6 mai 2019 1 06 /05 /mai /2019 01:14

René Armand François Prudhomme, dit Sully Prudhomme né à Paris le 16 mars 1839 et mort à Châtenay-Malabry le 6 septembre 1907, est un poète français, premier lauréat du prix Nobel de littérature en 1901.

 

 

Le cygne

 

Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l'onde avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
A des neiges d'avril qui croulent au soleil ;
Mais, ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un blanc navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
Le courbe gracieux comme un profil d'acanthe,
Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.
Tantôt le long des pins, séjour d'ombre et de paix,
Il serpente, et, laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d'une tardive et languissante allure.
La grotte où le poète écoute ce qu'il sent,
Et la source qui pleure un éternel absent,
Lui plaisent ; il y rôde ; une feuille de saule
En silence tombée effleure son épaule.
Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l'azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur qu'il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.

 

Puis, quand les bords de l'eau ne se distinguent plus,
A l'heure où toute forme est un spectre confus,
Où l'horizon brunit rayé d'un long trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
Que les rainettes font dans l'air serein leur bruit,
Et que la luciole au clair de lune luit,
L'oiseau, dans le lac sombre où sous lui se reflète
La splendeur d'une nuit lactée et violette,
Comme un vase d'argent parmi des diamants,
Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments.

Sully Prudhomme (1839-1907) - poète - Le cygne
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25 avril 2019 4 25 /04 /avril /2019 21:36

Sophie d'Arbouville, née le 29 octobre 1810 et morte le 22 mars 1850 à Paris, est une poète et nouvelliste française.

 


Le chant du cygne

 

Cygnes au blanc plumage, au port majestueux, 
Est-il vrai, dites-moi, qu'un chant harmonieux, 
De vos jours écoulés rompant le long silence, 
Lorsque va se briser votre frêle existence, 
Comme un cri de bonheur s'élève vers les cieux ?
Quand sous votre aile, un soir, votre long col se ploie 
Pour le dernier sommeil d'où vous vient cette joie ? 
De vos jours rien ne rompt l'indolente douceur : 
Lorsque tout va finir, cet hymne de bonheur, 
Comme à des cœurs brisés, quel penser vous l'envoie ?
Ô cygnes de nos lacs ! votre destin est doux ; 
De votre sort heureux chacun serait jaloux. 
Vous voguez lentement de l'une à l'autre rive, 
Vous suivez les détours de l'onde fugitive : 
Que ne puis-je en ces flots m'élancer avec vous !
Moi, sous l'ardent soleil, je demeure au rivage.
Pour vous, l'onde s'entr'ouvre et vous livre passage ; 
Votre col gracieux, dans les eaux se plongeant, 
Fait jaillir sur le lac mille perles d'argent 
Qui laissent leur rosée à votre blanc plumage ;
Et les saules pleureurs, ondoyants, agités, 
Alors que vous passez, par le flot emportés 
D'un rameau caressant, doucement vous effleurent 
Sur votre aile qui fuit quelques feuilles demeurent, 
Ainsi qu'un souvenir d'amis qu'on a quittés.
Puis le soir, abordant à la rive odorante 
Où fleurit à l'écart le muguet ou la menthe, 
Sur un lit de gazon vous reposez, bercés 
Par la brise des nuits, par les bruits cadencés 
Des saules, des roseaux , de l'onde murmurante.
Oh ! pourquoi donc chanter un chant mélodieux 
Quand s'arrête le cours de vos jours trop heureux ? 
Pleurez plutôt, pleurez vos nuits au doux silence, 
Les étoiles, les fleurs, votre fraîche existence ; 
Pourquoi fêter la mort ? vous êtes toujours deux !
C'est à nous de chanter quand vient l'heure suprême, 
Nous, tristes pèlerins, dont la jeunesse même 
Ne sait pas découvrir un verdoyant sentier, 
Dont le bonheur s'effeuille ainsi que l'églantier ; 
Nous, si tôt oubliés de l'ami qui nous aime !
C'est à nous de garder pour un jour à venir, 
Tristes comme un adieu, doux comme un souvenir, 
Des trésors d'harmonie inconnus à la terre, 
Qui ne s'exhaleront qu'à notre heure dernière. 
Pour qui souffre ici-bas, il est doux de mourir !
Ô cygnes ! laissez donc ce cri de délivrance 
À nos cœurs oppressés de muette souffrance ; 
La vie est un chemin où l'on cache ses pleurs... 
Celui qui les comprend est plus loin, est ailleurs. 
À nous les chants ! la mort, n'est-ce pas l'espérance ? 

Sophie d'Arbouville (1810-1850) - poète - Le chant du cygne
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24 avril 2019 3 24 /04 /avril /2019 16:48

Camille-André Lemoyne, né le 27 novembre 1822 à Saint-Jean-d'Angély, où il est mort le 28 février 1907, est un poète et romancier français.

 


Vol d'oiseaux

Les cygnes migrateurs qui passent dans les airs,
Pèlerins de haut vol, fiers de leurs ailes grandes,
Sont tout surpris de voir tant d'espaces déserts :
Des steppes, des marais, des grèves et des landes.
« C'est triste, pensent-ils. Ne croit-on pas rêver
Quand, à perte de vue, on trouve abandonnées
D'immenses régions qu'on devrait cultiver,
Et qui dorment sans fruit depuis nombre d'années.
« Ceux qui rampent en bas nous semblent bien petits,
Quand nous apercevons la fourmilière humaine.
Les blancs, comme les noirs, sont fort mal répartis,
Eparpillés sans ordre où le hasard les mène.
« Ils se croisent les bras au bord des océans.
Infimes héritiers des races disparues,
Tous voudraient vivre ainsi que des rois fainéants,
En laissant aux sillons se rouiller les charrues ;
« Boire les meilleurs vins et manger tous les fruits,
S'enliser à plein corps dans les plaisirs terrestres,
Et dans un frais sommeil passer toutes les nuits,
Au murmure des flots et des grands pins sylvestres ;
« Manger, boire et dormir sur un bon oreiller,
Jouir de tous les biens en tranquilles apôtres,
Trop indolents d'ailleurs pour jamais travailler ;
Ceux qui n'ont rien chez eux prenant ce qu'ont les autres.
« Devant eux, sans rien voir, en cheminant tout droit,
Jusqu'aux pointes des caps où la mer les arrête,
Comme troupeaux bloqués dans un bercail étroit,
Ils vont ne sachant plus où donner de la tète.
« Nous, qui sommes contraints de changer de climats,
Nous avons à subir de bien rudes épreuves.
Nous saluons au vol de grands panoramas,
Monts blancs, déserts de sable et rubans verts des fleuves.
« Mais, quand nous dominons l'immensité des flots,
En mer, sous l'équinoxe au temps des hivernages.
Sans trouver pour abri quelques rares Ilots,
Il nous faut accomplir de longs pèlerinages.
« À l'exil, tous les ans, nous sommes condamnés.
Par tempêtes de neige et tourbillons de givre,
Souvent nos chers petits, les derniers qui sont nés,
D'une aile fatiguée ont grand'peine à nous suivre.
« Du froid et des brouillards, de la grêle et des vents,
Par les chemins du ciel, nous avons tout à craindre.
Paix à nos morts l'espoir reste au cœur des vivants,
Et nous ne perdons pas notre temps à nous plaindre. »
Tout s'agite à l'envers, se mêle et se confond
Chez l'homme qui d'en bas laisse monter sa lie,
Comme un lac dont l'orage a remué le fond.
Sur le monde effaré souffle un vent de folie.

André Lemoyne (1822-1907) - poète - Vol d'oiseaux
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14 avril 2019 7 14 /04 /avril /2019 23:47

Marais Victor Léon Dierx, né à Saint-Denis de La Réunion le 31 mars 1838 et mort à Paris le 11 juin 1912, est un poète parnassien et peintre français.

 


Les cygnes


Sous des massifs touffus, au fond désert du parc,
La colonnade antique arrondissant son arc,
Dans une eau sombre encore à moitié se profile ;
Et la fleur que le pampre ou que le lierre exile
Parfois brille furtive aux creux des chapiteaux.
L'eau sommeille ; une mousse y fait de sourds cristaux.
A peine un coin du ciel en éclaircit la moire,
De sa lueur mourante où survit la mémoire
Des regards clairs tournés vers des cieux éclatants.
L'eau profonde ressemble à nos yeux, ces étangs
Où chaque siècle ajoute, avec d'obscurs mirages,
Au poids de sa lourdeur l'ombre de ses ombrages.
Elle dort, enfermant près du pur souvenir
Le pan du bleu manteau qu'elle veut retenir ;
Mais sur le ténébreux miroir qui les encadre
Des cygnes familiers, éblouissante escadre,
Suivent le long des bords un gracieux circuit,
Et glissent lentement, en bel ordre et sans bruit,
Nobles vaisseaux croisant devant un propylée,
Comme un reste orgueilleux de gloire immaculée.

 Léon Dierx (1838-1912) - poète - les cygnes
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8 avril 2019 1 08 /04 /avril /2019 21:41

Renée de La Bonninière de Beaumont, baronne de Brimont par son mariage, poète et traductrice. (1880 – 1943)

Mirages

Méditation au miroir brisé sur l'eau

 


 

cygne sur l'eau

 

Ma pensée est un cygne harmonieux et sage
qui glisse lentement aux rivages d’ennui
sur les ondes sans fond du rêve, du mirage,
de l’écho, du brouillard, de l’ombre, de la nuit.

 

Il glisse… Et lentement se déroule, s’allonge
son col, tel un serpent vaguement balancé,
et son aile luisante est la conque où le songe
repose avec l’oubli, la paix et le passé.

 

Il glisse, roi hautain fendant un libre espace,
poursuit un reflet vain, précieux et changeant,
et les roseaux nombreux s’inclinent lorsqu’il passe,
sombre et muet, au seuil d’une lune d’argent ;

 

et des blancs nénuphars chaque corolle ronde
tour à tour a fleuri de désir ou d’espoir…
Mais plus avant toujours, sur la brume et sur l’onde,
vers l’inconnu fuyant glisse le cygne noir.

 

Or j’ai dit : « Renoncez, beau cygne chimérique,
à ce voyage lent vers de troubles destins ;
nul miracle chinois, nulle étrange Amérique
ne vous accueilleront en des havres certains ;

 

les golfes embaumés, les îles immortelles
ont pour vous, cygne noir, des récifs périlleux ;
demeurez sur les lacs où se mirent, fidèles,
ces nuages, ces fleurs, ces astres et ces yeux.

 

En cette heure où les voix se taisent une à une,
où le silence tisse un fabuleux réseau,
demeurez, chaste amant fidèle de la lune,
oui, demeurez captif des reflets et des eaux ;

 

votre sillage meurt en gouttes de lumière
parmi les nénuphars et les presles tremblants…
Que votre nostalgie ait une grâce fière,
et votre solitude un grand air nonchalant ! »

 

Et sur l’onde sans fond du rêve, du mirage,
de l’écho, du brouillard, de l’ombre, de la nuit,
ma pensée est un cygne harmonieux et sage
qui glisse lentement aux rivages d’ennui.

Renée de Brimont (1880-1943) - poète - cygne sur l'eau
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7 avril 2019 7 07 /04 /avril /2019 00:33

Maurice Carême, né le 12 mai 1899 à Wavre et mort le 13 janvier 1978 à Anderlecht, est un écrivain et poète belge de langue française.

 

 

Le petit cygne

 


Avez-vous vu le berceau blanc
Du petit cygne sur l'étang,

 

Berceau de vair, berceau de plumes
Que l'eau berce comme la lune ;

 

Oui, ce berceau qui se balance
Blanc sur des palmes de silence,

 

Et qui avance, et qui recule
Sur l'eau couleur de renoncule,

 

Et qui flotte sur des étoiles
En dérivant comme des voiles.

 

L'avez-vous vu ce berceau blanc
Et le petit cygne dedans,

 

Bercé, balancé, avançant
Les yeux mi-clos, le bec au vent,

 

Heureux, heureux comme un enfant
Sur le dos blanc de sa maman.

Maurice Carême (1899-1978) - poésie - le petit cygne
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1 avril 2019 1 01 /04 /avril /2019 23:53

Sophie d'Arbouville, née le 29 octobre 1810 et morte le 22 mars 1850 à Paris, est une poète et nouvelliste française.

 


Le chant du cygne

 

Cygnes au blanc plumage, au port majestueux, 
Est-il vrai, dites-moi, qu'un chant harmonieux, 
De vos jours écoulés rompant le long silence, 
Lorsque va se briser votre frêle existence, 
Comme un cri de bonheur s'élève vers les cieux ?
Quand sous votre aile, un soir, votre long col se ploie 
Pour le dernier sommeil d'où vous vient cette joie ? 
De vos jours rien ne rompt l'indolente douceur : 
Lorsque tout va finir, cet hymne de bonheur, 
Comme à des cœurs brisés, quel penser vous l'envoie ?
Ô cygnes de nos lacs ! votre destin est doux ; 
De votre sort heureux chacun serait jaloux. 
Vous voguez lentement de l'une à l'autre rive, 
Vous suivez les détours de l'onde fugitive : 
Que ne puis-je en ces flots m'élancer avec vous !
Moi, sous l'ardent soleil, je demeure au rivage.
Pour vous, l'onde s'entr'ouvre et vous livre passage ; 
Votre col gracieux, dans les eaux se plongeant, 
Fait jaillir sur le lac mille perles d'argent 
Qui laissent leur rosée à votre blanc plumage ;
Et les saules pleureurs, ondoyants, agités, 
Alors que vous passez, par le flot emportés 
D'un rameau caressant, doucement vous effleurent 
Sur votre aile qui fuit quelques feuilles demeurent, 
Ainsi qu'un souvenir d'amis qu'on a quittés.
Puis le soir, abordant à la rive odorante 
Où fleurit à l'écart le muguet ou la menthe, 
Sur un lit de gazon vous reposez, bercés 
Par la brise des nuits, par les bruits cadencés 
Des saules, des roseaux , de l'onde murmurante.
Oh ! pourquoi donc chanter un chant mélodieux 
Quand s'arrête le cours de vos jours trop heureux ? 
Pleurez plutôt, pleurez vos nuits au doux silence, 
Les étoiles, les fleurs, votre fraîche existence ; 
Pourquoi fêter la mort ? vous êtes toujours deux !
C'est à nous de chanter quand vient l'heure suprême, 
Nous, tristes pèlerins, dont la jeunesse même 
Ne sait pas découvrir un verdoyant sentier, 
Dont le bonheur s'effeuille ainsi que l'églantier ; 
Nous, si tôt oubliés de l'ami qui nous aime !
C'est à nous de garder pour un jour à venir, 
Tristes comme un adieu, doux comme un souvenir, 
Des trésors d'harmonie inconnus à la terre, 
Qui ne s'exhaleront qu'à notre heure dernière. 
Pour qui souffre ici-bas, il est doux de mourir !
Ô cygnes ! laissez donc ce cri de délivrance 
À nos cœurs oppressés de muette souffrance ; 
La vie est un chemin où l'on cache ses pleurs... 
Celui qui les comprend est plus loin, est ailleurs. 
À nous les chants ! la mort, n'est-ce pas l'espérance ? 

Sophie d'Arbouville (1810-1850) - poète - Le chant du cygne
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1 avril 2019 1 01 /04 /avril /2019 00:47

Georges Rodenbach, né le 16 juillet 1855 à Tournai et mort le 25 décembre 1898 à Paris, est un poète symboliste et un romancier belge de la fin du xixe siècle.

 

 

Les cygnes blancs...

 


Les cygnes blancs, dans les canaux des villes mortes,
Parmi l'eau pâle où les vieux murs sont décalqués
Avec des noirs usés d'estampes et d'eaux-fortes,
Les cygnes vont comme du songe entre les quais.

 

Et le soir, sur les eaux doucement remuées,
Ces cygnes imprévus, venant on ne sait d'où,
Dans un chemin lacté d'astres et de nuées
Mangent des fleurs de lune en allongeant le cou.

 

Or ces cygnes, ce sont des âmes de naguères
Qui n'ont vécu qu'à peine et renaîtront plus tard,
Poètes s'apprenant aux silences de l'art,
Qui s'épurent encore en ces blancs sanctuaires,

 

Poètes décédés enfants, sans avoir pu
Fleurir avec des pleurs une gloire et des nimbes,
Ames qui reprendront leur oeuvre interrompu
Et demeurent dans ces canaux comme en des limbes !

 

Mais les cygnes royaux sentant la mort venir
Se mettront à chanter parmi ces eaux plaintives
Et leur voix presque humaine ira meurtrir les rives
D'un air de commencer plutôt que de finir...

 

Car dans votre agonie, ô grands oiseaux insignes,
Ce qui chante déjà c'est l'âme s'évadant
D'enfants-poètes qui vont revivre en gardant
Quelque chose de vous, les ancêtres, les cygnes !

Georges Rodenbach (1855-1898) - poète - les cygnes blancs...
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1 avril 2019 1 01 /04 /avril /2019 00:40
 
Victor HUGO,
 
né le 26 février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris,
 
est un poète, dramaturge et prosateur romantique considéré comme l'un des plus importants écrivains de langue française. Il est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a compté dans l'Histoire du XIXe siècle.
 
 
Chanson des oiseaux
 
 
Vie ! ô bonheur ! bois profonds, 
Nous vivons.
L'essor sans fin nous réclame ;
Planons sur l'air et les eaux !
Les oiseaux
Sont de la poussière d'âme.
 
 
Accourez, planez ! volons
Aux vallons,
A l'antre, à l'ombre, à l'asile !
Perdons-nous dans cette mer 
De l'éther 
Où la nuée est une île !
 
 
Du fond des rocs et des joncs, 
Des donjons,
Des monts que le jour embrase, 
Volons, et, frémissants, fous,
Plongeons-nous 
Dans l'inexprimable extase !
 
 
Oiseaux, volez aux clochers,
Aux rochers,
Au précipice, à la cime,
Aux glaciers, aux lacs, aux prés ; 
Savourez
La liberté de l'abîme!
 
 
Vie ! azur ! rayons ! frissons !
Traversons
La vaste gaîté sereine,
Pendant que sur les vivants, 
Dans les vents,
L'ombre des nuages traîne !
 
 
Avril ouvre à deux battants
Le printemps ;
L'été le suit, et déploie
Sur la terre un beau tapis 
Fait d'épis,
D'herbe, de fleurs, et de joie.
 
 
Buvons, mangeons ; becquetons
Les festons
De la ronce et de la vigne ;
Le banquet dans la forêt 
Est tout prêt ;
Chaque branche nous fait signe.
 
 
Les pivoines sont en feu ;
Le ciel bleu
Allume cent fleurs écloses ;
Le printemps est pour nos yeux
Tout joyeux
Une fournaise de roses.
 
 
Tu nous dores aussi tous,
Feu si doux
Qui du haut des cieux ruisselles ;
Les aigles sont dans les airs
Des éclairs,
Les moineaux des étincelles.
 
 
Nous rentrons dans les rayons ;
Nous fuyons
Dans la clarté notre mère ;
L'oiseau sort de la forêt 
Et paraît
S'évanouir en lumière.
 
 
Parfois on rampe accablé 
Dans le blé ;
Mais juillet a pour ressource
L'ombre, où, loin des chauds sillons,
Nous mouillons
Nos pieds roses dans la source.
 
 
Depuis qu'ils sont sous les cieux,
Soucieux
Du bonheur de la prairie,
L'herbe et l'arbre chevelu
Ont voulu
Dans leur tendre rêverie
 
 
Qu'à jamais le fruit, le grain,
L'air serein,
L'amourette, la nichée,
L'aube, la chanson, l'appât,
Occupât
Notre joie effarouchée.
 
 
Vivons ! chantons ! Tout est pur
Dans l'azur ;
Tout est beau dans la lumière !
Tout vers son but, jour et nuit,
Est conduit ;
Sans se tromper, le fleuve erre.
 
 
Toute la campagne rit ;
Un esprit
Palpite sous chaque feuille.
- Aimons ! murmure une voix
Dans les bois ;
Et la fleur veut qu'on la cueille.
 
 
Quand l'iris a diapré
Tout le pré,
Quand le jour plus tiède augmente,
Quand le soir luit dans l'étang
Éclatant,
Quand la verdure est charmante,
 
 
Que dit l'essaim ébloui ?
Oui ! oui ! oui !
Les collines, les fontaines,
Les bourgeons verts, les fruits mûrs,
Les azurs
Pleins de visions lointaines,
 
 
Le champ, le lac, le marais,
L'antre frais,
Composent, sans pleurs ni peine,
Et font monter vers le ciel
Éternel
L'affirmation sereine !
 
 
L'aube et l'éblouissement
Vont semant
Partout des perles de flamme ;
L'oiseau n'est pas orphelin ;
Tout est plein
De la mystérieuse âme !
 
 
Quelqu'un que l'on ne voit pas
Est là-bas
Dans la maison qu'on ignore ;
Et cet inconnu bénit
Notre nid,
Et sa fenêtre est l'aurore.
 
 
Et c'est à cause de lui
Que l'appui
Jamais ne manque à nos ailes,
Et que les colombes vont
Sur le mont
Boire où boivent les gazelles.
 
 
Grâce à ce doux inconnu,
Adam nu
Nous souriait sous les branches ;
Le cygne sous le bouleau
A de l'eau
Pour laver ses plumes blanches.
 
 
Grâce à lui, le piquebois
Vit sans lois,
Chéri des pins vénérables,
Et délivrant des fourmis
Ses amis
Les cèdres et les érables.
 
 
Grâce à lui, le passereau
Du sureau
S'envole, et monte au grand orme ;
C'est lui qui fait le buisson
De façon
Qu'on y chante et qu'on y dorme.
 
 
Il nous met tous à l'abri,
Colibri,
Chardonneret, hochequeue,
Tout l'essaim que l'air ravit
Et qui vit
Dans la grande lueur bleue.
 
 
A cause de lui, les airs
Et les mers,
Les bois d'aulnes et d'yeuses,
La sauge en fleur, le matin,
Et le thym,
Sont des fêtes radieuses ;
 
 
Les blés sont dorés, les cieux
Spacieux,
L'eau joyeuse et l'herbe douce ;
Mais il se fâche souvent
Quand le vent
Nous vole nos brins de mousse. 
 
 
Il dit au vent : - Paix, autan !
Et va-t'en !
Laisse mes oiseaux tranquilles.
Arrache, si tu le veux,
Leurs cheveux
De fumée aux sombres villes !
 
 
Celui sous qui nous planons 
Sait nos noms.
Nous chantons. Que nous importe ?
Notre humble essor ignorant 
Est si grand !
Notre faiblesse est si forte !
 
 
La tempête au vol tonnant,
Déchaînant
Les trombes, les bruits, les grêles,
Fouettant, malgré leurs sanglots,
Les grands flots,
S'émousse à nos plumes frêles. 
 
 
Il veut les petits contents,
Le beau temps,
Et l'innocence sauvée ;
Il abaisse, calme et doux, 
Comme nous,
Ses ailes sur sa couvée. 
 
 
Grâce à lui, sous le hallier
Familier
A notre aile coutumière,
Sur les mousses de velours, 
Nos amours
Coulent dans de la lumière. 
 
 
Il est bon ; et sa bonté 
C'est l'été ;
C'est le charmant sorbier rouge ;
C'est que rien ne vienne à nous
Dans nos trous
Sans que le feuillage bouge.
 
 
Sa bonté, c'est Tout ; c'est l'air,
Le feu clair,
Le bois où, dans la nuit brune,
Ta chanson, qui prend son vol,
Rossignol,
Semble un rêve de la lune.
 
 
C'est ce qu'au gré des saisons
Nous faisons ;
C'est le rocher que l'eau creuse ;
C'est l'oiseau, des vents bercé, 
Composé
D'une inquiétude heureuse.
 
 
Il est puissant, étoilé, 
Et voilé.
Le soir, avec les murmures
Des troupeaux qu'on reconduit,
Et le bruit
Des abeilles sous les mûres,
 
 
Avec l'ombre sur les toits,
Sur les bois,
Sur les montagnes prochaines,
C'est sa grandeur qui descend,
Et qu'on sent
Dans le tremblement des chênes.
 
 
Il n'eut qu'à vouloir un jour,
Et l'amour
Devint l'harmonie immense ;
Tous les êtres étaient là ;
Il mêla
Sa sagesse à leur démence.
 
 
Il voulut que tout fût un ;
Le parfum
Eut pour soeur l'aurore pure ;
Et les choses, se touchant
Dans un chant,
Furent la sainte nature.
 
 
Il mit sur les flots profonds
Les typhons ;
Il mit la fleur sur la tige ;
Il apparut fulgurant
Dans le grand ;
Le petit fut son prodige.
 
 
Avec la même beauté
Sa clarté
Créa l'aimable et l'énorme ;
Il fit sortir l'alcyon
Du rayon
Qui baise la mer difforme.
 
 
L'effrayant devint charmant ;
L'élément,
Monstre, colosse, fantôme,
Par Lui, qui le veut ainsi,
Radouci,
Vint s'accoupler à l'atome.
 
 
On vit alors dans Ophir
L'humble asfir
Vert comme l'hydre farouche ;
Le flamboiement de l'Etna
Rayonna
Sur l'aile de l'oiseau-mouche.
 
 
Vie est le mot souverain,
Et serein,
Sans fin, sans forme, sans nombre,
Tendre, inépuisable, ardent,
Débordant
De toute la terre sombre.
 
 
L'aube se marie au soir ;
Le bec noir
Au bec flamboyant se mêle ;
L'éclair, mâle affreux, poursuit
Dans la nuit
La mer, sa rauque femelle.
 
 
Volons, volons, et volons !
Les sillons
Sont rayés, et l'onde est verte.
La vie est là sous nos yeux, 
Dans les cieux,
Claire et toute grande ouverte.
 
 
Hirondelle, fais ton nid.
Le granit
T'offre son ombre et ses lierres ;
Aux palais pour tes amours 
Prends des tours,
Et de la paille aux chaumières.
 
 
Le nid que l'oiseau bâtit
Si petit
Est une chose profonde ;
L'oeuf ôté de la forêt 
Manquerait
A l'équilibre du monde.
 
 
Victor HUGO - poète - "Chanson des oiseaux"
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9 mars 2014 7 09 /03 /mars /2014 00:53
Max Elskamp, est né le 5 mai 1862 à Anvers où il est mort le 10 décembre 1931.
C' est un poète symboliste belge, qui  fut membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises.

Tour d'ivoire
(V)
 
Mais geai qui paon se rêve aux plumes, 
Haut, ces tours sont-ce mes juchoirs ? 
D'îles de Pâques aux fleurs noires 
Il me souvient en loins posthumes :
 
Je suis un pauvre oiseau des îles.
 
Or, d'avoir trop monté les hunes 
Et d'outre-ciel m'être vêtu, 
J'ai pris le mal des ingénus 
Comme une fièvre au clair de lune, 
 
Je suis un pauvre oiseau des îles.
 
Et moins de joies me font des signes, 
Et plus de jours me sont des cages, 
Or, j'ai le coeur gros de nuages ; 
Dans un pays de trop de cygnes, 
 
Je suis un pauvre oiseau des îles ;
 
Car trop loin mes îles sont mortes, 
Et du mal vert qu'ont les turquoises, 
J'ai serti mes bagues d'angoisse ; 
Ma famille n'a plus de portes :
 
Je suis un pauvre oiseau des îles.
 
 
Max Elskamp - Poète - "Tour d'ivoire"
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