Stuart Merrill (1863-1915) poète symboliste américain d'expression française.
Les quatre saisons
Printemps
impression de printemps
Le village, frileux sous ses toits de vieux chaume,
S’ouvre, ce bleu matin, aux désirs du printemps.
Cœurs et fleurs vont éclore au ciel qui s’en embaume.
C’est un jour où partout les hommes sont contents.
Le blé vert a percé sous la dernière neige,
La violette est née au fond des bois anciens,
Le lilas va fleurir sous le doux sortilège
Des soupirs d’amoureux que le vent mêle aux siens.
L’on a mis des rubans à l’arbre de l’auberge
Qui résonne gaiement du rire des buveurs.
Les enfants sont partis prier la Sainte Vierge
En ce bon renouveau qui rend leurs yeux rêveurs.
Et des cages d’oiseaux, de fenêtre à fenêtre,
Amusent les vieillards qui goûtent le soleil,
En écoutant, béats de ce tiède bien-être,
Ronronner à leurs pieds les chats lourds de sommeil.
Eté
Somnolence
Dormir ! — Les volets sont clos sur le soleil, et que m’importe
L’horloge qui, comme un cœur, bat le rythme du Temps
Dans la maison où c’est peut-être la Mort qui m’attend
Ou l’Amour, cette ombre que j’ai vue entrer par la porte ?
Dormir ! — Dans le bassin du jardin, l’eau en tintant
Fait rêver à des rires de nymphes nues qui apportent
Des fruits plein les mains à leurs compagnes mi-mortes
D’avoir trop baisé la chair chaude du Printemps.
Pourtant un pas furtif glisse dans le couloir
Et une main prudente cherche à pousser l’huis.
Mais, seul, je veux être roi du silence et du soir.
Dormir ! — Aux vitres vibre le vol des mouches.
— Que m’importe
Que ce soit la Mort frappant si doucement à la porte
Ou l’Amour qui, ayant à peine frappé, a déjà fui ?
Automne
Pluie d'automne
Ô pluie, douce pluie sanglotante
Qui éveilles ma peine comme des larmes de mère
— Pluie si froide, larmes si amères ! —
Dans le crépuscule où nul oiseau ne chante,
Ne cesseras-tu ton tintement monotone
Sur le toit de ma maison aux vieilles tuiles
D’où se sont envolées vers de lointaines îles
Les hirondelles que rebrousse le rude automne ?
Près de l’âtre où éclatent en fleurs de flamme les bûches
Je lis des histoires tristes de très vieilles reines
Qui me font oublier les anciennes semaines
Où les abeilles bourdonnaient dans les ruches.
Dehors les tourterelles ouvrent large leurs ailes
Pour recevoir le baptême sacré de la pluie,
Et les poules secouent leurs plumes
dans la grange où s’ennuient,
Griffant parfois la paille, les chats roulés pêle-mêle.
Personne, à cette heure, ne passera sur la route,
À moins que la mendiante à la chevelure rousse
Ne vienne, avec son geste qui craint qu’on la repousse,
Quêter un peu de pain, comme le remords cherche l’absoute.
Au fond de la salle sombre, je me sens seul au monde,
Ce soir où les cheminées ont une odeur de suie,
Et je demande en vain son secret à la pluie
Qui me fait presque pleurer comme un enfant qu’on gronde.
Le secret de la pluie est-il celui des larmes ?
— Pluie si froide, larmes si amères ! —
Ah ! réponds, cœur d’enfant sur qui pleure une mère,
Le secret de la pluie est-il celui des larmes ?
Hiver
Noël
Noëls des anciens temps, hymnes d’or dans la nuit,
Verrières empourprant la neige de la lande,
Bergers chantant, chacun droit sous sa houppelande
Dans le bercail où les troupeaux dorment sans bruit ;
De village à village, alors que l’ombre luit,
Les sabots des bambins allant, serrés en bande,
Quêter à chaque seuil le pain, le vin, la viande,
Pour donner à manger au vagabond qui fuit ;
Légendes dont est claire et sonore mon âme,
L’hiver brûlant d’amour, les frimas et la flamme,
Tout le ciel annonçant à la terre Jésus,
Vous n’êtes que rumeurs et rêves sur la route
Pour les veilleurs dressés vers les astres déçus
Qui virent tant de dieux mourir de notre doute !