6 juillet 2024 6 06 /07 /juillet /2024 22:02

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  poétesse française

 


Dormeuse

 

Si l’enfant sommeille,

Il verra l’abeille,

Quand elle aura fait son miel,

Danser entre terre et ciel.

 

Si l’enfant repose,

Un ange tout rose,

Que la nuit seule on peut voir,

Viendra lui dire : "Bon soir."

 


Si l’enfant est sage,

Sur son doux visage,

La vierge se penchera,

Et long-temps lui parlera.

 

Si mon enfant m’aime,

Dieu dira lui-même :

J’aime cet enfant qui dort ;

Qu’on lui porte un rêve d’or.

 

Fermez ses paupières,

Et sur ses prières,

De mes jardins pleins de fleurs,

Faites glisser les couleurs.

 

Ourlez-lui des langes,

Avec vos doigts d’anges,

Et laissez sur son chevet,

Pleuvoir votre blanc duvet.

 

Mettez-lui des ailes

Comme aux tourterelles,

 

Pour venir dans mon soleil,

Danser jusqu’à son réveil !

 

Qu’il fasse un voyage,

Aux bras d’un nuage,

Et laissez-le, s’il lui plaît,

Boire à mes ruisseaux de lait !

 

Donnez-lui la chambre

De perles et d’ambre,

Et qu’il partage en dormant,

Nos gâteaux de diamans !

 

Brodez-lui des voiles,

Avec mes étoiles,

Pour qu’il navigue en bateau,

Sur mon lac d’azur et d’eau !

 

Que la lune éclaire,

L’eau pour lui plus claire,

Et qu’il prenne au lac changeant,

Mes plus fins poissons d’argent !

 


Mais je veux qu’il dorme,

Et qu’il se conforme,

Au silence des oiseaux,

Dans leurs maisons de roseaux !

 

Car si l’enfant pleure,

On entendra l’heure,

Tinter partout qu’un enfant,

A fait ce que Dieu défend !

 

L’écho de la rue,

Au bruit accourue,

Quand l’heure aura soupiré,

Dira : l’enfant a pleuré !

 

Et sa tendre mère,

Dans sa nuit amère,

Pour son ingrat nourrisson,

Ne saura plus de chanson !

 

S’il brâme, s’il crie,

Par l’aube en furie,

 

Ce cher agneau révolté,

Sera peut-être emporté !

 

Un si petit être,

Par le toit, peut-être,

Tout en criant, s’en ira,

Et jamais ne reviendra !

 

Qu’il rôde en ce monde,

Sans qu’on lui réponde ;

Jamais l’enfant que je dis,

Ne verra mon paradis !

 

Oui ! mais s’il est sage,

Sur son doux visage,

La vierge se penchera,

Et long-temps lui parlera !
 

Enfant endormi - Christian Krohg

Enfant endormi - Christian Krohg

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6 juillet 2024 6 06 /07 /juillet /2024 21:48

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  poétesse française

 

 

La première communion d'Inès


Tes yeux noirs, ma fille,

Sont plus doux ce soir,

Que l’encens qui brille

Au saint encensoir !

Tu sembles un ange,

Sous son voile encor,

Qui rêve, et s’arrange

Pour prendre l’essor.


Jeune âme sauvage,

Tremblante en mes bras,

Confie au plus sage

Tes doux embarras :

Dans cette belle heure,

On cause avec Dieu ;

Va, pour ce qui pleure,

Lui parler un peu !

 

Si l’enfant lui porte

Trois souhaits en fleurs,

Il ouvre sa porte

À ces vœux sans pleurs :

Pour rêver ces choses,

Baisse bien les yeux,

Et laisse tes roses

S’exhaler aux cieux !

 

Pour l’hymne éphémère

De ta voix d’oiseau,

Demande à sa mère

 

L’appui d’un roseau ;

Pour tes jeunes ailes

Un vol sans effroi ;

Ton soleil pour elles,

Ton bonheur pour moi !
 

Toilette de la première communion, Lemoine Lith

Toilette de la première communion, Lemoine Lith

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5 juillet 2024 5 05 /07 /juillet /2024 23:53

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  poétesse française

Bouquets et prières

 


Jours d'été


 
Ma sœur m’aimait en mère : elle m’apprit à lire.

Ce qu’elle y mit d’ardeur ne saurait se décrire :

Mais l’enfant ne sait pas qu’apprendre, c’est courir,

Et qu’on lui donne, assis, le monde à parcourir.

Voir ! voir ! l’enfant veut voir. Les doux bruits de la rue,

Albertine charmante à la vitre apparue,

Élevant ses bouquets, ses volans, et là-bas,

Les jeux qui m’attendaient et ne commençaient pas ;


Oh ! le livre avait tort ! Tous les livres du monde,

Ne valaient pas un chant de la lointaine ronde,

Où mon âme sans moi tournait de main en main,

Quand ma sœur avait dit : — Tu danseras demain.

 

Demain, c’était jamais ! Ma jeune providence,

Nouant d’un fil prudent les ailes de la danse,

Me répétait en vain toute grave et tout bas :

"Vois donc : je suis heureuse, et je ne danse pas."

 

J’aimais tant les anges

Glissant au soleil !

Ce flot sans mélanges,

D’amour sans pareil !

Étude vivante

D’avenirs en fleur ;

École savante,

Savante au bonheur !

 

Pour regarder de près ces aurores nouvelles,

Mes six ans curieux battaient toutes leurs ailes ;

 

Marchant sur l’alphabet rangé sur mes genoux,

La mouche en bourdonnant me disait : Venez-vous ?…

Et mon nom qui tintait dans l’air ardent de joie,

Les pigeons sans liens sous leur robe de soie,

Mollement envolés de maison en maison,

Dont le fluide essor entraînait ma raison ;

Les arbres, hors des murs poussant leurs têtes vertes ;

Jusqu’au fond des jardins les demeures ouvertes ;

Le rire de l’été sonnant de toutes parts,

Et le congé, sans livre ! errant aux vieux remparts :

Tout combattait ma sœur à l’aiguille attachée ;

Tout passait en chantant sous ma tête penchée ;

Tout m’enlevait, boudeuse et riante à la fois ;

Et l’alphabet toujours s’endormait dans ma voix.

 

Oh ! l’enfance est poète. Assise ou turbulente,

Elle reconnaît tout empreint de plus haut lieu :

L’oiseau qui jette au loin sa musique volante,

Lui chante une lettre de Dieu !

 

Moi, j’y reviens toujours à l’enfance chérie,

Comme un pâle exilé cherche au loin sa patrie.

 

Bel âge qui demande : en quoi sont faits les morts ?

Et dit avec Malcolm : "Qu’est-ce que le Remords ?"

Esprit qui passe, ouvrant son aile souple et forte,

Au souffle impérieux qui l’enivre et l’emporte,

D’où vient qu’à ton beau rêve où se miraient les cieux,

Je sens fondre une larme en un coin de mes yeux ?

C’est qu’aux flots de lait pur que me versait ma mère,

Ne se mêlait alors pas une goutte amère ;

C’est qu’on baisait l’enfant qui criait : Tout pour moi !

C’est qu’on lui répondait encor : "Oui tout pour toi ";

"Veux-tu le monde aussi ? tu l’auras, ma jeune âme."

Hélas ! qu’avons-nous eu ? belle espérance ! ô femme !

Ô toi qui m’as trompée avec tes blonds cheveux,

Tes chants de rossignol et tes placides jeux !

 

Ma sœur : ces jours d’été nous les courions ensemble ;

Je reprends sous leurs flots ta douce main qui tremble ;

Je t’aime du bonheur que tu tenais de moi ;

Et mes soleils d’alors se rallument sur toi !

 

Mais j’épelais enfin : l’esprit et la lumière,

Éclairaient par degrés la page, la première

 

D’un beau livre, terni sous mes doigts, sous mes pleurs,

Où la Bible aux enfans ouvre toutes ses fleurs :

Pourtant c’est par le cœur, cette bible vivante,

Que je compris bientôt qu’on me faisait savante :

Dieu ! le jour n’entre-t-il dans notre entendement,

Que trempé pour jamais d’un triste sentiment !

 

Un frêle enfant manquait aux genoux de ma mère :

Il s’était comme enfui par une bise amère,

Et, disparu du rang de ses petits amis,

Au berceau blanc, le soir, il ne fut pas remis.

Ce vague souvenir, sur ma jeune pensée

Avait pesé deux ans, et puis, m’avait laissée.

Je ne comprenais plus pourquoi, pâle de pleurs,

Ma mère, vers l’église allait avec ses fleurs.

L’église, en ce temps là, des vertes sépultures,

Se composait encor de sévères ceintures ;

Et versant sur les morts ses longs hymnes fervens,

Au rendez-vous de tous appelait les vivants.

C’était beau d’enfermer dans une même enceinte,

La poussière animée et la poussière éteinte ;

 

C’était doux, dans les fleurs éparses au saint lieu,

De respirer son père en visitant son Dieu !

 


J’y pense ; un jour de tiède et pâle automne,

Après le mois qui consume et qui tonne,

Près de ma sœur et ma main dans sa main,

De Notre-Dame ayant pris le chemin

Tout sinueux, planté de croix fleuries,

Où se mouraient des couronnes flétries,

Je regardais avec saisissement

Ce que ma sœur saluait tristement.

La lune large avant la nuit levée,

Comme une lampe avant l’heure éprouvée,

D’un reflet rouge enluminait les croix,

L’église blanche et tous ces lits étroits ;

Puis, dans les coins le chardon solitaire,

Éparpillait ses flocons sur la terre.

 

Sans deviner ce que c’est que mourir,

Devant la mort je n’osai plus courir.

 

Un ruban gris qui serpentait dans l’herbe,

De résédas nouant l’humide gerbe,

Tira mon âme au tertre le plus vert,

Sous la madone, au flanc sept fois ouvert :

Là, j’épelai notre nom de famille,

Et je pâlis, faible petite fille ;

Puis mot à mot : " Notre dernier venu

Est passé là vers le monde inconnu ! "

Cette leçon, aux pieds de Notre-Dame,

Mouilla mes yeux et dessilla mon âme :

Je savais lire ! et j’appris sous des fleurs,

Ce qu’une mère aime avec tant de pleurs.

Je savais lire… et je pleurai moi-même.

Merci, ma sœur : on pleure dès qu’on aime.

Si jeune donc que soit le souvenir ;

C’est par un deuil qu’il faut y revenir ?

 


Mais, que j’aime à t’aimer, sœur charmante et sévère,

Qui reçus pour nous deux l’instinct qui persévère ;

Rayon droit du devoir, humble, ardent et caché,

Sur mon aveugle vie à toute heure épanché !

 

Oh ! si Dieu m’aime encore ; oh ! si Dieu me remporte,

Comme un rêve flottant, sur le seuil de ta porte,

Devant mes traits changés si tu fermes tes bras,

Je saisirai ta main…, tu me reconnaîtras !
 

Les deux soeurs - Auguste Renoir

Les deux soeurs - Auguste Renoir

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5 juillet 2024 5 05 /07 /juillet /2024 23:24

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) poétesse française 

Recueil : Bouquets et prières (1843).

 


Aux trois aimés


De vous gronder je n'ai plus le courage,

Enfants ! ma voix s'enferme trop souvent.

Vous grandissez, impatients d'orage ;

Votre aile s'ouvre, émue au moindre vent.

Affermissez votre raison qui chante ;

Veillez sur vous comme a fait mon amour ;

On peut gronder sans être bien méchante :

Embrassez-moi, grondez à votre tour.

 

Vous n'êtes plus la sauvage couvée,

Assaillant l'air d'un tumulte innocent ;

Tribu sans art, au désert préservée,

Bornant vos voeux à mon zèle incessant :

L'esprit vous gagne, ô ma rêveuse école,

Quand il fermente, il étourdit l'amour.

Vous adorez le droit de la parole :

Anges, parlez, grondez à votre tour.

 

Je vous fis trois pour former une digue

Contre les flots qui vont vous assaillir :

L'un vigilant, l'un rêveur, l'un prodigue,

Croissez unis pour ne jamais faillir,

Mes trois échos ! l'un à l'autre, à l'oreille,

Redites-vous les cris de mon amour ;

Si l'un s'endort, que l'autre le réveille ;

Embrassez-le, grondez à votre tour !

 

Je demandais trop à vos jeunes âmes ;

Tant de soleil éblouit le printemps !

Les fleurs, les fruits, l'ombre mêlée aux flammes,

La raison mûre et les joyeux instants,

Je voulais tout, impatiente mère,

Le ciel en bas, rêve de tout amour ;

Et tout amour couve une larme amère :

Punissez-moi, grondez à votre tour.

 

Toi, sur qui Dieu jeta le droit d'aînesse,

Dis aux petits que les étés sont courts ;

Sous le manteau flottant de la jeunesse,

D'une lisière enferme le secours !

Parlez de moi, surtout dans la souffrance ;

Où que je sois, évoquez mon amour :

Je reviendrai vous parler d'espérance ;

Mais gronder... non : grondez à votre tour !

 

Georg Schrimpf - Trois Enfants, 1926

Georg Schrimpf - Trois Enfants, 1926

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27 juin 2024 4 27 /06 /juin /2024 21:59

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)poétesse française. 

Recueil : Poésies inédites (1860).

 


Pour endormir l'enfant

 

Ah ! Si j'étais le cher petit enfant

Qu'on aime bien, mais qui pleure souvent,

Gai comme un charme,

Sans une larme,

J'écouterais chanter l'heure et le vent...

(Je dis cela pour le petit enfant).

 

Si je logeais dans ce mouvant berceau,

Pour mériter qu'on m'apporte un cerceau,

Je serais sage

Comme une image,

Et je ferais moins de bruit qu'un oiseau...

(Je dis cela pour l'enfant du berceau).

 

Ah ! Si j'étais le blanc nourrisson,

Pour qui je fais cette belle chanson,

Tranquille à l'ombre,

Comme au bois sombre,

Je rêverais que j'entends le pinson...

(Je dis cela pour le blanc nourrisson).

 

Ah ! si j'étais l'ami des blancs poussins

Dormant entre eux, doux et vivants coussins

Sans que je pleure,

J'irais sur l'heure

Faire chorus avec ces petits saints...

(Je dis cela pour l'ami des poussins).

 

Si le cheval demandait à nous voir,

Riant d'aller nager à l'abreuvoir,

Fermant le gîte,

Je crierais vite :

" Demain l'enfant pourra vous recevoir !.. "

(Je dis cela pour l'enfant qu'il vient voir).

 

Si j'entendais les loups hurler dehors

Bien défendu par les grands et les forts,

Fier comme un homme

Qui fait un somme,

Je répondrais : " Passez, Messieurs, je dors !... "

(Je dis cela pour les loups du dehors).

 

On n'entendit plus rien dans la maison,

Ni le rouet, ni l'égale chanson ;

La mère ardente,

Fine et prudente,

Fit l'endormie auprès de la cloison,

Et suspendit tout bruit dans la maison.
 

Au berceau - Léon-Emile Caille

Au berceau - Léon-Emile Caille

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27 juin 2024 4 27 /06 /juin /2024 21:58

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  poétesse française

Les Pleurs,

1834 

 


Adieu d’une petite fille à l’École


Les plus beaux jours de nos vertes années

Semblent les fleurs d’un printemps gracieux,

Pressé d’orage et de vents pluvieux

Par qui soudain leurs couleurs sont fanées.


LX.

Mon cœur battait à peine et vous l’avez formé ;

Vos mains ont dénoué le fil de ma pensée,

Madame ! et votre image est à jamais tracée

Sur les jours de l’enfant que vous avez aimé !


Si le bonheur m’attend, ce sera votre ouvrage ;

Vos soins l’auront semé sur mon doux avenir :

Et si, pour m’éprouver, mon sort couve un orage,

Votre jeune roseau cherchera du courage,

Madame ! en s’appuyant sur votre souvenir !
 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) - poétesse française - Adieu d’une petite fille à l’École
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27 juin 2024 4 27 /06 /juin /2024 21:57

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  poétesse française
 

 

À mon fils

Après l'avoir conduit au collège

 

Dire qu’il faut ainsi se déchirer soi-même,

Leur porter son enfant, seule vie où l’on s’aime,

Seul miroir de ce temps où les yeux sont pleins d’or,

Où le ciel est en nous sans un nuage encor ;

Son enfant ! dont la voix nouvelle et reconnue,

Nous dit : "Je suis ta voix fraîchement revenue."

Son enfant ! Ce portrait, cette âme, cette voix,

Qui passe devant nous comme on fut une fois ;

Quand on pense qu’il faut s’en détacher vivante.

Lui choisir une cage inconnue et savante,

Le conduire à la porte et dire : " Le voilà !

Prenez, moi je m’en vais… " — C’est Dieu qui veut cela !

 

Croyez-vous ? Dieu veut donc que noyée en ma peine

Comme cette Madone assise à la fontaine,

Cachée en un vieux saule aux longs cheveux mouillés,

Ne pouvant plus mouvoir mes pieds las et souillés,

 

Je pleure, et d’un sanglot croyant troubler le monde,

J’appelle mon enfant pour que Dieu me réponde !

Mais la porte est déjà fermée à mon malheur,

Et tout dit à la femme : " Allez à la douleur ! "

 

J’y vais. Je n’ai rien dit, j’ai salué les maîtres ;

De la grande maison j’ai compté les fenêtres,

Parcouru le jardin sans verdure, sans fleurs.

Oui, c’est bien vrai, l’hiver est la saison des pleurs.

Les miens n’ont pas coulé de mon cœur gros d’alarme ;

J’ai vu partir mon fils sans verser une larme.

Il pâlissait, le pauvre, en me voyant partir !

Je souriais pourtant, j’essayais de mentir.

Dieu ! folle d’un chagrin que rien ne peut décrire,

Pour endurcir son cœur j’essayais de sourire !

Mais aux frissons épars dans mes membres tremblants,

J’ai senti que j’aurai bientôt des cheveux blancs.

Va ! je les aimerai. J’aimais ceux de ma mère.

Jeune encore, ils disaient son lot tendre et sévère,

Ses longs cheveux cendrés que je baisais toujours

Sans savoir que ce fût le livre de ses jours.

Tu baiseras les miens si l’amour me les donne.

Si tu sais où j’ai pris cette grave couronne,

Quand tu vivrais cent ans tu t’en ressouviendras,

Et par delà mes jours, toi, tu les béniras.

 

L’avait-il pressenti quand furtif, hors d’haleine,

Comme un agneau cherchant sa mère dans la plaine,

Il franchit sans frayeur un vieux mur entr’ouvert

Et bondit, pour m’atteindre, au sentier découvert,

(Tandis que le collége assoupi dans l’étude

L’avait laissé se battre avec la solitude)

Quand ses bras étendus revolèrent vers moi,

Et qu’il cria : " Je veux m’en aller avec toi ! "

 

Mais à peine arrivé jusqu’à l’eau du rivage,

Qu’ils sont vite accourus l’ôter à mon courage !

Car ils m’ont dit : " Courage ! " en m’arrachant sa main.

Et, sans savoir par où, j’ai repris mon chemin.

 

Quand on dira toujours que je suis trop heureuse ;

Qu’il aura de l’esprit ; que l’école est nombreuse ;

Que les enfants sont fiers d’y grandir loin de nous ;

Que je devrais bénir mon sort à deux genoux ; …

Ah ! j’y suis, à genoux, car l’angoisse est divine,

Et femme, je murmure, et mère, je m’incline.

Hélas, pour être mère on promet d’obéir,

Et mère on n’obéit qu’au risque de mourir !

 

Vous, du moins, Vierge blanche, immobile et soumise,

Et seule, au bord de l’eau pensivement assise,

 

Les mains sur votre cœur, et vos yeux sur mes yeux,

Parlez-moi, Vierge mère, oh ! parlez-moi des cieux !

Parlez ! vous qui voyez tout ce que j’ai dans l’âme :

Vous en avez pitié puisque vous êtes femme.

Cet amour des amours qui m’isole en ce lieu,

Ce fut le vôtre ; eh bien, parlez-en donc à Dieu !

Sans reproche, sans bruit, douce reine des mères,

Cachez dans vos pardons mes révoltes amères ;

Couvrez-moi de silence, et relevez mon front

aissé sous le chagrin comme sous un affront.

 

Voilà ce qui s’est fait par un jour de Décembre,

Mois sans soleil. Voilà ce que dans cette chambre

Où je n’entends gronder et gémir que mon cœur,

Devant l’heure qui vient et passe avec lenteur,

Je retrace de lui pour m’aider à l’attendre,

Jusqu’au jour, jour de vie ! où je pourrai l’entendre.

Devant mon jeune maître alors je me tairai :

Il parlera… mais moi, je le regarderai !
 

Johann Georg Meyer von Bremen German Méditation

Johann Georg Meyer von Bremen German Méditation

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27 juin 2024 4 27 /06 /juin /2024 21:55


 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  poétesse française

 

À Mon fils

Avant le collège

 

Un soir, l’âtre éclairait notre maison fermée,

Par le travail et toi doucement animée.

Ton aïeul tout rêveur te prit sur ses genoux,

(Il n’a jamais sommeil pour veiller avec nous)

Il parla le premier de départ, de collége,

De travaux, de la gloire aussi qui les allége,

Content d’avoir été, jeune un jour comme toi,

Emmené par sa mère… il le disait pour moi…

Puis traçant des tableaux pour étendre ta vue,

De nouveaux horizons découvrant l’étendue,

Il dit que, si petit qu’il fût, par le chemin,

Il soutenait sa mère et lui tenait la main.

Il raconta comment cette femme prudente

L’avait porté loin d’elle en sa tendresse ardente.

Ses yeux étaient mouillés me fixant en dessous…

De ce poignant effort je l’aime et je l’absous !

Sur quoi, me voyant coudre un manteau de voyage,

Il m’embrassa deux fois pour louer mon courage,

 

El toi, voyant qu’à tout je n’opposais plus rien,

Tu répondis : " Allons, mère, je le veux bien ! "

 

Oui, l’enfant veut toujours aller, perçant l’espace,

Tourner autour du monde et voir ce qui s’y passe.

Oui, son âme est l’oiseau qui n’a point de séjour,

Et qui vole partout où Dieu répand le jour.

Dès ce moment j’appris que j’avais fait un rêve,

Que tout nous dit adieu, que tout bonheur s’achève,

Et je devins confuse en pesant mon devoir.

L’ai-je rempli ?… Mon père était là pour le voir.

Le lendemain déjà dépassant la charmille

Et dérobant une âme au nid de la famille,

Quand nos pigeons rangés nous regardaient partir,

Trois fois prompte à rentrer, trois fois lente à sortir,

Comme celle qui croit oublier quelque chose,

Je ne pouvais sur toi tirer la porte close ;

Et le guide appelait : ah ! je l’entendais bien,

Mais j’oubliais toujours qu’il ne manquait plus rien.

 

Et toi, dont toute l’âme éclatait sans culture,

Partout où s’arrêtait notre lourde voiture,

Cher petit protecteur de mon rude chemin,

Tu descendais devant pour me donner la main.

 


On souriait de voir, empressé comme un page,

Un enfant si soumis, si diligent, si sage ;

Et je disais en moi, triste comme aujourd’hui :

" Jamais je ne pourrai m’en revenir sans lui ! "

 

Nous qui portons les fruits sur la terre où nous sommes,

Si fortes pour aimer, nous, faibles sœurs des hommes,

Ô mères, pourquoi donc les mettons-nous au jour,

Ces tendres fruits volés à notre ardent amour ?

À peine ils sont à nous qu’on veut nous les reprendre.

Ô mères, savez-vous ce qu’on va leur apprendre ?

À trembler sous un maître, à n’oser, par devoir,

Qu’une fois tous les ans demander à nous voir ;

À détourner de nous leurs mémoires légères.

Alors que sauront-ils ? Les langues étrangères,

Les vains soulèvements des peuples malheureux,

Et les fléaux humains toujours armés contre eux.

C’est donc beau ? Mais le temps saurait les en instruire.

Candeur de mon enfant, on va bien vous détruire !

Quand je le reverrai, mon fils sera savant ;

Il parlera latin ! Hélas, mon pauvre enfant,

Moi, je n’oserai plus peigner ta tête blonde.

Tu parleras latin ! Ta science profonde

Ne pouvant avec moi suivre un long entretien,

Tu diras tout surpris : " Ma mère ne sait rien ! "

 

Eh ! que veux-tu : l’amour n’en sait pas davantage ;

Ce maître conduit tout sans faire un grand tapage.

Il va ! Tant que mes pieds pouvaient porter mes jours,

J’allais chercher partout, pour t’en combler toujours,

Les fruits qui font bondir ta jeune fantaisie,

C’est notre étude à nous, c’est notre poésie.

Et je versais aussi quelques graves leçons

À ton doux cœur bercé par mes douces chansons.

N’était-ce pas assez pour nourrir ton jeune âge ?

Car tu n’as pas huit ans, chère âme ! Et c’est dommage,

Oui, je le dis, dommage, et frayeur, et danger,

D’ouvrir tant de secrets à ton âge léger.
 

Mary Cassatt, Alexander J. Cassatt et son fils - 1884-1885.Philadelphia Museum of Art.

Mary Cassatt, Alexander J. Cassatt et son fils - 1884-1885.Philadelphia Museum of Art.

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27 juin 2024 4 27 /06 /juin /2024 21:31

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  poétesse française

 

Le faneur et l'enfant

 

Le faneur.

Eh ! pourquoi pleures-tu ? ta colombe était vieille…

 

L’enfant.

Vieille !

 

Le faneur.

Elle allait perdant les ailes et les yeux ;

Elle ne trouvait plus son chemin vers les cieux,

Ni le froment de sa corbeille.

Il fallait la porter dans l’arbre au grand soleil,

Lui puiser l’eau du jour, la nourrir graine à graine ;

Elle avait toujours froid et se traînait à peine

De l’hiver à l’été vermeil.

 

L’enfant.

Ma colombe !…

 

Le faneur.

Ah ! ma foi, ta colombe est guérie.

Elle nous rendait sourds à force de gémir.

Elle avait fait son temps. Toi, tu pourras dormir.

Ou gambader par la prairie.

Va courir, va ! Sèche tes pleurs !

 

L’enfant.

Hier elle essayait de me tendre les ailes.

 

Le faneur.

Hier n’est plus. L’air bleu fourmille d’étincelles,

Et les buissons sentent les fleurs.

 

L’enfant.

Le monde est tout changé !

 

Le faneur.

Le monde va de même ;

Pourquoi ne prends-tu pas ce qu’il met devant toi ?

Pourquoi lui demander ce qu’il n’a plus ? Pourquoi

Pleurer un vieil oiseau !

 

L’enfant.

Je l’aime.

 

Le faneur.

Viens en chercher un autre ; il en pleut dans les blés.

On marche sur des nids, puis on en trouve encore.

Dieu le veut : des oiseaux sont toujours près d’éclore

Quand les oiseaux sont envolés.

Viens voir dans les sillons !…

 

L’enfant.

Non, j’attends ma colombe.

Ma colombe viendra tous les soirs, tous les jours.

Elle était ma colombe, et je la veux toujours !

Vois-tu ce tas de fleurs ? c’est sa petite tombe ;

J’y reste.

 

Le faneur.

Pourquoi faire ?

 

L’enfant.

Oh ! pour la voir venir !

Faneur, ne sais-tu pas que rien ne doit mourir ?

 

Le faneur.

Ce serait beau, mais quoi !…

 

L’enfant.

Sois en sûr ! c’est mon père

Qui me dit de le croire et qui veut que j’espère.

 

Le faneur.

J’en vois voler vers nous…

 

L’enfant.

Adieu, faneur, adieu.

 

Le faneur.

Tu ne veux pas les prendre ?

 

L’enfant (qui s’en va).

Ô ma colombe ! ô Dieu !
 

 Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) - poétesse française - Le faneur et l'enfant
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27 juin 2024 4 27 /06 /juin /2024 21:30

 

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)  poétesse française

Poésies inédites, 1860 

 

Aux nouveaux-nés heureux

 

Petits enfants heureux, que vous savez de choses,

En naissant !

On dirait qu’on entend s’entreparler des roses,

Et que vous racontez votre ciel au passant.

 

Vos rires sont vainqueurs en buvant de vos mères

Le doux lait,

Vous qui ne sentez pas que des larmes amères

Coulent dans ce nectar tiède et blanc qui vous plaît.

 

Ah ! c’est pourtant ainsi, mes charmants camarades,

Mais buvez !

La source où vous puisez d’abondantes rasades

Ne peut vivre et courir qu’autant que vous vivez.

 

Buvez ! délectez-vous sans labeur et sans honte,

Car un jour

Le sort qui reprend tout vous demandera compte

De ce lait qu’une mère offre avec tant d’amour !

 


Buvez ! En étreignant cette femme penchée

Sur son fruit,

C’est la vigne céleste à la terre attachée

Dont la sève s’épanche éternelle et sans bruit.
 

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