1931
Germaine Bernier (1902-1986) Musicienne, professeur, journaliste, auteure, conférencière canadienne
Revue Le Canada français, Québec, mars 1931.
Grains d'encens
Chaque jour en vivant, nous aimons quelque chose ;
Un sourire, un regard, un baiser, une fleur,
Le ciel d'un matin pur, un crépuscule rose,
Un nuage plus blanc sur un jour de chaleur.
Au fond de la mémoire un souvenir qui chante,
Refleurissant le coeur qui s'en trouve embaumé ;
Un vieux refrain qui berce, un vers qui nous enchante !
C'est souvent ce qu'il faut pour vivre un jour aimé.
Et tous ces légers riens qui parfument nos heures
Ont souvent plus de prix, font souvent plus de bien
Que tous les plaisirs fous, les fêtes pas meilleures
Où le bruit seul captive, où le bonheur n'a rien.
Et tous ces riens menus, gracieux et fragiles,
Arrivent jusqu'au coeur, y tombent pour briller
Comme des grains d'encens aux odeurs très subtiles
Qu'on met sur des charbons et qu'on laisse brûler...
Aussi, moi qui connais la valeur de ces choses,
J'ai voulu les garder, je veux les retenir :
Parfums de mes amours et parfums de mes roses,
Oh ! restez dans mes vers, vous ne pouvez mourir !
J'aime tout ici-bas : chaque jour en mon âme
Brûlent des grains d'encens, parce que chaque jour
Un sourire, un regard, un beau vers me réclame ;
Dans un chant, dans un son, je trouve un peu d'amour...
Et c'est dans cet encens que viennent les poèmes !
Chaque grain, en brûlant, allume vite un vers !
Et parce que j'adore et que, joyeuse, j'aime,
Aimant, je chanterai demain autant qu'hier !
Je chanterai toujours : l'amitié la meilleure,
La joie et le souci, la pluie et le beau temps,
La lumière du jour, la nuance de l'heure...
Les brumes de l'hiver, le retour des printemps !
Je chanterai, pourvu que dans mon chant suprême,
Viennent encor brûler, tout au fond de mon coeur,
Les petits grains d'encens qui forment les poèmes,
Brûlant pour la Beauté, chantant sur le Bonheur !