Lorand Gaspar (1925 – 2019) poète, médecin, historien, photographe et traducteur français d’origine hongroise
Patmos et autres poèmes
Gallimard éditeur, 2001
Amandiers
Te faire surgir
de la provenance du bond
de l’effraction perdue du jaillir.
Là tu te tiens
dans les décombres du porche
fraîcheur de sève, poignée d’écume –
neige odorante dans la nuit du regard.
Que la joie est simple au bout du cheminement obscur !
Comme ces minces pellicules donnent corps à la lumière !
Regarde comme il fond ce peu
de blanc tombé au fond de l’œil !
Les amandiers dans la nuit !
Ô les dents de clarté !
Pulsation sourde d’étoiles
dans l’épaisseur de la terre –
Le soleil couché dans sa barque souterraine
nos doigts aveugles cherchent des couleurs –
dans ta bouche des caillots de ténèbres
dans ton ventre la douleur du venin
savoir de ta vie si tu peux la comprendre –
Nous sommes l’un l’autre dévêtus
de noms qui collaient à la peau
appelant sans nom le silence
qui cimente les sons de la musique –
Ô pure douleur du chant de naître
inapaisable travail sans visage
et nous-mêmes nuages et paroles
allant avec les bêtes au soir
dans les poudres de l’étendue –
Dans l’œil de la tourmente
sur le seuil brûlant du cratère
l’églantier.
Noyau de pudeur déboutonné
tendresse doucement froissée –
Ces bris, ces haltes claires dans le sang
orage tactile dans le noir humide.
Dans l’enclos défait du combat
rougeur qui porte à bout de bras
le cœur de sa fragilité –
quelque part c’est toujours le même
bruissement d’aubes dans les pierres.
Toi soleil coureur essoufflé
couché bouche à bouche sur les eaux
sur la mer ouverte à tous vents
la barque de nos mains dérive
Or fumé, brûlé des visages
dans la pénombre des années
gardant au-dedans ses lueurs –
Musique
nos doigts raclent
des cordes invisibles
dans la lumière dissoute
chaude étoffe arrachée
à l’hiver –
Toujours cet écho
sa source illisible
où erre avant l’aube
pieds nus le jasmin
Tu nages encore et c’est nuit
tu nages dans la nuit qui a toujours été
et ton corps a percé l’eau glauque
qui sent l’empois et la levure.
Et la chair rame dans la chair
les mains torturent et les mains tuent
elles griffent à clair les ténèbres
et retournent à l’obscur.
Juste avant le jour le feuillage
frissonnant des dernières étoiles
lueurs serrés au centre des vagues
couleur d’écaille et de ferveur
Le bruit déchiré d’un caïque
par les vents de résurrection –
matin toutes voiles dehors
dans le ravin étroit du chant
sur le brun si chaud des cailloux
Une mouette a crié
dans l’auge aveugle d’un corps
fragment de jour affolé,
Et la mer et l’espace sans oreilles –
bat dans le mur du bleu
bat, le blanc d’un pétale –
Dentelles, frondaisons, linges et grappes
nos encres lavées à grande eau
toutes images essorées
les rafales du vent peignent la mer –