny ou comte de Vigny (1797-1863) écrivain, romancier, dramaturge et poète français.

Recueil : "Poèmes antiques et modernes"

 

 

Éloa, ou la sœur des Anges – Chant I – Naissance

 

C’est le serpent, dit-elle, je l’ai écouté,

et il m’a trompée.

Genèse.

 

 

Il naquit sur la terre un Ange, dans le temps

Où le Médiateur sauvait ses habitants.

Avec sa suite obscure et comme lui bannie,

Jésus avait quitté les murs de Béthanie ;

À travers la campagne il fuyait d’un pas lent,

Quelquefois s’arrêtait, priant et consolant,

Assis au bord d’un champ le prenait pour symbole,

Ou du Samaritain disait la parabole,

La brebis égarée, ou le mauvais pasteur,

Ou le sépulcre blanc pareil à l’imposteur ;

Et, de là, poursuivant sa paisible conquête,

De la Chananéenne écoutait la requête,

À la fille sans guide enseignait ses chemins,

Puis aux petits enfants il imposait les mains.

L’aveugle-né voyait, sans pouvoir le comprendre,

Le lépreux et le sourd se toucher et s’entendre,

Et tous, lui consacrant des larmes pour adieu,

Ils quittaient le désert où l’on exilait Dieu.

Fils de l’homme et sujet aux maux de la naissance,

Il les commençait tous par le plus grand, l’absence,

Abandonnant sa ville et subissant l’Édit,

Pour accomplir en tout ce qu’on avait prédit.

 

Or, pendant ces temps-là, ses amis en Judée

Voyaient venir leur fin qu’il avait retardée :

Lazare, qu’il aimait et ne visitait plus,

Vint à mourir, ses jours étant tous révolus.

Mais l’amitié de Dieu n’est-elle pas la vie ?

Il partit dans la nuit ; sa marche était suivie

Par les deux jeunes sœurs du malade expiré,

Chez qui dans ses périls il s’était retiré.

C’étaient Marthe et Marie ; or Marie était celle

Qui versa les parfums et fit blâmer son zèle.

Tous s’affligeaient ; Jésus disait en vain : "Il dort."

Et lui-même, en voyant le linceul et le mort,

Il pleura. — Larme sainte à l’amitié donnée,

Oh ! vous ne fûtes point aux vents abandonnée !

Des Séraphins penchés l’urne de diamant,

Invisible aux mortels, vous reçut mollement,

Et comme une merveille, au Ciel même étonnante,

Aux pieds de l’Éternel vous porta rayonnante.

De l’oeil toujours ouvert un regard complaisant

Émut et fit briller l’ineffable présent ;

Et l’Esprit-Saint sur elle épanchant sa puissance,

Donna l’âme et la vie à la divine essence.

Comme l’encens qui brûle aux rayons du soleil

Se change en un feu pur, éclatant et vermeil,

On vit alors du sein de l’urne éblouissante

S’élever une forme et blanche et grandissante,

Une voix s’entendit qui disait : "Éloa !"

Et l’Ange apparaissant répondit : "Me voilà."

 

Toute parée, aux yeux du Ciel qui la contemple,

Elle marche vers Dieu comme une épouse au Temple ;

Son beau front est serein et pur comme un beau lis,

Et d’un voile d’azur il soulève les plis ;

Ses cheveux, partagés comme des gerbes blondes,

Dans les vapeurs de l’air perdent leurs molles ondes,

Comme on voit la comète errante dans les cieux

Fondre au sein de la nuit ses rayons gracieux

Une rose aux lueurs de l’aube matinale

N’a pas de son teint frais la rougeur virginale ;

Et la lune, des bois éclairant l’épaisseur,

D’un de ses doux regards n’atteint pas la douceur.

Ses ailes sont d’argent ; sous une pâle robe,

Son pied blanc tour à tour se montre et se dérobe,

Et son sein agité, mais à peine aperçu,

Soulève les contours du céleste tissu.

C’est une femme aussi, c’est une Ange charmante ;

Car ce peuple d’Esprits, cette famille aimante,

Qui, pour nous, près de nous, prie et veille toujours,

Unit sa pure essence en de saintes amours :

L’Archange Raphaël, lorsqu’il vint sur la Terre,

Sous le berceau d’Éden conta ce doux mystère.

Mais nulle de ces sœurs que Dieu créa pour eux

N’apporta plus de joie au ciel des Bienheureux.

Les Chérubins brûlants qu’enveloppent six ailes,

Les tendres Séraphins, dieux des amours fidèles,

Les Trônes, les Vertus, les Princes, les Ardeurs,

Les Dominations, les Gardiens, les Splendeurs,

Et les Rêves pieux, et les saintes Louanges,

Et tous les Anges purs, et tous les grands Archanges,

Et tout ce que le Ciel renferme d’habitants,

Tous, de leurs ailes d’or voilés en même temps,

Abaissèrent leurs fronts jusqu’à ses pieds de neige,

Et les Vierges ses sœurs, s’unissant en cortège,

Comme autour de la Lune on voit les feux du soir,

Se tenant par la main, coururent pour la voir.

Des harpes d’or pendaient à leur chaste ceinture ;

Et des fleurs qu’au Ciel seul fit germer la nature,

Des fleurs qu’on ne voit pas dans l’Été des humains,

Comme une large pluie abondaient sous leurs mains.

 

« Heureux, chantaient alors des voix incomparables,

Heureux le monde offert à ses pas secourables !

Quand elle aura passé parmi les malheureux,

L’esprit consolateur se répandra sur eux.

Quel globe attend ses pas ? Quel siècle la demande ?

Naîtra-t-il d’autres cieux afin qu’elle y commande ?"

Un jour… (Comment oser nommer du nom de jour

Ce qui n’a pas de fuite et n’a pas de retour ?

Des langages humains défiant l’indigence,

L’éternité se voile à notre intelligence,

Et, pour nous faire entendre un de ces courts instants,

Il faut chercher pour eux un nom parmi les temps.)

Un jour, les habitants de l’immortel empire,

Imprudents une fois, s’unissaient pour l’instruire.

"Éloa, disaient-ils, oh ! veillez bien sur vous :

Un Ange peut tomber ; le plus beau de nous tous

N’est plus ici : pourtant dans sa vertu première

On le nommait celui qui porte la lumière ;

Car il portait l’amour et la vie en tout lieu,

Aux astres il portait tous les ordres de Dieu ;

La terre consacrait sa beauté sans égale,

Appelant Lucifer l’étoile matinale,

Diamant radieux, que sur son front vermeil,

Parmi ses cheveux d’or a posé le soleil.

Mais on dit qu’à présent il est sans diadème,

Qu’il gémit, qu’il est seul, que personne ne l’aime,

Que la noirceur d’un crime appesantit ses yeux,

Qu’il ne sait plus parler le langage des Cieux ;

La mort est dans les mots que prononce sa bouche ;

Il brûle ce qu’il voit, il flétrit ce qu’il touche ;

Il ne peut plus sentir le mal ni les bienfaits ;

Il est même sans joie aux malheurs qu’il a faits.

Le Ciel qu’il habita se trouble à sa mémoire,

Nul ange n’oserait vous conter son histoire,

Nul ange n’oserait dire une fois son nom."

Et l’on crut qu’Éloa le maudirait ; mais non,

L’effroi n’altéra point son paisible visage,

Et ce fut pour le Ciel un alarmant présage.

Son premier mouvement ne fut pas de frémir,

Mais plutôt d’approcher comme pour secourir ;

La tristesse apparut sur sa lèvre glacée

Aussitôt qu’un malheur s’offrit à sa pensée ;

Elle apprit à rêver, et son front innocent

De ce trouble inconnu rougit en s’abaissant ;

Une larme brillait auprès de sa paupière.

Heureux ceux dont le cœur verse ainsi la première !

 

Un ange eut ces ennuis qui troublent tant nos jours,

Et poursuivent les grands dans la pompe des cours ;

Mais, au sein des banquets, parmi la multitude,

Un homme qui gémit trouve la solitude ;

Le bruit des nations, le bruit que font les rois,

Rien n’éteint dans son cœur une plus forte voix.

Harpes du Paradis, vous étiez sans prodiges !

Chars vivants dont les yeux ont d’éclatants prestiges !

Armures du Seigneur, pavillons du saint lieu,

Étoiles des bergers tombant des doigts de Dieu,

Saphirs des encensoirs, or du céleste dôme,

Délices du nebel, senteurs du cinnamome,

Vos bruits harmonieux, vos splendeurs, vos parfums

Pour un ange attristé devenaient importuns ;

Les cantiques sacrés troublaient sa rêverie,

Car rien n’y répondait à son âme attendrie

Et soit lorsque Dieu même, appelant les esprits,

Dévoilait sa grandeur à leurs regards surpris,

Et montrait dans les cieux, foyer de la naissance,

Les profondeurs sans nom de sa triple puissance,

Soit quand les chérubins représentaient entre eux

Ou les actes du Christ ou ceux des bienheureux,

Et répétaient au Ciel chaque nouveau mystère

Qui, dans les mêmes temps, se passait sur la terre,

La crèche offerte aux yeux des mages étrangers,

La famille au désert, le salut des bergers,

Éloa, s’écartant de ce divin spectacle,

Loin de leur foule et loin du brillant tabernacle,

Cherchait quelque nuage où dans l’obscurité

Elle pourrait du moins rêver en liberté.

Les anges ont des nuits comme la nuit humaine.

Il est dans le Ciel même une pure fontaine ;

Une eau brillante y court sur un sable vermeil ;

Quand un ange la puise, il dort, mais d’un sommeil

Tel que le plus aimé des amants de la terre

N’en voudrait pas quitter le charme solitaire,

Pas même pour revoir dormant auprès de lui

La beauté dont la tête a son bras pour appui.

Mais en vain Éloa s’abreuvait dans son onde,

Sa douleur inquiète en était plus profonde ;

Et toujours dans la nuit un rêve lui montrait

Un ange malheureux qui de loin l’implorait.

Les vierges quelquefois, pour connaître sa peine,

Formant une prière inentendue et vaine,

L’entouraient, et, prenant ces soins qui font souffrir,

Demandaient quels trésors il lui fallait offrir,

Et de quel prix serait son éternelle vie,

Si le bonheur du Ciel flattait peu son envie ;

Et pourquoi son regard ne cherchait pas enfin

Les regards d’un archange ou ceux d’un séraphin.

Éloa répondait une seule parole :

« Aucun d’eux n’a besoin de celle qui console.

On dit qu’il en est un… » Mais détournant leurs pas,

Les vierges s’enfuyaient et ne le nommaient pas.

 

Cependant, seule, un jour, leur timide compagne,

Regarde autour de soi la céleste campagne,

Étend l’aile et sourit, s’envole, et dans les airs

Cherche sa terre amie ou des astres déserts.

 

Ainsi dans les forêts de la Louisiane,

Bercé sous les bambous et la longue liane,

Ayant rompu l’œuf d’or par le soleil mûri,

Sort de son lit de fleurs l’éclatant Colibri ;

Une verte émeraude a couronné sa tête,

Des ailes sur son dos la pourpre est déjà prête,

La cuirasse d’azur garnit son jeune cœur,

Pour les luttes de l’air l’oiseau part en vainqueur…

Il promène en des lieux voisins de la lumière

Ses plumes de corail qui craignent la poussière ;

Sous son abri sauvage étonnant le ramier,

Le hardi voyageur visite le palmier.

La plaine des parfums est d’abord délaissée ;

Il passe, ambitieux, de l’érable à l’alcée,

Et de tous ses festins croit trouver les apprêts

Sur le front du palmiste ou les bras du cyprès ;

Mais les bois sont trop grands pour ses ailes naissantes.

Et les fleurs du berceau de ces lieux sont absentes ;

Sur la verte savane il descend les chercher ;

Les serpents-oiseleurs qu’elles pourraient cacher

L’effarouchent bien moins que les forêts arides.

Il poursuit près des eaux le jasmin des Florides,

La nonpareille au fond de ses chastes prisons,

Et la fraise embaumée au milieu des gazons.

 

C’est ainsi qu’Éloa, forte dès sa naissance,

De son aile argentée essayant la puissance,

Passant la blanche voie où des feux immortels

Brûlent aux pieds de Dieu comme un amas d’autels,

Tantôt se balançant sur deux jeunes planètes,

Tantôt posant ses pieds sur le front des comètes,

Afin de découvrir les êtres nés ailleurs,

Arriva seule au fond des Cieux inférieurs.

 

L’Éther a ses degrés, d’une grandeur immense,

Jusqu’à l’ombre éternelle où le chaos commence.

Sitôt qu’un ange a fui l’azur illimité,

Coupole de saphirs qu’emplit la Trinité,

Il trouve un air moins pur ; là passent des nuages,

La tournent des vapeurs, serpentent des orages,

Comme une garde agile, et dont la profondeur

De l’air que Dieu respire éteint pour nous l’ardeur.

Mais, après nos soleils et sous les atmosphères

Où, dans leur cercle étroit, se balancent nos sphères,

L’espace est désert, triste, obscur, et sillonné

Par un noir tourbillon lentement entraîné.

Un jour douteux et pâle éclaire en vain la nue,

Sous elle est le chaos et la nuit inconnue ;

Et, lorsqu’un vent de feu brise son sein profond,

On devine le vide impalpable et sans fond.

Jamais les purs esprits, enfants de la lumière,

De ces trois régions n’atteignent la dernière ;

Et jamais ne s’égare aucun beau séraphin

Sur ces degrés confus dont l’Enfer est la fin.

Même les chérubins, si forts et si fidèles,

Craignent que l’air impur ne manque sous leurs ailes,

Et qu’ils ne soient forcés, dans ce vol dangereux,

De tomber jusqu’au fond du chaos ténébreux.

Que deviendrait alors l’exilé sans défense ?

Du rire des démons l’inextinguible offense,

Leurs mots, leurs jeux railleurs, lent et cruel affront,

Feraient baisser ses yeux, feraient rougir son front.

Péril plus grand peut-être il lui faudrait entendre

Quelque chant d’abandon voluptueux et tendre,

Quelque regret du Ciel, un récit douloureux

Dit par la douce voix d’un ange malheureux.

Et même, en lui prêtant une oreille attendrie,

Il pourrait oublier la céleste patrie,

Se plaire sous la nuit et dans une amitié

Qu’auraient nouée entre eux les chants et la pitié.

Et comment remonter à la voûte azurée,

Offrant à la lumière éclatante et dorée

Des cheveux dont les flots sont épars et ternis,

Des ailes sans couleurs, des bras, un col brunis,

Un front plus pâle, empreint de traces inconnues

Parmi les fronts sereins des habitants des nues,

Des yeux dont la rougeur montre qu’ils ont pleuré,

Et des pieds noirs encor d’un feu pestiféré ?

Voila pourquoi, toujours prudents et toujours sages,

Les anges de ces lieux redoutent les passages.

 

C’était là cependant, sur la sombre vapeur,

Que la vierge Éloa se reposait sans peur ;

Elle ne se troubla qu’en voyant sa puissance,

Et les bienfaits nouveaux causés par sa présence.

Quelques mondes punis semblaient se consoler ;

Les globes s’arrêtaient pour l’entendre voler.

S’il arrivait aussi qu’en ces routes nouvelles

Elle touchât l’un d’eux des plumes de ses ailes,

Alors tous les chagrins s’y taisaient un moment,

Les rivaux s’embrassaient avec étonnement ;

Tous les poignards tombaient oubliés par la haine ;

Le captif souriant marchait seul et sans chaîne ;

Le criminel rentrait au temple de la loi ;

Le proscrit s’asseyait au palais de son roi ;

L’inquiète insomnie abandonnait sa proie ;

Les pleurs cessaient partout, hors les pleurs de la joie ;

Et, surpris d’un bonheur rare chez les mortels,

Les amants séparés s’unissaient aux autels.


 

Raphaël Drouart - Eloa ou La sœur des Anges - 1928

Raphaël Drouart - Eloa ou La sœur des Anges - 1928

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1 décembre 2021 3 01 /12 /décembre /2021 14:17

 

Victor Hugo (1802-1885) Poète français

Les contemplations

 

 

Aux anges qui nous voient

 

- Passant, qu'es-tu ? je te connais.

Mais, étant spectre, ombre et nuage,

Tu n'as plus de sexe ni d'âge.

- Je suis ta mère, et je venais !

 

- Et toi dont l'aile hésite et brille,

Dont l'oeil est noyé de douceur,

Qu'es-tu, passant ? - Je suis ta sœur.

- Et toi, qu'es-tu ? - Je suis ta fille.

 

- Et toi, qu'es-tu, passant ? - Je suis

Celle à qui tu disais : -Je t'aime !

- Et toi ? - Je suis ton âme même.

Oh ! cachez-moi, profondes nuits !
 

Victor Hugo (1802-1885) - Poète français -  Aux anges qui nous voient
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1 décembre 2021 3 01 /12 /décembre /2021 14:16


 

Victor Hugo (1802-1885) Poète français

Recueil : Océan - vers.

 


Mes poèmes


Mes poèmes ! soyez des fleuves !

Allez en vous élargissant !

Désaltérez dans les épreuves

Les coeurs saignants, les âmes veuves,

Celui qui monte ou qui descend.

 

Que l'aigle plonge, loin des fanges,

Son bec de lumière en vos eaux !

Et dans vos murmures étranges

Mêlez l'hymne de tous les anges

Aux chansons de tous les oiseaux 
 

 Victor Hugo (1802-1885) - Poète français - Mes poèmes
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