2 mai 2024 4 02 /05 /mai /2024 13:36

 

 

Stuart Merrill (1863-1915) poète symboliste américain d'expression française.

 

 

Les quatre saisons

 

 

Printemps

impression de printemps


Le village, frileux sous ses toits de vieux chaume,

S’ouvre, ce bleu matin, aux désirs du printemps.

Cœurs et fleurs vont éclore au ciel qui s’en embaume.

C’est un jour où partout les hommes sont contents.

 

Le blé vert a percé sous la dernière neige,

La violette est née au fond des bois anciens,

Le lilas va fleurir sous le doux sortilège

Des soupirs d’amoureux que le vent mêle aux siens.


L’on a mis des rubans à l’arbre de l’auberge

Qui résonne gaiement du rire des buveurs.

Les enfants sont partis prier la Sainte Vierge

En ce bon renouveau qui rend leurs yeux rêveurs.

 

Et des cages d’oiseaux, de fenêtre à fenêtre,

Amusent les vieillards qui goûtent le soleil,

En écoutant, béats de ce tiède bien-être,

Ronronner à leurs pieds les chats lourds de sommeil.

 

 

 

Eté

Somnolence


Dormir ! — Les volets sont clos sur le soleil, et que m’importe

L’horloge qui, comme un cœur, bat le rythme du Temps

Dans la maison où c’est peut-être la Mort qui m’attend

Ou l’Amour, cette ombre que j’ai vue entrer par la porte ?

 

Dormir ! — Dans le bassin du jardin, l’eau en tintant

Fait rêver à des rires de nymphes nues qui apportent

Des fruits plein les mains à leurs compagnes mi-mortes

D’avoir trop baisé la chair chaude du Printemps.

 

Pourtant un pas furtif glisse dans le couloir

Et une main prudente cherche à pousser l’huis.

Mais, seul, je veux être roi du silence et du soir.

 

Dormir ! — Aux vitres vibre le vol des mouches.

— Que m’importe


Que ce soit la Mort frappant si doucement à la porte

Ou l’Amour qui, ayant à peine frappé, a déjà fui ?

 


 

Automne

Pluie d'automne


Ô pluie, douce pluie sanglotante

Qui éveilles ma peine comme des larmes de mère

— Pluie si froide, larmes si amères ! —

Dans le crépuscule où nul oiseau ne chante,

 

Ne cesseras-tu ton tintement monotone

Sur le toit de ma maison aux vieilles tuiles

D’où se sont envolées vers de lointaines îles

Les hirondelles que rebrousse le rude automne ?


Près de l’âtre où éclatent en fleurs de flamme les bûches

Je lis des histoires tristes de très vieilles reines

Qui me font oublier les anciennes semaines

Où les abeilles bourdonnaient dans les ruches.

 

Dehors les tourterelles ouvrent large leurs ailes

Pour recevoir le baptême sacré de la pluie,

Et les poules secouent leurs plumes

dans la grange où s’ennuient,

Griffant parfois la paille, les chats roulés pêle-mêle.

 

Personne, à cette heure, ne passera sur la route,

À moins que la mendiante à la chevelure rousse

Ne vienne, avec son geste qui craint qu’on la repousse,

Quêter un peu de pain, comme le remords cherche l’absoute.

 

Au fond de la salle sombre, je me sens seul au monde,

Ce soir où les cheminées ont une odeur de suie,

Et je demande en vain son secret à la pluie


Qui me fait presque pleurer comme un enfant qu’on gronde.


Le secret de la pluie est-il celui des larmes ?

— Pluie si froide, larmes si amères ! —

Ah ! réponds, cœur d’enfant sur qui pleure une mère,

Le secret de la pluie est-il celui des larmes ?

 

 


Hiver

Noël


Noëls des anciens temps, hymnes d’or dans la nuit,

Verrières empourprant la neige de la lande,

Bergers chantant, chacun droit sous sa houppelande

Dans le bercail où les troupeaux dorment sans bruit ;

 

De village à village, alors que l’ombre luit,

Les sabots des bambins allant, serrés en bande,

Quêter à chaque seuil le pain, le vin, la viande,

Pour donner à manger au vagabond qui fuit ;

 


Légendes dont est claire et sonore mon âme,

L’hiver brûlant d’amour, les frimas et la flamme,

Tout le ciel annonçant à la terre Jésus,

 

Vous n’êtes que rumeurs et rêves sur la route

Pour les veilleurs dressés vers les astres déçus

Qui virent tant de dieux mourir de notre doute !
 

Stuart Merril (1863-1915) - poète symboliste américain - Les quatre saisons
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1 mai 2024 3 01 /05 /mai /2024 22:30

 

 

Anna de Noailles (1876-1933) poétesse et romancière française d'origines roumaine et grecque

 


L'innocence

 


Si tu veux nous ferons notre maison si belle

Que nous y resterons les étés et l'hiver !

Nous verrons alentour fluer l'eau qui dégèle,

Et les arbres jaunis y redevenir verts.

 

Les jours harmonieux et les saisons heureuses

Passeront sur le bord lumineux du chemin,

Comme de beaux enfants dont les bandes rieuses

S'enlacent en jouant et se tiennent les mains.

 

Un rosier montera devant notre fenêtre

Pour baptiser le jour de rosée et d'odeur ;

Les dociles troupeaux, qu'un enfant mène paître,

Répandront sur les champs leur paisible candeur.

 

Le frivole soleil et la lune pensive

Qui s'enroulent au tronc lisse des peupliers

Refléteront en nous leur âme lasse ou vive

Selon les clairs midis et les soirs familiers.

 

Nous ferons notre coeur si simple et si crédule

Que les esprits charmants des contes d'autrefois

Reviendront habiter dans les vieilles pendules

Avec des airs secrets, affairés et courtois.

 

Pendant les soirs d'hiver, pour mieux sentir la flamme,

Nous tâcherons d'avoir un peu froid tous les deux,

Et de grandes clartés nous danseront dans l'âme

A la lueur du bois qui semblera joyeux.

 

Émus de la douceur que le printemps apporte,

Nous ferons en avril des rêves plus troublants.

- Et l'Amour sagement jouera sur notre porte

Et comptera les jours avec des cailloux blancs...
 

Anna de Noailles (1876-1933) - poétesse et romancière française - L'innocence
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30 avril 2024 2 30 /04 /avril /2024 23:21

 

 

Albert Samain (1858-1900) poète symboliste français

 

 

Les quatre saisons

Forêts


Vastes Forêts, Forêts magnifiques et fortes,

Quel infaillible instinct nous ramène toujours

Vers vos vieux troncs drapés de mousses de velours

Et vos étroits sentiers feutrés de feuilles mortes ?

 

Le murmure éternel de vos larges rameaux

Réveille encore en nous, comme une voix profonde,

L’émoi divin de l’homme aux premiers jours du monde,

Dans l’ivresse du ciel, de la terre, et des eaux.

 

Grands bois, vous nous rendez à la Sainte Nature.

Et notre coeur retrouve, à votre âme exalté,

Avec le jeune amour l’antique liberté,

Grands bois grisants et forts comme une chevelure !

 

Vos chênes orgueilleux sont plus durs que le fer ;

Dans vos halliers profonds nul soleil ne rayonne ;

L’horreur des lieux sacrés au loin vous environne,

Et vous vous lamentez aussi haut que la mer !

 

Quand le vent frais de l’aube aux feuillages circule,

Vous frémissez aux cris de mille oiseaux joyeux ;

Et rien n’est plus superbe et plus religieux

Que votre grand silence, au fond du crépuscule...

 

Autrefois vous étiez habités par les dieux ;

Vos étangs miroitaient de seins nus et d’épaules,

Et le Faune amoureux, qui guettait dans les saules,

Sous son front bestial sentait flamber ses yeux.

 

La Nymphe grasse et rousse ondoyait aux clairières

Où l’herbe était foulée aux pieds lourds des Silvains,

Et, dans le vent nocturne, au long des noirs ravins,

Le Centaure au galop faisait rouler des pierres.

 

Votre âme est pleine encor des songes anciens ;

Et la flûte de Pan, dans les campagnes veuves,

Les beaux soirs où la lune argente l’eau des fleuves,

Fait tressaillir encor vos grands chênes païens.

 

Les Muses, d’un doigt pur soulevant leurs longs voiles

À l’heure où le silence emplit le bois sacré,

Pensives, se tournaient vers le croissant doré,

Et regardaient la mer soupirer aux étoiles...

*
**

Nobles Forêts, Forêts d’automne aux feuilles d’or,

Avec ce soleil rouge au fond des avenues,

Et ce grand air d’adieu qui flotte aux branches nues

Vers l’étang solitaire, où meurt le son du cor.

 

Forêts d’avril : chansons des pinsons et des merles ;

Frissons d’ailes, frissons de feuilles, souffle pur ;

Lumière d’argent clair, d’émeraude et d’azur ;

Avril ! ... Pluie et soleil sur la forêt en perles ! ...

 

Ô vertes profondeurs, pleines d’enchantements,

Bancs de mousse, rochers, sources, bruyères roses,

Avec votre mystère, et vos retraites closes,

Comme vous répondez à l’âme des amants !

 

Dans le creux de sa main l’amante a mis des mûres ;

Sa robe est claire encore au sentier déjà noir ;

De légères vapeurs montent dans l’air du soir,

Et la forêt s’endort dans les derniers murmures.

 

La hutte au toit noirci se dresse par endroits ;

Un cerf, tendant son cou, brame au bord de la mare

Et le rêve éternel de notre coeur s’égare

Vers la maison d’amour cachée au fond des bois.

 

Ô calme ! ... Tremblement des étoiles lointaines ! ...

Sur la nappe s’écroule une coupe de fruits ;

Et l’amante tressaille au silence des nuits,

Sentant sur ses bras nus la fraîcheur des fontaines...

 

*
**

Forêts d’amour, Forêts de tristesse et de deuil,

Comme vous endormez nos secrètes blessures,

Comme vous éventez de vos lentes ramures

Nos coeurs toujours brûlants de souffrance ou d’orgueil.

 

Tous ceux qu’un signe au front marque pour être rois,

Pâles s’en vont errer sous vos sombres portiques,

Et, frissonnant au bruit des rameaux prophétiques,

Écoutent dans la nuit parler de grandes voix.

 

Tous ceux que visita la Douleur solennelle,

Et que n’émeuvent plus les soirs ni les matins,

Rêvent de s’enfoncer au coeur des vieux sapins,

Et de coucher leur vie à leur ombre éternelle.

 

Salut à vous, grands bois à la cime sonore,

Vous où, la nuit, s’atteste une divinité,

Vous qu’un frisson parcourt sous le ciel argenté,

En entendant hennir les chevaux de l’Aurore.

 

Salut à vous, grands bois profonds et gémissants,

Fils très bons et très doux et très beaux de la Terre,

Vous par qui le vieux coeur humain se régénère,

Ivre de croire encore à ses instincts puissants :

 

Hêtres, charmes, bouleaux, vieux troncs couverts d’écailles,

Piliers géants tordant des hydres à vos pieds,

Vous qui tentez la foudre avec vos fronts altiers,

Chênes de cinq cents ans tout labourés d’entailles,

 

Vivez toujours puissants et toujours rajeunis ;

Déployez vos rameaux, accroissez votre écorce

Et versez-nous la paix, la sagesse et la force,

Grands ancêtres par qui les hommes sont bénis.

(octobre 1896)  
 

Albert Samain (1858-1900) - poète symboliste français - Les quatre saisons
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30 avril 2024 2 30 /04 /avril /2024 22:08

 

 

José-Maria de Heredia (1842-1905) homme de lettres d'origine cubaine (alors encore colonie espagnole à cette époque). Né sujet espagnol, il a été naturalisé français en 1893


 

Hortorum Deus (IV)

Mihi corolla picta vere ponitur.

(La corolle est vraiment prête pour moi)

 

Catulle

Entre donc. Mes piliers sont fraîchement crépis,

Et sous ma treille neuve où le soleil se glisse

L'ombre est plus douce. L'air embaume la mélisse.

Avril jonche la terre en fleur d'un frais tapis.

 

Les saisons tour à tour me parent : blonds épis,

Raisins mûrs, verte olive ou printanier calice ;

Et le lait du matin caille encor sur l'éclisse,

Que la chèvre me tend la mamelle et le pis.

 

Le maître de ce clos m'honore. J'en suis digne.

Jamais grive ou larron ne marauda sa vigne

Et nul n'est mieux gardé de tout le Champ Romain.

 

Les fils sont beaux, la femme est vertueuse, et l'homme,

Chaque soir de marché, fait tinter dans sa main

Les deniers d'argent clair qu'il rapporte de Rome.
 

José-Maria de Heredia (1842-1905) - homme de lettres espagnol et français - Hortorum Deus (IV) Mihi corolla picta vere ponitur.
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30 avril 2024 2 30 /04 /avril /2024 21:38

 

 

Guillaume Anfrie (1639-1720), abbé de Chaulieu, poète libertin français.

 

A Madame la marquise de Lassay

de Fontenay, le premier Jour de Mai 1705

 

Loin de la foule et du bruit,

Je suis dans mon château, comme vous dans le vôtre :

Car ne se peut prendre pour autre

Que pour château, votre réduit ;

Et croiriez une baliverne,

Si, sur la foi d'une lanterne

Qui par l'ordre d'Argenson luit,

Vous pensiez qu'être aux Incurables,

Entre gens un peu raisonnables,

Ce soit demeurer à Paris.

Entre nous autres beaux esprits

Qu'il faut bien que dans nos écrits,

Toujours la justesse accompagne,

Vous demeurez à la campagne ;

Et pour moi, maintenant j'y suis.

C'est là que, plus touché d'un ruisseau qui murmure,

Que de tous ces vains ornements

Fils de l'art et de l'imposture,

Je me fais des amusemens

De tout ce qu'à mes yeux présente la nature.

Quel plaisir de la voir rajeunir chaque jour !

Elle rit dans nos prés, verdit dans nos boccages,

Fleurit dans nos jardins et dans les doux ramages

Des oiseaux de nos bois elle parle d'amour.

Hélas ! pourquoi faut-il, par une loi trop dure,

Que la jeunesse des saisons,

Qui rend la verte chevelure

A nos arbres, à nos buissons,

Ne puisse ranimer notre machine usée ;

Rendre à mon sang glacé son ancienne chaleur,

A mon corps, à mes sens leur premiere vigueur,

Et d'esprits tout nouveaux réchauffer ma pensée ;

Surtout, rendre à mon coeur ces tendres sentimens,

Ces transports, ces fureurs, ces précieuses larmes,

Qui de nos jours font l'unique printems,

Et dont mon coeur usé ne connoît plus les charmes ?

Alors vous me verriez cent fois à vos genoux

Vous redire combien vous me semblez aimable ;

Vous jurer que le ciel me fit exprès pour vous ;

Que mon attachement seroit tendre et durable ;

Que dans l'imagination

Quelque chose de simpathique

Prépare entre nous l'union

Par où l'amour au coeur souvent se communique ;

Enfin, sans vous chercher cent autres agrémens,

Que vous avez tous les talens

Que je sens qu'il faut pour me plaire.

Ainsi je parlerois dans ces bienheureux tems ;

Mais je dois maintenant me taire.
 

Guillaume Anfrie (1639-1720) - abbé de Chaulieu, poète libertin français - A Madame la marquise de Lassay
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30 avril 2024 2 30 /04 /avril /2024 20:40


 

 

Robert Desnos (1900-1945) poète surréaliste et résistant français

 


Quatre saisons


Elle naît au déclin de l'automne

Elle vit en rêve tout un hiver

Elle s'éveille en sursaut au printemps

Elle aime, elle aime en plein été

Elle sème des souvenirs en automne

Elle oublie ses souvenirs en hiver

Elle chante la vie au printemps

Elle se tait, elle se tait en été

 

Elle parle à travers l'automne

Elle écoute une voix en hiver

Elle va vers la vie au printemps

Elle nie, elle nie la mort en été

On la perd de vue en automne

On l'oublie, on l'oublie en hiver

 

Quelqu'un se souvient d'elle un jour de printemps

 

Son nom naufrage pour jamais au cœur de l'été

 

Automne, hiver, printemps, été Être être et avoir été
 

Robert Desnos (1900-1945) - poète surréaliste et résistant français - Quatre saisons
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30 avril 2024 2 30 /04 /avril /2024 20:17


 

 

Hữu Ngọc (1918-2010), chercheur et écrivain vietnamien.
(Octobre 1996)

 

Les saisons 

 

Printemps


Les jeunes rayons du soleil réchauffent

l’homme et enivrent les cieux.

Paysage printanier où l’air tiède

enveloppe palais et monuments.

Au travers les rideaux,

les loriots font la navette dans les saules.

Autour de la véranda, les papillons voltigent sur les fleurs.

Et sur le seuil de la maison, la lumière du jour s’allonge.

Un soupçon de sueur tout parfumé de poudre

vient humecter la robe verte.

L’enfant, ignorant la tristesse printanière,

S’appuie à la rampe d’ivoire et sourit.

 

 

Été


Le vent souffle éparpillant les fleurs rouges des grenadiers.

Une belle femme, au jardin,

se balance nonchalamment dans un hamac.

Le loriot sur sa branche regrette 

le printemps qui, trop vite, s’écoule.

Un couple d’hirondelles violettes

a la nostalgie du paysage enfui.

S’arrêtant de coudre, muette et les sourcils baissés,

Elle appuie un instant sur les tentures de soie

sa tête lasse, se laissant aller à son rêve,

Mais quelqu’un s’approchant, écarte le rideau

et l’arrache au sommeil,

Hélas ! son âme ne peut plus le rejoindre à Liêu Tây.

 

 

Automne

 

Les effluves de l’automne imprègnent l’espace,

le ciel est serein, l’air est pur,

Une oie solitaire venant de loin, annonce l’arrivée du brouillard.

Les lotus se fanent sur leurs longues tiges,

leur parfum s’éteint dans les bassins de Jade.

À la troisième veille les feuilles de bouleau

jonchent les eaux froides du fleuve Ngô.

La luciole voltige autour des balustrades bleues.

La veste en tissu mince ne peut plus

protéger du froid pénétrant. 

La flûte qui se tait au loin me fait rêver.

Où donc trouver le phénix qui m’emportera

au Pays des Immortels ?

 

 

Hiver


J’allume le brûle-parfums, petit vase d’argent,

Un verre d’alcool réchauffe l’air matinal.

Le froid de la neige pénètre le mince rideau,

Le vent secoue le givre sur l’eau froide.

La belle jeune femme s’isole parmi les tentures brodées,

Derrière les fenêtres calfeutrées de papier.

Mais, pour faire revenir en secret le printemps,

Sur un abricotier, un bourgeon parfumé,

s’ouvre dans la montagne.
 

Hữu Ngọc (1918-2010) - chercheur et écrivain vietnamien - Les quatre saisons.
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29 avril 2024 1 29 /04 /avril /2024 17:16

 

 

Honorat de Bueil, seigneur de Racan (1589-1670) poète français

La venue du Printemps

À Monsieur de Termes

 

 

Les quatre saisons

Ode

 

Enfin, Termes, les ombrages

Reverdissent dans les bois,

L'hiver et tous ses orages

Sont en prison pour neuf mois ;

Enfin la neige et la glace

Font à la verdure place,

Enfin le beau temps reluit,

Et Philomèle, assurée

De la fureur de Térée,

Chante aux forêts jour et nuit.

 

Déjà les fleurs qui bourgeonnent

Rajeunissent les vergers,

Tous les échos ne résonnent

Que de chansons de bergers,

Les jeux, les ris, et la danse

Sont partout en abondance,

Les délices ont leur tour,

La tristesse se retire,

Et personne ne soupire

S'il ne soupire d'amour.

 

Les moissons dorent les plaines,

Le ciel est tout de saphirs,

Le murmure des fontaines

S'accorde au bruit des zéphirs,

Les foudres et les tempêtes

Ne grondent plus sur nos têtes,

Ni des vents séditieux

Les insolentes colères

Ne poussent plus les galères

Des abîmes dans les cieux.

 

Ces belles fleurs que Nature

Dans les campagnes produit

Brillent parmi la verdure

Comme des astres la nuit :

L'Aurore, qui dans son âme

Brûle d'une douce flamme,

Laissant au lit endormi

Son vieux mari, froid et pâle,

Désormais est matinale

Pour aller voir son ami.

 

Termes, de qui le mérite

Ne se peut trop estimer,

La belle saison invite

Chacun au plaisir d'aimer

La jeunesse de l'année

Soudain se voit terminée,

Après le chaud véhément

Revient l'extrême froidure,

Et rien au monde ne dure

Qu'un éternel changement.

 

Leurs courses entresuivies

Vont comme un flux et reflux,

Mais le printemps de nos vies

Passe et ne retourne plus,

Tout le soin des Destinées

Est de guider nos journées

Pas à pas vers le tombeau,

Et sans respecter personne,

Le Temps de sa faux moissonne

Ce que l'homme a de plus beau.

 

Tes louanges immortelles

Ni tes aimables appas

Qui te font chérir des belles

Ne t'en garantiront pas :

Crois-moi, tant que Dieu t'octroie

Cet âge comblé de joie

Qui s'enfuit de jour en jour,

Jouis du temps qu'il te donne,

Et ne crois pas en automne

Cueillir les fruits de l'amour.
 

Honorat de Bueil, seigneur de Racan (1589-1670) poète français - Les quatre saisons
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29 avril 2024 1 29 /04 /avril /2024 16:05

 

 

Edmund Spenser (1552-1599) poète anglais de la période élisabéthaine

 

 

Cortège des saisons 

 

Ainsi apparurent les saisons de l'année,

d'abord le gai printemps, tout vêtu de feuillage,

portant de frais bourgeons et des fleurs nouvelles

où un millier d'oiseaux avait construit leurs nids,

et de leur chant suave appelaient leurs compagnes;

Il tenait à la main un javelot

et sur la tête, comme pour les combats

portait un morion ciselé et doré,

car si certains l'aimaient, d'autres le redoutaient.

 

L'Été joyeux venait ensuite, vêtu

d'une mince tunique en soie de couleur verte,

sans aucune doublure pour être plus légère.

Il portait sur la tête une belle guirlande

d'où, tant il avait eu chaud,

coulait la sueur. Il tenait à la main

un arc avec des flèches, car en verte forêt

il venait de chasser le léopard ou bien le sanglier,

et maintenant allait baigner

ses membres échauffés par ce labeur.

 

Puis Automne venait, tout de jaune vêtu,

l'air tout joyeux d'avoir abondantes richesses,

chargé de fruits qui le faisaient sourire, heureux

d'avoir banni la faim qui jadis maintes fois

lui avait fortement tenaillé les entrailles.

Sur la tête il portait, enroulés en couronne,

des épis de céréales de toutes sortes,

et dans la main tenait une faucille

pour récolter les fruits mûrs

que la terre avait produits.

 

Enfin venait l'hiver tout de frise vêtu,

et qui claquait des dents, tant le froid le glaçait.

Sur sa barbe chenue, son souffle se gelait ;

des gouttes ternes coulaient de son nez empourpré

qui comme un alambic les distillait.

Sa main droite tenait un bâton ferré,

pour soutenir ses pas chancelants,

car étant affaibli par le froid et par l'âge

à peine pouvait-il mouvoir ses membres tout branlants.

 

 

The Procession of the Seasons


"O forth issued the seasons of the year.

            First, lusty Spring , all dight in leaves of flowers

            That freshly budded and new blooms did bear,

            In which a thousand birds had built their bowers

            That sweetly sung to call forth paramours,

            And in his hand a javelin did he bear,

            And on his head, as fit for warlike stours,

            A gilt-engraven morion he did wear,

That, as some did him love, others did him fear.

 

Then came the jolly Summer, being dight

            In a thin silken cassock coloured green

            That was unlinéd all, to be more light,

            And on his head a garland well beseen

            He wore, from which as he had chaféd been

            The sweat did drop; and in his hand he bore

            A bow and shafts, as he in forest green

            Had hunted late the leopard or the boar

And now would bathe his limbs, with labour heated sore.

 

Then came Autumn all in yellow clad

            As though he joyéd in his plenteous store,

            Laden with fruits that made him laugh, full glad

            That he had banished hunger, which to-fore

            Had by the belly oft him pinchéd sore;

            Upon his head a wreath, that was enrolled

            With ears of corn of every sort, he bore,

            And in his hand a sickle he did hold

To reap the ripened fruits the which the earth had yold.

 

Lastly came Winter clothéd all in the frieze,

            Chattering his teeth for cold that did him chill,

            Whilst on his hoary beard his breath did freeze;

            And the dull drops that from his purpled bill,

            As from a limbeck, did adown distil.

            In his right hand a tippéd staff he held

            With which his feeble steps he stayéd still, 

           For he was faint with cold and weak with eld

That scarce his looséd limbs he was able to wield."
 

Edmund Spenser (1552-1599) - poète anglais de la période élisabéthaine - Cortège des saisons 
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27 avril 2024 6 27 /04 /avril /2024 21:45

 

 

Alphonse de Lamartine (1790-1869) poète français

Recueil : Harmonies poétiques et religieuses (1830) 

 

 

Les Saisons


Au printemps, les lis des champs filent

Leur tunique aux chastes couleurs;

Les gouttes que les nuits distillent

Le matin se changent en fleurs.

La terre est un faisceau de tiges

Dont l'odeur donne des vertiges

Qui font délirer tous les sens;

Les brises folles, les mains pleines,

Portent à Dieu, dans leurs haleines,

Tout ce que ce globe a d'encens.

 

En été, les feuillages sombres,

Où flottent les chants des oiseaux,

Jettent le voile de leurs ombres

Entre le soleil et les eaux;

Des sillons les vagues fécondes

Font un océan de leurs ondes,

Où s'entre-choquent les épis;

Le chaume, en or changeant ses herbes,

Fait un oreiller de ses gerbes

Sous les moissonneurs assoupis.

 

Ainsi qu'une hôtesse attentive

Après le pain donne le miel,

L'automne à l'homme son convive

Sert tour à tour les fruits du ciel :

Le raisin pend, la figue pleure,

La banane épaissit son beurre,

La cerise luit sous rémail,

La pêche de duvet se pluche,

Et la grenade, verte ruche,

Ouvre ses rayons de corail.

 

L'hiver, du lait des neiges neuves

Couvrant les nuageux sommets,

Gonfle ces mamelles des fleuves

D'un suc qui ne tarit jamais.

Le bois mort, ce fruit de décembre,

Tombe du chêne que démembre

La main qui le fit verdoyer,

Et, couvé dans le creux de l'âtre,

Il rallume au souffle du pâtre

Le feu, ce soleil du foyer.

 

O Providence ! ô vaste aumône

Dont tout être est le mendiant !

Voeux et grâce autour de ton trône

Montent sans cesse en suppliant.

Quels pleurs ou quels parfums répandre ?...

Hélas ! nous n'avons à te rendre

Rien, que les dons que tu nous fais.

Reçois de toute créature

Ce Te Deum de la nature,

Ses misères et tes bienfaits !


 

Alphonse de Lamartine (1790-1869) - poète français - Les Saisons
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