Armand Gouffé (1775-1845)
Encore un ballon, ou chansons et autres poésies nouvelles, 1807
La perce neige, la fleur d'hiver
Rien de plus gai que le printemps,
Rien de plus joli que la rose ;
Mais on les chanta de tout temps;
Mes amis, parlons d'autre chose.
L'hiver, moins triste qu'on ne croit,
Voit quelques fleurs dans son cortège:
Dussé-je paraître un peu froid,
Je vais chanter la perce-neige.
Nous pouvons comparer nos jours
Aux quatre saisons de l'année :
os moments heureux sont trop courts...
Chaque fleur, est trop tôt fanée.
Quand le temps vient d'un noir brouillard
Couvrir nos heures, qu'il abrège,
J'aime à voir sourire un vieillard
J'aime à cueillir la perce neige.
Sur la neige Vénus un jour
En tombant perdit sa ceinture :
Auprès de là veillait l'Amour;
Il voit...ô la bonne aventure !
Il voit un sein dont la blancheur
Provoque sa main sacrilège ;
Puis un bouton... d'une fraîcheur !...
Vénus se relève et s'enfuit :
Au dieu malin la fleur échappe,
Et la déesse,qu'il poursuit,
Lui répète en riant sous cape:
"Va, laisse, moi, petit trompeur ;
"Je connais trop bien ton manège ;
"Tu ne veux que percer un coeur
"En cueillant, une perce-neige.
Depuis ce temps l'Amour, jaloux
De revoir cette fleur chérie
La cherche, en tous lieux parmi nous,
Dans les bosquets, dans la prairie :
Et c'est en suivant ses leçons,
Jeunes beautés, vous le dirai-je ?
Que vous voyez tant de garçons
Courir après la perce-neige.
Belles, qui chérissez les fleurs:
Du dieu malin craignez l'adresse ;
Craignez les ruses des voleurs ;
Craignez surtout votre faiblesse :
N'accordez, rien au jeune amant
Qui vous lutine et vous assiège ;
Il prend, la rose lestement
Lorsqu'il a pris la perce-neige.