22 mai 2024 3 22 /05 /mai /2024 22:50

 

 

Théodore de Banville (1823-1891) poète, dramaturge et critique dramatique français.

 


Premier soleil


Italie, Italie, ô terre où toutes choses

Frissonnent de soleil, hormis tes méchants vins !

Paradis où l'on trouve avec des lauriers-roses

Des sorbets à la neige et des ballets divins !

 

Terre où le doux langage est rempli de diphthongues !

Voici qu'on pense à toi, car voici venir mai,

Et nous ne verrons plus les redingotes longues

Où tout parfait dandy se tenait enfermé.

 

Sourire du printemps, je t'offre en holocauste

Les manchons, les albums et le pesant castor.

Hurrah ! gais postillons, que les chaises de poste

Volent, en agitant une poussière d'or !

 

Les lilas vont fleurir, et Ninon me querelle,

Et ce matin j'ai vu mademoiselle Ozy

Près des Panoramas déployer son ombrelle :

C'est que le triste hiver est bien mort, songez-y !

 

Voici dans le gazon les corolles ouvertes,

Le parfum de la sève embaumera les soirs,

Et devant les cafés, des rangs de tables vertes

Ont par enchantement poussé sur les trottoirs.

 

Adieu donc, nuits en flamme où le bal s'extasie !

Adieu, concerts, scotishs, glaces à l'ananas ;

Fleurissez maintenant, fleurs de la fantaisie,

Sur la toile imprimée et sur le jaconas !

 

Et vous, pour qui naîtra la saison des pervenches,

Rendez à ces zéphyrs que voilà revenus,

Les légers mantelets avec les robes blanches,

Et dans un mois d'ici vous sortirez bras nus !

 

Bientôt, sous les forêts qu'argentera la lune,

S'envolera gaîment la nouvelle chanson ;

Nous y verrons courir la rousse avec la brune,

Et Musette et Nichette avec Mimi Pinson !

 

Bientôt tu t'enfuiras, ange Mélancolie,

Et dans le Bas-Meudon les bosquets seront verts.

Débouchez de ce vin que j'aime à la folie,

Et donnez-moi Ronsard, je veux lire des vers.

 

Par ces premiers beaux jours la campagne est en fête

Ainsi qu'une épousée, et Paris est charmant.

Chantez, petits oiseaux du ciel, et toi, poëte,

Parle ! nous t'écoutons avec ravissement.

 

C'est le temps où l'on mène une jeune maîtresse

Cueillir la violette avec ses petits doigts,

Et toute créature a le coeur plein d'ivresse,

Excepté les pervers et les marchands de bois !
 

Robert Polack - Mimi Pinson

Robert Polack - Mimi Pinson

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22 mai 2024 3 22 /05 /mai /2024 22:35

 

 

Théodore de Banville (1823-1891) -poète, dramaturge et critique dramatique français - 

Jeudi, 6 janvier 1887.

Dans la fournaise, 1892

 


Musique

 

Dans un coin de la ville ancienne disparue,

Depuis douze ans bientôt passés, j’habite, rue

De l’Éperon, au rez-de-chaussée, un très vieil

Hôtel, hanté par les oiseaux et le soleil.

Du côté du jardin, les ailes familières

Emplissent de frissons les feuillages des lierres;

Mais, hélas ! on entend, dès que revient le jour,

De bien autres chanteurs du côté de la cour,

Où force malheureux, affligés d’un catarrhe,

Miaulent avec rage en pinçant la guitare,

Bande qui fait la joie et l’ornement des cours.

Là sont des béquillards, des aveugles, des sourds.

Blêmes comme Pierrot, verts comme des pistaches

Des gens à chapeaux mous, des masques à moustaches

Chantent des airs, hélas! — car tels sont leurs talents,

Qu’ils ne sauront jamais, quand ils vivraient mille ans.

Tel, pareil à ces morts échoués à la Morgue,

Tourne la manivelle indécente de l’orgue

Ou, triste comme un vieil acteur de l’Odéon,

Tourmente le soufflet du faible accordéon,

Et tel, car c’est encore une façon plus nette,

De sa bouche sans dents mord une clarinette.

Celui-là fait pleurer l’âme du violon

En jouant du Lecocq ou du Bach, c’est selon,

Et tous chantent ! — Déesse adorable, ô Musique !

Ces types accomplis de la hideur physique

Chantent d’un coeur tranquille. Oh! comme ils chantent faux

Et de leurs pantalons soulignant les défauts

Toutes les fanges, par les balais reculées,

Baisent avec amour leurs bottes éculées.

Cependant, tels qu’ils sont, déguenillés, maudits,

Je les aime, ces noirs mendiants, ces bandits

Que l’âpre faim déchire et sur qui les cieux pleuvent,

Parce que sous la nue ils chantent comme ils peuvent,

Oiseaux boiteux qu’en vain sollicite l’azur,

Parce que je ne sais quel souvenir obscur

De la Lyre frémit dans leur voix étouffée

Et qu’ils sont, comme moi, de la race d’Orphée.

Ces gueux, plus enroués qu’une meute aux abois,

Ressemblent à des loups qui pleurent dans les bois

Et, parmi ces faiseurs de trilles et de gammes,

Du matin jusqu’au soir grouillent des tas de femmes.

Des fillettes à l’oeil déjà noyé d’amour

Sur un rythme dansant font sonner leur tambour,

Et des vieilles sans nombre aux allures fossiles

Convulsent en chantant leurs faces imbéciles,

Gémissent avec des sanglots et des hoquets

Et portent leurs petits roulés en des paquets.

C’est la procession de tous les monstres. L’une

Montre sur son visage une pâleur de lune

Et, comme un lac, s’argente, et l’autre, au nez camard,

A sur sa joue en feu des rougeurs de homard.

Rien n’est plus effrayant à voir que les structures

Et les corps abolis de ces caricatures;

Et pourtant, quand leurs voix font leur bruit énervant

Comme les grincements de l’orage et du vent,

Avec leurs fronts hideux que les bises meurtrissent,

Dans leur misère ces chanteuses m’attendrissent

Et sans être offensé de leurs chants criminels,

Je les contemple avec des regards fraternels.

Une surtout, pareille à quelque étrange fée,

Pâle, jaune, recuite et d’un mouchoir coiffée.

Au fond de ses yeux bleus tout petits, dont le tour

Est bistré, se lamente un long passé d’amour,

Et sur sa bouche en coup de sabre, le génie

De la femme a gravé sa tranquille ironie.

Sans nul doute elle fut, parmi l’or et les fleurs,

Une Parisienne aux yeux ensorceleurs;

Car le reflet des vieux souvenirs la décore

Et le songeur ému voit trembloter encore

Le triomphe et l’orgueil en son regard terni.

Je la nomme souvent: la vieille Gavarni,

Car je crois la revoir parmi ces aquarelles

Que le maître peuplait d’âmes surnaturelles,

Et sur le châle où court un frisson d’air subtil,

Je vois distinctement les hachures dont il

Avivait sa peinture avec de l’encre rouge.

Et ce mince lambeau qui grelotte et qui bouge,

Étoffe tristement décolorée, a l’air

Des drapeaux devenus haillons, que la Victoire

Avait jadis enflés dans la bataille noire,

Alors que les clairons sonnaient dans l’air fumant,

Et que les vieux soldats gardent pieusement.


 

Théodore de Banville (1823-1891) -poète, dramaturge et critique dramatique français - Musique
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22 mai 2024 3 22 /05 /mai /2024 21:18

 

 

André Lemoyne poète français (1822-1907)

1871-1883 

 

Beethoven et Rembrandt

A Charles Blanc.

 

I

Beethoven et Rembrandt, tous deux nés sur le Rhin,

Dans leur mystérieuse et profonde harmonie,

Vibrent d’accord. — Un sombre et lumineux Génie

Leur a touché le front de son doigt souverain.

 

Ces deux prédestinés ont des similitudes :

Quelque chose de fier, de sauvage et de grand

Marque pour l’avenir Beethoven et Rembrandt,

Ennemis naturels des hautes servitudes.

 

De leur temps, ils passaient pour des hallucinés :

L’un voyant tout en or dans une chambre noire,

L’autre écoutant des voix au fond de sa mémoire,

Comme les Enchanteurs et les Illuminés.

 

Mais qu’importe ! — Chez eux rien qui se mésallie. —

Ils ont aimé toujours leur grand art d’amour pur.

S’ils n’ont rien modulé sur un ton bleu d’azur,

C’est qu’ils n’ont pas connu la Grèce ou l’Italie.

 

Rembrandt peignait de fiers et sombres cavaliers

Sous feutre à larges bords ou toque à riche plume,

À l’aise dans un ample et merveilleux costume,

Sans raideur, à la fois graves et familiers ;

 

Bourgmestres et syndics, honnêtes personnages

Dont la barbe caresse un grand col rabattu,

Des gens de haute mine et d’austère vertu,

Trouvant la poésie au fond de leurs ménages ;

 

Ou marins revenus d’un voyage au long cours,

Des tempêtes du Cap, des îles de la Sonde,

Dans leur pays de brume, au bout de l’Ancien Monde,

Rejoignant au foyer de sérieux amours.


Aux magiques lueurs de sa chaude lumière,

Les pauvres, les souffrants, les humbles, les petits,

Miraculeusement des ténèbres sortis,

Vivaient transfigurés dans leur beauté première.

 

II

Mais, planant au-dessus des misères communes,

En oiseaux de haut vol, les grandes infortunes

Tombent de préférence au foyer des élus,

Sans que personne ait pu les voir ou les entendre, —

Et d’un large coup d’aile éparpillent la cendre

Sur la braise qui meurt... et ne s’éveille plus.

 

Pour quelques-uns, surtout, l’épreuve est longue et rude,

Quand autour de leur nom se fait la solitude,

Froide à glacer le cœur, à troubler la raison ;

Et le soir de la vie est profondément triste

 

Quand, regardant coucher sa gloire, un vieil artiste

Quitte son atelier, son lit et sa maison.

 

Insolvable, Rembrandt vit passer aux enchères

Ses meubles, ses tableaux, ses œuvres les plus chères,

Dans les sordides mains des fripiers de l’Amstel ;

Et vierges, sous des yeux profanes, ses eaux-fortes,

Comme aux souffles d’hiver un tas de feuilles mortes,

S’en aller pêle-mêle aux quatre vents du ciel.

 

Lui ne remporta rien, rien que sa foi robuste

Dans l’art. – Sans murmurer contre un verdict injuste,

Contre les temps mauvais, contre le siècle ingrat,

Loin du monde, oubliant sa trace disparue,

Il se réfugia dans une étroite rue

Des vieux quartiers perdus au nord du Rozengracht.

 

Et là, continuant de graver ou de peindre,

Jusqu’à l’heure où le jour achevait de s’éteindre,

Envahi lentement par les brumes du soir,

Lorsque le ciel était sans lune et sans étoiles,

Il souriait dans l’ombre aux lueurs de ses toiles,

De la nuit ténébreuse éclairant le fond noir.

 

III

Beethoven a payé chèrement son génie : —

On comprend aujourd’hui sa tristesse infinie,

Tout ce que dans son cœur il a dû refouler ;

La blessure poignante, invisible et profonde,

Qu’il traînait à l’écart, en fuyant loin du monde,

En étouffant des pleurs qui n’avaient pu couler.

 

Pâtres et chevriers voyaient avec surprise,

Sous les ardents soleils, sous la pluie ou la bise,

Passer cet éternel et singulier marcheur,

Laissant au gré du vent flotter sa houppelande

Comme le Juif-Errant de l’antique légende,

Toujours seul, et le teint bruni comme un faucheur.

 

Les familles d’oiseaux dans leurs nids réveillées

Tressaillaient à la fois sous les claires feuillées,

 

Avec leurs cris d’appel et leurs chansons d’amour,

Et, reprenant en chœur toutes ses voix bénies,

Le printemps répétait ses grandes symphonies...

Beethoven n’entendait plus rien... Il était sourd !...

 

Sourd à toutes les voix, sourd à tous les murmures,

Au vent frais du matin dans les hautes ramures,

Aux bruits mystérieux des sources dans les bois,

Au battoir cliquetant des petites laveuses,

Sur le miroir des eaux souvent toutes rêveuses,

Qui battaient, qui chantaient, qui rêvaient à la fois.

 

Quand l’orgue, ouvrant le jeu de ses masses chorales,

Relatait sous la nef des vieilles cathédrales,

Sonores jusqu’au fond de leurs caveaux dormants,

Le pauvre dieu martyr en vain prêtait l’oreille ;

À peine croyait-il entendre un vol d’abeille,

Une rumeur confuse en ses bourdonnements.

 

Obsédé par un sombre et décevant problème,

Beethoven écoutait longuement en lui-même

Un lointain souvenir d’anciens échos perdus ;

À l’heure où le soir tombe, ou quand le jour se lève,

Marcheur silencieux, il renouait en rêve

De merveilleux accords autrefois entendus.


Nous avons le secret de ses larmes fécondes :

Sa joie et sa douleur sont deux sources profondes

Où s’abreuvent sans fin tous les cœurs altérés...

Ses plus riches éclairs jaillissent des ténèbres,

Comme un Alléluia sorti des chants funèbres,

Jetant son cri de gloire aux plus désespérés.

André Lemoyne - poète français (1822-1907) - Beethoven et Rembrandt
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22 mai 2024 3 22 /05 /mai /2024 20:10

 

 

Charles Baudelaire (1821-1867) poète français

1857

Spleen et Idéal

Les Fleurs du mal 

 

LXXVI

La musique


La musique parfois me prend comme une mer !

Vers ma pâle étoile,

Sous un plafond de brume ou dans un pur éther,

Je mets à la voile ;

 

La poitrine en avant et gonflant mes poumons

De toile pesante,

Je monte et je descends sur le dos des grands monts

D’eau retentissante ;


Je sens vibrer en moi toutes les passions

D’un vaisseau qui souffre

Le bon vent, la tempête et ses convulsions

 

Sur le sombre gouffre

Me bercent, et parfois le calme, — grand miroir

De mon désespoir !
 

Charles Baudelaire (1821-1867) - poète français - La musique
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21 mai 2024 2 21 /05 /mai /2024 23:09

 

 

Charles Baudelaire (1821-1867) poète français.

 


Harmonie du soir


Voici venir les temps où vibrant sur sa tige

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;

Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;

Valse mélancolique et langoureux vertige !

 

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;

Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige ;

Valse mélancolique et langoureux vertige !

Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

 

Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige,

Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir !

Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;

Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

 

Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,

Du passé lumineux recueille tout vestige !

Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...

Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !
 

Katharina Valeeva musique

Katharina Valeeva musique

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21 mai 2024 2 21 /05 /mai /2024 22:45

 

 

Louis-Hyacinthe Bouilhet (1821-1869) écrivain et poète français

Dernières chansons, 

1875


 

Dernières chansons 

Une baraque de la foire

 

Oh ! qu’il était triste, au coin de la salle !

Comme il grelottait, l’homme au violon !

La baraque en planche était peu d’aplomb,

Et le vent soufflait dans la toile sale.

 

Des bourgeois blasés ― l’un d’eux s’en alla ! ―

Raillaient à plaisir ces vieilles sornettes,

Ainsi qu’il convient à des gens honnêtes

Qui sont revenus de ces choses-là !

 

Dans son ermitage, Antoine, en prière,

Se couvrait les yeux, sous son capuchon ;

Les diables dansaient ; ― le petit cochon

Passait, effaré, la torche au derrière.

 


Découvrant sa gorge, et portant, je crois,

Sur son carton peint, la mouche assassine,

En grand falbala venait Proserpine,

Comme une princesse à la cour d’un roi.

 

Tout l’enfer sautait au bout des ficelles.

— Dieu l’avait permis, très-évidemment ! ―

Puis ce fut le tour du bleu firmament

Avec ses pétards et ses étincelles.

 

Le soleil tournait, plein de vérité

Chaque trou d’étoile était à sa place,

Des anges bouffis flottaient dans l’espace,

Pendus au plafond pour l’éternité.

 

— Oh ! qu’il était triste ! oh ! qu’il était pâle !…

Oh ! L’archet damné raclant sans espoir !

Oh ! Le paletot plus sinistre à voir

Sous les transparents aux lueurs d’opale !

 

Comme un chœur antique au sujet mêlé,

Il fallait répondre aux péripéties,

Et quitter soudain, pour des facéties,

Le libre juron, tout bas grommelé !…

 


Il fallait chanter ! Il fallait poursuivre

Pour le pain du jour, la pipe du soir,

Pour le dur grabat dans le grenier noir,

Pour l’ambition d’être homme et de vivre !

 

Mais parfois, dans l’ombre ― et c’était son droit ! ―

Il lançait, lui pauvre et transi dans l’âme,

Un regard farouche aux pantins du drame

Qui reluisaient d’or et n’avaient pas froid.

 

Puis ― comme un rêveur dégagé des choses ―

Sachant que tout passe et que tout est vain,

Sans respect du monde, il chauffait sa main

Au rayonnement des apothéoses !…
 

Louis-Hyacinthe Bouilhet (1821-1869) - écrivain et poète français - Dernières chansons, Une baraque de la foire
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21 mai 2024 2 21 /05 /mai /2024 22:34

 

 

Louis-Hyacinthe Bouilhet (1821-1869) - écrivain et poète français


 

Vers à une femme


Tu n'as jamais été, dans tes jours les plus rares,

Qu'un banal instrument sous mon archet vainqueur,

Et, comme un air qui sonne au bois creux des guitares,

J'ai fait chanter mon rêve au vide de son coeur.
 

Louis-Hyacinthe Bouilhet (1821-1869) - écrivain et poète français - Vers à une femme
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21 mai 2024 2 21 /05 /mai /2024 21:56

 

 

Louis-Hyacinthe Bouilhet (1821 -1869) - écrivain et poète français


 

 

Dernières chansons, 

Une soirée

 

Dix-huit ans ! ― Vous croyez ?… c’est le plus !…

Blanche et rose,

Comme un pêcher fleuri que l’eau du ciel arrose,

Sous ses cheveux bouclés, elle allongeait son cou

Et ses grands regards bleus allaient on ne sait où.

C’était un bal mêlé d’art ;

                                      Une demoiselle

 

Mûre, et pour "ces messieurs" déployant un beau zèle,

Avec des soubresauts de la tête et du corps,

Sur un piano sourd varlopait des accords…

En cercle, l’œil béant, près de la cheminée,

Les mamans avalaient la musique ordonnée,

Et l’enfant blanche et rose, en extase, écoutait…

Car, la main sur son cœur, un notaire chantait !


Il chantait ― oublieux du contrat qui sommeille ―

Je ne sais quel bateau, quelle étoile vermeille.

Quels chérubins frisés voltigeant dans l’azur !

C’était si doux ! C’était si vrai ! C’était si pur !

Les âmes y versaient tant d’amour ! "La Madone"

Rimait si gentiment avec "la fleur qu’on donne,"

Que j’avais peur de voir, pendant ce frais débit,

Germer des plumes d’ange au dos de son habit !…

Un employé rêveur murmurait : "Fantaisies !…"

 

— O misère !… en dépit des fausses poésies,

Malgré l’air bête et lourd du monsieur qui chantait,

L’enfant songeait, l’enfant écoutait, palpitait.

Son pauvre petit cœur gonflé de convoitises

Partait pour l’infini ― sur l’aile des sottises.

Et ce salon bourgeois, dont on se souviendra,

Prenait, à ses regards, des splendeurs d’Alhambra !

Louis-Hyacinthe Bouilhet (1821 -1869) - écrivain et poète français - Dernières chansons, il chantait
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21 mai 2024 2 21 /05 /mai /2024 21:41

 

 

 

Guillaume-Victor-Émile Augier (1820-1889) poète et dramaturge français. 

Musique: Charles Gounod

 


"O ma lyre"


O ma lyre immortelle,

Qui dans les tristes jours

A tous mes maux fidèle

Les consolait toujours !

 

En vain ton doux murmure

Veut m'aider à souffrir,

Non, tu ne peux guérir

Ma dernière blessure;

Ma blessure est au coeur

Seul le trépas peut finir ma douleur.

 

 Adieu, flambeau du monde,

Descends au sein des flots,

Moi, je descends sous l'onde,

Dans l'Eternel repos.

 

Le jour qui doit éclore,

Phaon, luira pour toi,

Mais, sans penser à moi,

Tu reverras l'aurore.

Ouvre-toi gouffre amer

Je vais dormir pour toujours dans la mer.
 

Guillaume-Victor-Émile Augier (1820-1889) - poète et dramaturge français - "O ma lyre"
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21 mai 2024 2 21 /05 /mai /2024 21:06

 

 

Walt Whitman (1819-1892) poète, romancier, journaliste, éditeur américain 

Traduction par Léon Bazalgette.

 


J’entends chanter l’Amérique

 

J’entends chanter l’Amérique, j’entends ses diverses chansons,

Celles des ouvriers, chacun chantant la sienne joyeuse 

Et forte comme elle doit l’être,

Le charpentier qui chante la sienne en mesurant

Sa planche ou sa poutre,

Le maçon qui chante la sienne en se préparant

Au travail ou en le quittant,

Le batelier qui chante ce qui est de sa partie

Dans son bateau, 

Le marinier qui chante sur le pont du vapeur,

Le cordonnier qui chante assis sur son banc,

Le chapelier qui chante debout,

Le chant du bûcheron, celui du garçon de ferme

En route dans le matin, 

ou au repos de midi ou à la tombée du jour,

Le délicieux chant de la mère, ou

De la jeune femme à son ouvrage, 

Ou de la jeune fille qui coud ou qui lave,

Chacun chantant ce qui lui est propre à lui

Ou à elle et à nul autre.

Le jour, ce qui appartient au jour — 

Le soir, un groupe de jeunes gars, robustes, cordiaux,

Qui chantent à pleine voix leurs mélodieuses et mâles chansons.

George Caleb Bingham - Jolly Flatboatmen in Port

George Caleb Bingham - Jolly Flatboatmen in Port

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