22 mars 2022 2 22 /03 /mars /2022 22:55
 
 
 
Armand Silvestre, ou Paul-Armand Silvestre (1837-1901), écrivain français, romancier, poète, conteur, librettiste et critique d'art, 
 

 
Regret d’avril
 
 
Il n’est chansons qu’au temps d’avril
Quand, sur les lilas en péril,
Le vent frileux palpite et pleure.
Il n’est chansons qu’au matin clair
Où, dans la caresse de l’air,
Tinte la jeunesse de l’heure !
 
Il n’est amour qu’au temps de mai
Quand la rose au coeur parfumé
S’ouvre aux souffles tièdes des grèves.
Il n’est amour qu’au soir vermeil
Où l’aile rose du soleil
Se referme au loin sur nos rêves.
 
Au temps d’hiver et des glaçons
Il n’est plus amour ni chansons !
Plus de lilas ! et plus de roses !
Les matins sont silencieux
Et les soirs descendent des cieux
Mélancoliques et moroses !

 
Armand Silvestre - poète - Regret d'avril
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22 mars 2022 2 22 /03 /mars /2022 22:47
 
 
 
Georges de Scudéry,(1601-1667) romancier et dramaturge français.
Originaire de Provence. Il fut le frère de la célèbre Madeleine de Scudéry (sapho) morte en 1701 âgée de 94 ans (femme de lettres)
 
Il fut officier et gouverneur du fort de Notre-Dame de la Garde, l’un des familiers de l’hôtel de Rambouillet.
 
Il a fait seize pièces de théâtre, des romans, des poésies (dix ou douze mille vers), des Observations sur le Cid qui provoquèrent l’examen que l’Académie fit de cette pièce. 
Il fut élu à l’Académie en 1650 remplaçant Vaugelas
 
 
 
Le Printemps
 
 
Enfin la belle Aurore, a tant versé de pleurs,
Que l'aimable Printemps nous fait revoir ses charmes ;
Il peint en sa faveur, les herbes et les fleurs,
Et tout ce riche Émail, est l'effet de ses larmes.
 
 
Cibèle que l'Hiver accablait de douleurs,
Et qui souffrait des vents les insolents vacarmes ;
Mêle parmi ses Tours, les plus vives couleurs,
Et triomphe à la fin par ces brillantes Armes.
 
 
Les Roses et les Lis, d'un merveilleux éclat,
Confondent la blancheur, au beau lustre incarnat ;
La Tulipe changeante, étale sa peinture :
 
 
Le Narcisse agréable, à l'Anémone est joint ;
Bref, tout se rajeunit ; tout change en la Nature ;
Mais superbe Philis, mon sort ne change point.
 
 
 
 
Berthe Morisot  (1841-1895) Printemps Le jardin à Bougival

Berthe Morisot (1841-1895) Printemps Le jardin à Bougival

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22 mars 2022 2 22 /03 /mars /2022 00:12
 
 
 
Zoé Fleurentin, Poète (1815-1863)
 
 
Poésies élégiaques
 
 
 
Sur la lyre tissant mes douces mélodies
 
Sur la lyre tissant mes douces mélodies, 
Tantôt j'ai fait gronder un hymne à la vertu ; 
Et tantôt, soupirant, mes lèvres moins hardies 
Ont tout bas murmuré :
" Printemps, que me veux-tu ? "
 
Restant toujours fidèle à l'essaim de mes rêves, 
Jamais je n'ai maudit l'extase de l'amour, 
Ni condamné ceux qui, dans des heures trop brèves, 
Prononcent des serments qu'ils oublieront un jour.
 
Alfons Maria Mucha (1860-1939) allegorie du printemps

Alfons Maria Mucha (1860-1939) allegorie du printemps

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21 mars 2022 1 21 /03 /mars /2022 00:09

 

 

Charles Cros (1842-1888) poète et inventeur français.


Le coffret de santal

 


Les quatre saisons – Le printemps

 

Au printemps, c’est dans les bois nus

Qu’un jour nous nous sommes connus.

 

Les bourgeons poussaient vapeur verte.

L’amour fut une découverte.

 

Grâce aux lilas, grâce aux muguets,

De rêveurs nous devînmes gais.

 

Sous la glycine et le cytise,

Tous deux seuls, que faut-il qu’on dise ?

 

Nous n’aurions rien dit, réséda,

Sans ton parfum qui nous aida.
 

Charles Cros (1842-1888) - poète et inventeur français - Les quatre saisons – Le printemps
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19 mars 2022 6 19 /03 /mars /2022 20:07
 
 
 
 
Gérard de Nerval (1808-1855 - pseudonyme de Gérard Labrunie) écrivain et un poète français. Il est essentiellement connu pour ses poèmes et ses nouvelles, notamment son ouvrage Les Filles du feu, recueil de nouvelles (la plus célèbre étant Sylvie) et de sonnets (Les Chimères) publié en 1854.
 
Odelettes
 
 
Avril
 
Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ; -
Et rien de vert : - à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
- Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.
 
 
 
 
 
Claude Monet - Printemps à Giverny

Claude Monet - Printemps à Giverny

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19 mars 2022 6 19 /03 /mars /2022 19:58

 

 

René Armand François Prudhomme, dit Sully Prudhomme (1839-1907) poète français, premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.

Stances et poèmes


 

Printemps oublié

 


Ce beau printemps qui vient de naître

A peine goûté va finir ;

Nul de nous n’en fera connaître

La grâce aux peuples à venir.

 

Nous n’osons plus parler des roses :

Quand nous les chantons, on en rit ;

Car des plus adorables choses

Le culte est si vieux qu’il périt.

 

Les premiers amants de la terre

Ont célébré Mai sans retour,

Et les derniers doivent se taire,

Plus nouveaux que leur propre amour.

 

Rien de cette saison fragile

Ne sera sauvé dans nos vers,

Et les cytises de Virgile

Ont embaumé tout l’univers.

 

Ah ! frustrés par les anciens hommes,

Nous sentons le regret jaloux

Qu’ils aient été ce que nous sommes,

Qu’ils aient eu nos coeurs avant nous.

 

Le printemps par Henri Martin

Le printemps par Henri Martin

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19 mars 2022 6 19 /03 /mars /2022 18:02

 

 

Auguste Lacaussade (1815-1897) poète français 

Poèmes et Paysages, 1897

 

 

Les Soleils de Mai

 

D’un souffle virginal le plus aimé des mois

Emplit l’air ; le lilas aux troncs moussus des bois

Suspend sa grappe parfumée ;

Les oiseaux sont joyeux et chantent le soleil ;

Tout sourit ; du printemps, tout fête le réveil :

Toi seule es triste, ô bien-aimée !

 

Pourquoi ces yeux rêveurs et ce regard penché ?

De quel secret ennui ton cœur est-il touché ?

Qu’as-tu ma grande et pâle Amie,

Qu’as-tu ? Vois ce beau ciel sourire et resplendir !

Oh ! souris-moi ! Je sens mon cœur s’épanouir

Avec la terre épanouie.

 

Sur le cours bleu des eaux, au flanc noir de la tour,

Regarde ! l’hirondelle est déjà de retour.

Ailes et feuilles sont décloses.

C’est la saison des fleurs, c’est la saison des vers.

C’est le temps où dans l’âme et dans les rameaux verts

Fleurissent l’amour et les roses.

 

Soyons jeunes ! fêtons le beau printemps vainqueur !

Quand on est triste, Amie, il fait nuit dans le cœur ;

La joie est le soleil de l’âme !

Oublions ce que l’homme et la vie ont d’amer !

Je veux aimer pour vivre et vivre pour aimer,

Pour vous aimer, ma noble Dame !

 

Loin de nous les soucis, belle aux cheveux bruns !

Enivrons-nous de brise, et d’air et de parfums,

Enivrons-nous de jeunes sèves !

Sur leurs tiges cueillons les promesses des fleurs !

Assez tôt reviendront l’hiver et ses rigueurs

Flétrir nos roses et nos rêves ! 

 

Et, tandis qu’il parlait, muette à ses côtés,

Marchait la grande Amie aux regards veloutés ;

Son front baigné de rêverie

S’éclairait à sa voix d’un doux rayonnement ;

Et, lumière de l’âme, un sourire charmant

Flottait sur sa lèvre fleurie.
 

Auguste Lacaussade (1815-1897) - poète français - Les Soleils de Mai
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18 mars 2022 5 18 /03 /mars /2022 23:19

 

 

Victor Hugo (1802-1885) poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français

Les contemplations


 

Premier mai

 

Tout conjugue le verbe aimer. Voici les roses.

Je ne suis pas en train de parler d’autres choses.

Premier mai ! l’amour gai, triste, brûlant, jaloux,

Fait soupirer les bois, les nids, les fleurs, les loups ;

L’arbre où j’ai, l’autre automne, écrit une devise,

La redit pour son compte et croit qu’il l’improvise ;

Les vieux antres pensifs, dont rit le geai moqueur,

Clignent leurs gros sourcils et font la bouche en coeur ;

L’atmosphère, embaumée et tendre, semble pleine

Des déclarations qu’au Printemps fait la plaine,

Et que l’herbe amoureuse adresse au ciel charmant.

A chaque pas du jour dans le bleu firmament,

La campagne éperdue, et toujours plus éprise,

Prodigue les senteurs, et dans la tiède brise

Envoie au renouveau ses baisers odorants ;

Tous ses bouquets, azurs, carmins, pourpres, safrans,

Dont l’haleine s’envole en murmurant : Je t’aime !

Sur le ravin, l’étang, le pré, le sillon même,

Font des taches partout de toutes les couleurs ;

Et, donnant les parfums, elle a gardé les fleurs ;

Comme si ses soupirs et ses tendres missives

Au mois de mai, qui rit dans les branches lascives,

Et tous les billets doux de son amour bavard,

Avaient laissé leur trace aux pages du buvard !

Les oiseaux dans les bois, molles voix étouffées,

Chantent des triolets et des rondeaux aux fées ;

Tout semble confier à l’ombre un doux secret ;

Tout aime, et tout l’avoue à voix basse ; on dirait

Qu’au nord, au sud brûlant, au couchant, à l’aurore,

La haie en fleur, le lierre et la source sonore,

Les monts, les champs, les lacs et les chênes mouvants,

Répètent un quatrain fait par les quatre vents.
 

John William Waterhouse - chant du printemps

John William Waterhouse - chant du printemps

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18 mars 2022 5 18 /03 /mars /2022 23:18

 

 

Théodore Agrippa d'Aubigné, né d’Aubigny (1552-1630) homme de guerre, écrivain controversiste et poète baroque français. 

 


Prière du matin

 

Le Soleil couronné de rayons et de flammes

Redore nostre aube à son tour :

Ô sainct Soleil des Saincts, Soleil du sainct amour,

Perce de flesches d’or les tenebres des ames

En y rallumant le beau jour.

 

Le Soleil radieux jamais ne se courrouce,

Quelque fois il cache ses yeux :

C’est quand la terre exhalle en amas odieux

Un voile de vapeurs qu’au devant elle pousse,

En se troublant, et non les Cieux.

 

Jesus est toujours clair, mais lors son beau visage

Nous cache ses rayons si doux,

Quand nos pechez fumans entre le Ciel et nous,

De vices redoublez enlevent un nuage

Qui noircit le Ciel de courroux.

 

Enfin ce noir rempart se dissout et s’esgare

Par la force du grand flambeau.

Fuyez, pechez, fuyez : le Soleil clair et beau

Vostre amas vicieux et dissipe et separe,

Pour nous oster nostre bandeau.

 

Nous ressusciterons des sepulchres funebres,

Comme le jour de la nuict sort

Si la premiere mort de la vie est le port,

Le beau jour est la fin des espaisses tenebres,

Et la vie est fin de la mort.
 

Soleil du printemps - Florimond Bruneau (1877-1956)

Soleil du printemps - Florimond Bruneau (1877-1956)

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18 mars 2022 5 18 /03 /mars /2022 23:17

 

 

Alfred de Musset  (1810-1857) poète, dramaturge et écrivain français de la période romantique

Poésies nouvelles


 

La nuit de mai

 

LA MUSE

Poète, prends ton luth et me donne un baiser ;

La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore,

Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embraser ;

Et la bergeronnette, en attendant l’aurore,

Aux premiers buissons verts commence à se poser.

Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.

 

LE POÈTE

Comme il fait noir dans la vallée !

J’ai cru qu’une forme voilée

Flottait là-bas sur la forêt.

Elle sortait de la prairie ;

Son pied rasait l’herbe fleurie ;

C’est une étrange rêverie ;

Elle s’efface et disparaît.

 

LA MUSE

Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse,

Balance le zéphyr dans son voile odorant.

La rose, vierge encor, se referme jalouse

Sur le frelon nacré qu’elle enivre en mourant.

Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée.

Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée

Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux.

Ce soir, tout va fleurir : l’immortelle nature

Se remplit de parfums, d’amour et de murmure,

Comme le lit joyeux de deux jeunes époux.

 

LE POÈTE

Pourquoi mon coeur bat-il si vite ?

Qu’ai-je donc en moi qui s’agite

Dont je me sens épouvanté ?

Ne frappe-t-on pas à ma porte ?

Pourquoi ma lampe à demi morte

M’éblouit-elle de clarté ?

Dieu puissant ! tout mon corps frissonne.

Qui vient ? qui m’appelle ? – Personne.

Je suis seul ; c’est l’heure qui sonne ;

Ô solitude ! ô pauvreté !

 

LA MUSE

Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse

Fermente cette nuit dans les veines de Dieu.

Mon sein est inquiet ; la volupté l’oppresse,

Et les vents altérés m’ont mis la lèvre en feu.

Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle.

Notre premier baiser, ne t’en souviens-tu pas,

Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile,

Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ?

Ah ! je t’ai consolé d’une amère souffrance !

Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d’amour.

Console-moi ce soir, je me meurs d’espérance ;

J’ai besoin de prier pour vivre jusqu’au jour.

 

LE POÈTE

Est-ce toi dont la voix m’appelle,

Ô ma pauvre Muse ! est-ce toi ?

Ô ma fleur ! ô mon immortelle !

Seul être pudique et fidèle

Où vive encor l’amour de moi !

Oui, te voilà, c’est toi, ma blonde,

C’est toi, ma maîtresse et ma soeur !

Et je sens, dans la nuit profonde,

De ta robe d’or qui m’inonde

Les rayons glisser dans mon coeur.

 

LA MUSE

Poète, prends ton luth ; c’est moi, ton immortelle,

Qui t’ai vu cette nuit triste et silencieux,

Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle,

Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux.

Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire

Te ronge, quelque chose a gémi dans ton coeur ;

Quelque amour t’est venu, comme on en voit sur terre,

Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur.

Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensées,

Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu,

Éveillons au hasard les échos de ta vie,

Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie,

Et que ce soit un rêve, et le premier venu.

Inventons quelque part des lieux où l’on oublie ;

Partons, nous sommes seuls, l’univers est à nous.

Voici la verte Écosse et la brune Italie,

Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux,

Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes,

Et Messa la divine, agréable aux colombes,

Et le front chevelu du Pélion changeant ;

Et le bleu Titarèse, et le golfe d’argent

Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire,

La blanche Oloossone à la blanche Camyre.

Dis-moi, quel songe d’or nos chants vont-ils bercer ?

D’où vont venir les pleurs que nous allons verser ?

Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière,

Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet,

Secouait des lilas dans sa robe légère,

Et te contait tout bas les amours qu’il rêvait ?

Chanterons-nous l’espoir, la tristesse ou la joie ?

Tremperons-nous de sang les bataillons d’acier ?

Suspendrons-nous l’amant sur l’échelle de soie ?

Jetterons-nous au vent l’écume du coursier ?

Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre

De la maison céleste, allume nuit et jour

L’huile sainte de vie et d’éternel amour ?
Crierons-nous à Tarquin :  "Il est temps, voici l’ombre !" 

Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ?

Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ?

Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ?

Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ?

La biche le regarde ; elle pleure et supplie ;

Sa bruyère l’attend ; ses faons sont nouveau-nés ;

Il se baisse, il l’égorge, il jette à la curée

Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant.

Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée,

S’en allant à la messe, un page la suivant,

Et d’un regard distrait, à côté de sa mère,

Sur sa lèvre entr’ouverte oubliant sa prière ?

Elle écoute en tremblant, dans l’écho du pilier,

Résonner l’éperon d’un hardi cavalier.

Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France

De monter tout armés aux créneaux de leurs tours,

Et de ressusciter la naïve romance

Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ?

Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ?

L’homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie,

Et ce qu’il a fauché du troupeau des humains

Avant que l’envoyé de la nuit éternelle

Vînt sur son tertre vert l’abattre d’un coup d’aile,

Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ?

Clouerons-nous au poteau d’une satire altière

Le nom sept fois vendu d’un pâle pamphlétaire,

Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli,

S’en vient, tout grelottant d’envie et d’impuissance,

Sur le front du génie insulter l’espérance,

Et mordre le laurier que son souffle a sali ?

Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ;

Mon aile me soulève au souffle du printemps.

Le vent va m’emporter ; je vais quitter la terre.

Une larme de toi ! Dieu m’écoute ; il est temps.

 

LE POÈTE

S’il ne te faut, ma soeur chérie,

Qu’un baiser d’une lèvre amie

Et qu’une larme de mes yeux,

Je te les donnerai sans peine ;

De nos amours qu’il te souvienne,

Si tu remontes dans les cieux.

Je ne chante ni l’espérance,

Ni la gloire, ni le bonheur,

Hélas ! pas même la souffrance.

La bouche garde le silence

Pour écouter parler le coeur.

 

LA MUSE

Crois-tu donc que je sois comme le vent d’automne,

Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau,

Et pour qui la douleur n’est qu’une goutte d’eau ?

Ô poète ! un baiser, c’est moi qui te le donne.

L’herbe que je voulais arracher de ce lieu,

C’est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu.

Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,

Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure

Que les noirs séraphins t’ont faite au fond du coeur :

Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur.

Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,

Que ta voix ici-bas doive rester muette.

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,

Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.

Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage,

Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,

Ses petits affamés courent sur le rivage

En le voyant au loin s’abattre sur les eaux.

Déjà, croyant saisir et partager leur proie,

Ils courent à leur père avec des cris de joie

En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.

Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,

De son aile pendante abritant sa couvée,

Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.

Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;

En vain il a des mers fouillé la profondeur ;

L’Océan était vide et la plage déserte ;

Pour toute nourriture il apporte son coeur.

Sombre et silencieux, étendu sur la pierre

Partageant à ses fils ses entrailles de père,

Dans son amour sublime il berce sa douleur,

Et, regardant couler sa sanglante mamelle,

Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle,

Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur.

Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,

Fatigué de mourir dans un trop long supplice,

Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ;

Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,

Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage,

Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,

Que les oiseaux des mers désertent le rivage,

Et que le voyageur attardé sur la plage,

Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.

Poète, c’est ainsi que font les grands poètes.

Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps ;

Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes

Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.

Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées,

De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur,

Ce n’est pas un concert à dilater le coeur.

Leurs déclamations sont comme des épées :

Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant,

Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.

 

LE POÈTE

Ô Muse ! spectre insatiable,

Ne m’en demande pas si long.

L’homme n’écrit rien sur le sable

À l’heure où passe l’aquilon.

J’ai vu le temps où ma jeunesse

Sur mes lèvres était sans cesse

Prête à chanter comme un oiseau ;

Mais j’ai souffert un dur martyre,

Et le moins que j’en pourrais dire,

Si je l’essayais sur ma lyre,

La briserait comme un roseau.


 

Eugène Louis Lami (1800-1890) nuit de mai

Eugène Louis Lami (1800-1890) nuit de mai

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