Honorat de Bueil, seigneur de Racan (1589-1670) poète français
La venue du Printemps
À Monsieur de Termes
Les quatre saisons
Ode
Enfin, Termes, les ombrages
Reverdissent dans les bois,
L'hiver et tous ses orages
Sont en prison pour neuf mois ;
Enfin la neige et la glace
Font à la verdure place,
Enfin le beau temps reluit,
Et Philomèle, assurée
De la fureur de Térée,
Chante aux forêts jour et nuit.
Déjà les fleurs qui bourgeonnent
Rajeunissent les vergers,
Tous les échos ne résonnent
Que de chansons de bergers,
Les jeux, les ris, et la danse
Sont partout en abondance,
Les délices ont leur tour,
La tristesse se retire,
Et personne ne soupire
S'il ne soupire d'amour.
Les moissons dorent les plaines,
Le ciel est tout de saphirs,
Le murmure des fontaines
S'accorde au bruit des zéphirs,
Les foudres et les tempêtes
Ne grondent plus sur nos têtes,
Ni des vents séditieux
Les insolentes colères
Ne poussent plus les galères
Des abîmes dans les cieux.
Ces belles fleurs que Nature
Dans les campagnes produit
Brillent parmi la verdure
Comme des astres la nuit :
L'Aurore, qui dans son âme
Brûle d'une douce flamme,
Laissant au lit endormi
Son vieux mari, froid et pâle,
Désormais est matinale
Pour aller voir son ami.
Termes, de qui le mérite
Ne se peut trop estimer,
La belle saison invite
Chacun au plaisir d'aimer
La jeunesse de l'année
Soudain se voit terminée,
Après le chaud véhément
Revient l'extrême froidure,
Et rien au monde ne dure
Qu'un éternel changement.
Leurs courses entresuivies
Vont comme un flux et reflux,
Mais le printemps de nos vies
Passe et ne retourne plus,
Tout le soin des Destinées
Est de guider nos journées
Pas à pas vers le tombeau,
Et sans respecter personne,
Le Temps de sa faux moissonne
Ce que l'homme a de plus beau.
Tes louanges immortelles
Ni tes aimables appas
Qui te font chérir des belles
Ne t'en garantiront pas :
Crois-moi, tant que Dieu t'octroie
Cet âge comblé de joie
Qui s'enfuit de jour en jour,
Jouis du temps qu'il te donne,
Et ne crois pas en automne
Cueillir les fruits de l'amour.
Edmund Spenser (1552-1599) poète anglais de la période élisabéthaine
Cortège des saisons
Ainsi apparurent les saisons de l'année,
d'abord le gai printemps, tout vêtu de feuillage,
portant de frais bourgeons et des fleurs nouvelles
où un millier d'oiseaux avait construit leurs nids,
et de leur chant suave appelaient leurs compagnes;
Il tenait à la main un javelot
et sur la tête, comme pour les combats
portait un morion ciselé et doré,
car si certains l'aimaient, d'autres le redoutaient.
L'Été joyeux venait ensuite, vêtu
d'une mince tunique en soie de couleur verte,
sans aucune doublure pour être plus légère.
Il portait sur la tête une belle guirlande
d'où, tant il avait eu chaud,
coulait la sueur. Il tenait à la main
un arc avec des flèches, car en verte forêt
il venait de chasser le léopard ou bien le sanglier,
et maintenant allait baigner
ses membres échauffés par ce labeur.
Puis Automne venait, tout de jaune vêtu,
l'air tout joyeux d'avoir abondantes richesses,
chargé de fruits qui le faisaient sourire, heureux
d'avoir banni la faim qui jadis maintes fois
lui avait fortement tenaillé les entrailles.
Sur la tête il portait, enroulés en couronne,
des épis de céréales de toutes sortes,
et dans la main tenait une faucille
pour récolter les fruits mûrs
que la terre avait produits.
Enfin venait l'hiver tout de frise vêtu,
et qui claquait des dents, tant le froid le glaçait.
Sur sa barbe chenue, son souffle se gelait ;
des gouttes ternes coulaient de son nez empourpré
qui comme un alambic les distillait.
Sa main droite tenait un bâton ferré,
pour soutenir ses pas chancelants,
car étant affaibli par le froid et par l'âge
à peine pouvait-il mouvoir ses membres tout branlants.
The Procession of the Seasons
"O forth issued the seasons of the year.
First, lusty Spring , all dight in leaves of flowers
That freshly budded and new blooms did bear,
In which a thousand birds had built their bowers
That sweetly sung to call forth paramours,
And in his hand a javelin did he bear,
And on his head, as fit for warlike stours,
A gilt-engraven morion he did wear,
That, as some did him love, others did him fear.
Then came the jolly Summer, being dight
In a thin silken cassock coloured green
That was unlinéd all, to be more light,
And on his head a garland well beseen
He wore, from which as he had chaféd been
The sweat did drop; and in his hand he bore
A bow and shafts, as he in forest green
Had hunted late the leopard or the boar
And now would bathe his limbs, with labour heated sore.
Then came Autumn all in yellow clad
As though he joyéd in his plenteous store,
Laden with fruits that made him laugh, full glad
That he had banished hunger, which to-fore
Had by the belly oft him pinchéd sore;
Upon his head a wreath, that was enrolled
With ears of corn of every sort, he bore,
And in his hand a sickle he did hold
To reap the ripened fruits the which the earth had yold.
Lastly came Winter clothéd all in the frieze,
Chattering his teeth for cold that did him chill,
Whilst on his hoary beard his breath did freeze;
And the dull drops that from his purpled bill,
As from a limbeck, did adown distil.
In his right hand a tippéd staff he held
With which his feeble steps he stayéd still,
For he was faint with cold and weak with eld
That scarce his looséd limbs he was able to wield."
Alphonse de Lamartine (1790-1869) poète français
Recueil : Harmonies poétiques et religieuses (1830)
Les Saisons
Au printemps, les lis des champs filent
Leur tunique aux chastes couleurs;
Les gouttes que les nuits distillent
Le matin se changent en fleurs.
La terre est un faisceau de tiges
Dont l'odeur donne des vertiges
Qui font délirer tous les sens;
Les brises folles, les mains pleines,
Portent à Dieu, dans leurs haleines,
Tout ce que ce globe a d'encens.
En été, les feuillages sombres,
Où flottent les chants des oiseaux,
Jettent le voile de leurs ombres
Entre le soleil et les eaux;
Des sillons les vagues fécondes
Font un océan de leurs ondes,
Où s'entre-choquent les épis;
Le chaume, en or changeant ses herbes,
Fait un oreiller de ses gerbes
Sous les moissonneurs assoupis.
Ainsi qu'une hôtesse attentive
Après le pain donne le miel,
L'automne à l'homme son convive
Sert tour à tour les fruits du ciel :
Le raisin pend, la figue pleure,
La banane épaissit son beurre,
La cerise luit sous rémail,
La pêche de duvet se pluche,
Et la grenade, verte ruche,
Ouvre ses rayons de corail.
L'hiver, du lait des neiges neuves
Couvrant les nuageux sommets,
Gonfle ces mamelles des fleuves
D'un suc qui ne tarit jamais.
Le bois mort, ce fruit de décembre,
Tombe du chêne que démembre
La main qui le fit verdoyer,
Et, couvé dans le creux de l'âtre,
Il rallume au souffle du pâtre
Le feu, ce soleil du foyer.
O Providence ! ô vaste aumône
Dont tout être est le mendiant !
Voeux et grâce autour de ton trône
Montent sans cesse en suppliant.
Quels pleurs ou quels parfums répandre ?...
Hélas ! nous n'avons à te rendre
Rien, que les dons que tu nous fais.
Reçois de toute créature
Ce Te Deum de la nature,
Ses misères et tes bienfaits !
Alphonse de Lamartine (1790-1869) poète français
Recueil : Harmonies poétiques et religieuses
"Le chêne – suite de Jehova"
Voilà ce chêne solitaire
Dont le rocher s’est couronné,
Parlez à ce tronc séculaire,
Demandez comment il est né.
Un gland tombe de l’arbre et roule sur la terre,
L’aigle à la serre vide, en quittant les vallons,
S’en saisit en jouant et l’emporte à son aire
Pour aiguiser le bec de ses jeunes aiglons ;
Bientôt du nid désert qu’emporte, la tempête
Il roule confondu dans les débris mouvants,
Et sur la roche nue un grain de sable arrête
Celui qui doit un jour rompre l’aile des vents ;
L’été vient, l’Aquilon soulève
La poudre des sillons, qui pour lui n’est qu’un jeu,
Et sur le germe éteint où couve encor la sève
En laisse retomber un peu !
Le printemps de sa tiède ondée
L’arrose comme avec la main ;
Cette poussière est fécondée
Et la vie y circule enfin !
La vie ! à ce seul mot tout oeil, toute pensée,
S’inclinent confondus et n’osent pénétrer ;
Au seuil de l’Infini c’est la borne placée ;
Où la sage ignorance et l’audace insensée
Se rencontrent pour adorer !
Il vit, ce géant des collines !
Mais avant de paraître au jour,
Il se creuse avec ses racines
Des fondements comme une tour.
Il sait quelle lutte s’apprête,
Et qu’il doit contre la tempête
Chercher sous la terre un appui;
Il sait que l’ouragan sonore
L’attend au jour !.., ou, s’il l’ignore,
Quelqu’un du moins le sait pour lui !
Arthur Rimbaud (1854-1891) poète français
Recueil : Derniers vers (1872)
Ô saisons, ô châteaux
Ô saisons ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?
Ô saisons, ô châteaux,
J'ai fait la magique étude
Du Bonheur, que nul n'élude.
Ô vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.
Mais ! je n'aurai plus d'envie,
Il s'est chargé de ma vie.
Ce Charme ! il prit âme et corps
.Et dispersa tous efforts.
Que comprendre à ma parole ?
Il fait qu'elle fuie et vole !
Ô saisons, ô châteaux !
Et, si le malheur m'entraîne,
Sa disgrâce m'est certaine.
Il faut que son dédain, las !
Me livre au plus prompt trépas !
- Ô Saisons, ô Châteaux !
Anna de Noailles (1876-1933) poétesse et romancière française d'origines roumaine et grecque
Recueil : Le cœur innombrable (1901).
Les saisons et l'amour
Le gazon soleilleux est plein
De campanules violettes,
Le jour las et brûlé halette
Et pend aux ailes des moulins.
La nature, comme une abeille,
Est lourde de miel et d'odeur,
Le vent se berce dans les fleurs
Et tout l'été luisant sommeille.
— Ô gaieté claire du matin
Où l'âme, simple dans sa course,
Est dansante comme une source
Qu'ombragent des brins de plantain !
De lumineuses araignées
Glissent au long d'un fil vermeil,
Le cœur dévide du soleil
Dans la chaleur d'ombre baignée.
— Ivresse des midis profonds,
Coteaux roux où grimpent des chèvres,
Vertige d'appuyer les lèvres
Au vent qui vient de l'horizon ;
Chaumières debout dans l'espace
Au milieu des seigles ployés,
Ayant des plants de groseilliers
Devant la porte large et basse...
— Soirs lourds où l'air est assoupi,
Où la moisson pleine est penchante,
Où l'âme, chaude et désirante,
Est lasse comme les épis.
Plaisir des aubes de l'automne,
Où, bondissant d'élans naïfs,
Le cœur est comme un buisson vif
Dont toutes les feuilles frissonnent !
Nuits molles de désirs humains,
Corps qui pliez comme des saules,
Mains qui s'attachent aux épaules,
Yeux qui pleurent au creux des mains.
— Ô rêves des saisons heureuses,
Temps où la lune et le soleil
Écument en rayons vermeils
Au bord des âmes amoureuses...