31 mai 2024 5 31 /05 /mai /2024 17:56

 

 

Émile Nelligan (1879-1941) poète québécois 

1903

Le jardin d'enfance

 

 

Clavier d’antan

 

Clavier vibrant de remembrance,

J’évoque un peu des jours anciens,

Et l’Éden d’or de mon enfance.

 

Se dresse avec les printemps siens,

Souriant de vierge espérance

Et de rêves musiciens…

 

Vous êtes morte tristement,

Ma muse des choses dorées,

Et c’est de vous qu’est mon tourment ;

 

Et c’est pour vous que sont pleurées

Au luth âpre de votre amant

Tant de musiques éplorées.
 

Émile Nelligan (1879-1941) - poète québécois - Clavier d’antan
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31 mai 2024 5 31 /05 /mai /2024 17:55

 

 

Emile Nelligan (1879-1941) poète québécois 

 

Chopin

 

Fais, au blanc frisson de tes doigts,

Gémir encore, ô ma maîtresse !

Cette marche dont la caresse

Jadis extasia les rois.

 

Sous les lustres aux prismes froids,

Donne à ce cœur sa morne ivresse,

Aux soirs de funèbre paresse

Coulés dans ton boudoir hongrois.

 

Que ton piano vibre et pleure,

Et que j’oublie avec toi l’heure

Dans un Éden, on ne sait où…

 

Oh ! Fais un peu que je comprenne

Cette âme aux sons noirs qui m’entraîne

Et m’a rendu malade et fou !

 Émile Nelligan - (1879-1941) poète québécois - Chopin
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31 mai 2024 5 31 /05 /mai /2024 17:49

 

 

Émile Nelligan (1879-1941) - poète québécois - 

Les Pieds sur les Chenets

 


Le Salon

 

La poussière s’étend sur tout le mobilier,

Les miroirs de Venise ont défleuri leur charme;

Il y rôde comme un très vieux parfum de Parme,

La funèbre douceur d’un sachet familier.

 

Plus jamais ne résonne à travers le silence

Le chant du piano dans les rythmes berceurs,

Mendelssohn et Mozart, mariant leurs douceurs,

Ne s’entendent qu’en rêve aux soirs de somnolence.

 

Mais le poète, errant sous son massif ennui,

Ouvrant chaque fenêtre aux clartés de la nuit,

Et se crispant les mains, hagard et solitaire,

 

Imagine soudain, hanté par des remords,

Un grand bal solennel tournant dans le mystère,

Où ses yeux ont cru voir danser les parents morts.

Émile Nelligan (1879-1941) - poète québécois - Le Salon
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31 mai 2024 5 31 /05 /mai /2024 17:48


 

 

Émile Nelligan (1879-1941) poète québécois 

Les Pieds sur les Chenets

 


Le Violon brisé

 

Aux soupirs de l’archet béni,

Il s’est brisé, plein de tristesse,

Le soir que vous jouiez, comtesse,

Un thème de Paganini.

 

Comme tout choit avec prestesse !

J’avais un amour infini,

Ce soir que vous jouiez, comtesse,

Un thème de Paganini.

 

L’instrument dort sous l’étroitesse

De son étui de bois verni,

Depuis le soir où, blonde hôtesse,

Vous jouâtes Paganini.

 

Mon cœur repose avec tristesse

Au trou de notre amour fini.

Il s’est brisé le soir, comtesse,

Que vous jouiez Paganini.
 

Émile Nelligan (1879-1941) - poète québécois - Le Violon brisé
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30 mai 2024 4 30 /05 /mai /2024 23:41

 

 

Émile Nelligan (1879-1941) poète québécois 

1903

 

Five O’clock

 

Comme Litz se dit triste au piano voisin !

....................

Le givre a ciselé de fins vases fantasques,

Bijoux d’orfèvrerie, orgueils de Cellini,

Aux vitres du boudoir dont l’embrouillamini

Désespère nos yeux de ses folles bourrasques.

Comme Haydn est triste au piano voisin !

....................

Ne sors pas ! Voudrais-tu défier les bourrasques,

Battre les trottoirs froids par l’embrouillamini

D’hiver ? Reste. J’aurais tes ors de Cellini,

Tes chers doigts constellés de leurs bagues fantasques.

Comme Mozart est triste au piano voisin !

....................

Le Five o’clock expire en mol ut crescendo.

— Ah ! qu’as-tu ? Tes chers cils s’amalgament de perles.

— C’est que je vois mourir le jeune espoir des merles

Sur l’immobilité glaciale des jets d’eau.

 

                                           ..... sol, la, si, do.

— Gretchen, verse le thé aux tasses de Yeddo.
 

Émile Nelligan (1879-1941) - poète québécois - Five O’clock
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30 mai 2024 4 30 /05 /mai /2024 22:20

 

 

Émile Nelligan (1879-1941) poète québécois 

1903

 


Mazurka

 

Rien ne captive autant que ce particulier

Charme de la musique où ma langueur s’adore,

Quand je poursuis, aux soirs, le reflet que mordore

Maint lustre au tapis vert du salon familier.

 

Que j’aime entendre alors, plein de deuil singulier,

Monter du piano, comme d’une mandore,

Le rythme somnolent où ma névrose odore

Son spasme funéraire et cherche à s’oublier !

 

Gouffre intellectuel, ouvre-toi, large et sombre,

Malgré que toute joie en ta tristesse sombre,

J’y peux trouver encor comme un reste d’oubli.

 

Si mon âme se perd dans les gammes étranges

De ce motif en deuil que Chopin a poli

Sur un rythme inquiet appris des noirs Archanges.
 

Émile Nelligan (1879-1941) poète québécois  1903 Mazurka
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30 mai 2024 4 30 /05 /mai /2024 20:32

 

 

Émile Nelligan (1879-1941) poète québécois 

1903

Musiques funèbres

 

Vêpres tragiques


Quand, rêvant de la morte et du boudoir absent,

Je me sens tenaillé des fatigues physiques,

Assis au fauteuil noir, près de mon chat persan,

J’aime à m’inoculer de bizarres musiques,

Sous les lustres dont les étoiles vont versant

Leur sympathie au deuil des rêve léthargiques.

 

J’ai toujours adoré, plein de silence, à vivre

En des appartements solennellement clos,

Où mon âme sonnant des cloches de sanglots,

Et plongeant dans l’horreur, se donne toute à suivre,

Triste comme un son mort, close comme un vieux livre,

Ces musiques vibrant comme un éveil de flots.


Que m’importe l’amour, la plèbe et ses tocsins ?

Car il me faut, à moi, des annales d’artiste ;

Car je veux, aux accords d’étranges clavecins,

Me noyer dans la paix d’une existence triste

Et voir se dérouler mes ennuis assassins,

Dans le prélude où chante une âme symbolique.

 

Je suis de ceux pour qui la vie est une bière

Où n’entrent que les chants hideux des croquemorts,

Où mon fantôme las, comme sous une pierre,

Bien avant dans les nuits cause avec ses remords,

Et vainement appelle, en l’ombre familière

Qui n’a pour l’écouter que l’oreille des morts.

 

Allons ! Que sous vos doigts, en rythme lent et long

Agonisent toujours ces mornes chopinades…

Ah ! que je hais la vie et son noir Carillon !

Engouffrez-vous, douleurs, dans ces calmes aubades,

Ou je me pends ce soir aux portes du salon,

Pour chanter en Enfer les rouges sérénades !

 

Ah ! funèbre instrument, clavier fou, tu me railles !

Doucement, pianiste, afin qu’on rêve encor !

Plus lentement, plaît-il ?… Dans des chocs de ferrailles,

L’on descend mon cercueil, parmi l’affreux décor

Des ossements épars au champ des funérailles,

Et mon cœur a gémi comme un long cri de cor !…
 

Émile Nelligan (1879-1941) - poète québécois - Vêpres tragiques
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30 mai 2024 4 30 /05 /mai /2024 19:08


 

Albert Lozeau (1878-1924) poète canadien-français 

1912 

Le Miroir des jours, Montréal, 

 

La royale chanson


 
Prends ton vieux violon,

Sonne la chanterelle

Et suis ma voix, le long

De la "Chanson pour Elle".

*

L’amoureuse n’est plus et le poète est mort ;

Mais la chanson d’amour, vivante, chante encor.

La chanson s’alanguit encore de leurs fièvres

En s’exhalant, le soir, aux lents soupirs des lèvres.

 

Le poète est sous terre et l’amoureuse aussi ;

Ils dorment, l’un tout près de l’autre, sans souci.


Des désirs qu’ils n’ont plus la chanson est brûlante ;

De leur bonheur passé la chanson seule chante.

 

Ils sont un peu de cendre au fond de deux cercueils,

Et la chanson exalte encore leur orgueil.

 

Elle était belle et douce aussi, la Bien-Aimée ;

La chanson de son souffle est toute parfumée.

 

Elle était reine, et lui grand prince ami de l’Art :

La chanson que je chante est du temps de Ronsard.

 

*

Sonne la chanterelle

À ton vieux violon,

Et suis ma voix, le long

De la "Chanson pour Elle."
 

 Albert Lozeau (1878-1924) - poète canadien-français -  Le Miroir des jours - La royale chanson (1912)
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30 mai 2024 4 30 /05 /mai /2024 17:31


 

Albert Lozeau (1878-1924) poète canadien-français 

(1912)

 


Le bouquet 


 
Musicienne blonde aux doigts frôleurs et doux

Puisque nous sommes seuls, quel air chanterons-nous ?

 

Ô Muse, dont les mains sont pleines de corolles,

Fais-moi, sur la musique, éclore des paroles !

 

Nous irons par les bois, harmonieusement,

Cueillir la rouge fleur du divin sentiment.

 

Nous irons ramasser, par un grand vent sonore,

La rose du sanglot toute mouillée encore.

 


Nous ferons un bouquet de rêves musicaux,

D’aveux et de soupirs aux murmurants échos.

 

Dans le jardin vibrant des notes cadencées,

Nous cueillerons la claire joie et les pensées.

 

Grisés par le parfum mélodieux du soir,

Nous cueillerons, accord final, la fleur d’espoir.

 

Quel air chanterons-nous, chère Musicienne :

La chanson d’amour triste ? ou la chanson ancienne ?

 

Avec vous qui m’aimez, tous les rythmes sont doux ;

Promenez vos doigts blancs au clavier, voulez-vous ?

Albert Lozeau (1878-1924) - poète canadien-français - Le bouquet 
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30 mai 2024 4 30 /05 /mai /2024 17:10

 

 

Renée Vivien (1877-1909) poétesse britannique de langue française

Sillages

 


Invocation

 

Dans l’Hadès souterrain où la nuit est parfaite

Te souviens-tu de l’île odorante, ô Psappha ?

Du verger où l’élan des lyres triompha,

Et des pommiers fleuris où la brise s’arrête ?

 

Toi qui fus à la fois l’amoureuse et l’amant,

Te souviens-tu d’Atthis, parmi les ombres pâles,

De ses refus et de ses rires, de ses râles,

De son corps étendu, virginal et dormant ?

 

Te souviens-tu des hauts trépieds et de leurs flammes ?

 


De la voix d’Eranna, s’élevant vers la nuit,

Pour l’hymne plus léger qu’une aile qui s’enfuit,

Mais que ne perdra point la mémoire des femmes ?

 

Ouvre ta bouche ardente et musicale… Dis !

Te souviens-tu de ta maison de Mytilène,

Des cris mélodieux, des baisers dont fut pleine

Cette demeure où tu parus et resplendis ?

 

Revois la mer, et ces côtes asiatiques

Si proches dans le beau violet du couchant,

Que, toi, tu contemplais, en méditant un chant

Sans faute, mais tiré des barbares musiques !

 

Le Léthé peut-il faire oublier ces vergers

Qui dorment à l’abri des coups et des vents maussades,

Et leurs pommes, et leurs figues, et leurs grenades,

Et le doux tremblement des oliviers légers ?

 

Peut-il faire oublier le pas lassé des chèvres 

Vers l’étable, et l’odeur des vignes de l’été ?

Dors-tu tranquillement là-bas, en vérité,

Toi dont le nom divin est toujours sur nos lèvres ?

 

Toi qui fus la prêtresse et l’égale des Dieux,

Toi que vint écouter l’Aphrodite elle-même,

Dis-nous que ton regard est demeuré suprême,

Que le sommeil n’a pu s’emparer de tes yeux !

 

Parmi les flots pesants et les ombres dormantes,

Toi qui  servis l’Eros cruel, l’Eros vainqueur,

L’Eros au feu subtil qui fait battre le cœur,

As-tu donc oublié le baiser des amantes ?

 

Les vierges de nos jours égalent en douceur

Celles-là que tes chants rendirent éternelles,

Les vignes de Lesbos sont toujours aussi belles,

La mer n’a point changé son murmure berceur.

 

Ah ! rejette en riant tes couronnes fanées !

Et, si jamais l’amour te fut amer et doux,

Ecoute maintenant et reviens parmi nous

Qui t’aimons à travers l’espace et les années !
 

Sappho - Enrique Simonet

Sappho - Enrique Simonet

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