1 février 2025 6 01 /02 /février /2025 17:33

 

 

Victor Hugo (1802-1885) poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français. 

 


Regardez : les enfants se sont assis en rond


Regardez : les enfants se sont assis en rond.

Leur mère est à côté, leur mère au jeune front

Qu'on prend pour une soeur aînée ;

Inquiète, au milieu de leurs jeux ingénus,

De sentir s'agiter leurs chiffres inconnus

Dans l'urne de la destinée.

 

Près d'elle naît leur rire et finissent leurs pleurs.

Et son coeur est si pur et si pareil aux leurs,

Et sa lumière est si choisie,

Qu'en passant à travers les rayons de ses jours,

La vie aux mille soins, laborieux et lourds,

Se transfigure en poésie !

 

Toujours elle les suit, veillant et regardant,

Soit que janvier rassemble au coin de l'âtre ardent

Leur joie aux plaisirs occupée,

Soit qu'un doux vent de mai, qui ride le ruisseau,

Remue au-dessus d'eux les feuilles, vert monceau

D'où tombe une ombre découpée.

 

Parfois, lorsque, passant près d'eux, un indigent

Contemple avec envie un beau hochet d'argent

Que sa faim dévorante admire,

La mère est là ; pour faire, au nom du Dieu vivant,

Du hochet une aumône, un ange de l'enfant,

Il ne lui faut qu'un doux sourire !

 

Et moi qui, mère, enfants, les vois tous sous mes yeux,

Tandis qu'auprès de moi les petits sont joyeux

Comme des oiseaux sur les grèves,

Mon coeur gronde et bouillonne, et je sens lentement,

Couvercle soulevé par un flot écumant,

S'entr'ouvrir mon front plein de rêves.
 

 

Victor Hugo (1802-1885) - poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français - Regardez : les enfants se sont assis en rond
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1 février 2025 6 01 /02 /février /2025 17:00

 

 

Victor Hugo (1802-1885) poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français. 

 


Elle était pâle, et pourtant rose...


Elle était pâle, et pourtant rose,

Petite avec de grands cheveux.

Elle disait souvent : je n'ose,

Et ne disait jamais : je veux.

 

Le soir, elle prenait ma Bible

Pour y faire épeler sa soeur,

Et, comme une lampe paisible,

Elle éclairait ce jeune coeur.

 

Sur le saint livre que j'admire

Leurs yeux purs venaient se fixer ;

Livre où l'une apprenait à lire,

Où l'autre apprenait à penser !

 

Sur l'enfant, qui n'eût pas lu seule,

Elle penchait son front charmant,

Et l'on aurait dit une aïeule,

Tant elle parlait doucement !

 

Elle lui disait: Sois bien sage!

Sans jamais nommer le démon ;

Leurs mains erraient de page en page

Sur Moïse et sur Salomon,

 

Sur Cyrus qui vint de la Perse,

Sur Moloch et Léviathan,

Sur l'enfer que Jésus traverse,

Sur l'éden où rampe Satan.

 

Moi, j'écoutais... - Ô joie immense

De voir la soeur près de la soeur!

Mes yeux s'enivraient en silence

De cette ineffable douceur.

 

Et, dans la chambre humble et déserte,

Où nous sentions, cachés tous trois,

Entrer par la fenêtre ouverte

Les souffles des nuits et des bois,

 

Tandis que, dans le texte auguste,

Leurs coeurs, lisant avec ferveur,

Puisaient le beau, le vrai, le juste,

Il me semblait, à moi rêveur,

 

Entendre chanter des louanges

Autour de nous, comme au saint lieu,

Et voir sous les doigts de ces anges

Tressaillir le livre de Dieu !
 

Pierre Auguste Renoir - Deux fillettes lisant

Pierre Auguste Renoir - Deux fillettes lisant

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28 janvier 2025 2 28 /01 /janvier /2025 22:20

 

 

Victor Hugo (1802-1885) poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français. 

 

 

J'aime un petit enfant, et je suis un vieux fou.

 

J'aime un petit enfant, et je suis un vieux fou.

 

- Grand-père ? - Quoi ? - Je veux m'en aller. - Aller où ?

- Où je voudrai. - Partons. - Je veux rester, grand-père.

- Restons. - Grand-père ? - Quoi ? - Pleuvra-t-il ? - Non, j'espère.


- Je veux qu'il pleuve, moi. - Pourquoi ? - Pour faire un peu

Pousser mon haricot dans mon jardin. - C'est Dieu

Qui fait la pluie. - Eh bien, je veux que Dieu la fasse.

- Mais s'il ne voulait pas ? - Moi, je veux. Si je casse

Mon joujou, le bon Dieu ne peut pas m'empêcher.

Ainsi... - C'est juste. Il va peut-être se fâcher,

Mais passons-nous de lui. - Pour qu'il pleuve ? - Sans doute.

Viens, prenons l'arrosoir du jardinier Jacquot,

Et nous ferons pleuvoir. - Où ? - Sur ton haricot.
 

Victor Hugo (1802-1885) - poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français - J'aime un petit enfant, et je suis un vieux fou.
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28 janvier 2025 2 28 /01 /janvier /2025 22:05

 

 

Victor Hugo (1802-1885) poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français. 

 

 

Chant sur le berceau


Je veille. Ne crains rien. J’attends que tu t’endormes.

Les anges sur ton front viendront poser leurs bouches.

Je ne veux pas sur toi d’un rêve ayant des formes
Farouches ;


Je veux qu’en te voyant là, ta main dans la mienne,

Le vent change son bruit d’orage en bruit de lyre.

Et que sur ton sommeil la sinistre nuit vienne
Sourire.

 

Le poète est penché sur les berceaux qui tremblent ;

Il leur parle, il leur dit tout bas de tendres choses,

Il est leur amoureux, et ses chansons ressemblent
Aux roses.


Il est plus pur qu’avril embaumant la pelouse

Et que mai dont l’oiseau vient piller la corbeille ;

         Sa voix est un frisson d’âme, à rendre jalouse            l’abeille ;

 

Il adore ces nids de soie et de dentelles ;

Son coeur a des gaîtés dans la fraîche demeure

Qui font rire aux éclats avec des douceurs telles
Qu’on pleure ;


Il est le bon semeur des fraîches allégresses ;

Il rit. Mais si les rois et leurs valets sans nombre

Viennent, s’il voit briller des prunelles tigresses
Dans l’ombre,

 

S’il voit du Vatican, de Berlin ou de Vienne

Sortir un guet-apens, une horde, une bible,

Il se dresse, il n’en faut pas plus pour qu’il devienne
Terrible.


S’il voit ce basilic, Rome, ou cette araignée,

Ignace, ou ce vautour, Bismarck, faire leur crime,

Il gronde, il sent monter dans sa strophe indignée
L’abîme.

 

C’est dit. Plus de chansons. L’avenir qu’il réclame,

Les peuples et leur droit, les rois et leur bravade,

Sont comme un tourbillon de tempête où cette âme
S’évade.

 

Il accourt. Reviens, France, à ta fierté première !

Délivrance ! Et l’on voit cet homme qui se lève

Ayant Dieu dans le coeur et dans l’oeil la lumière
Du glaive.

 

Et sa pensée, errante alors comme les proues

Dans l’onde et les drapeaux dans les noires mêlées,

Est un immense char d’aurore avec des roues
Ailées.


 

Victor Hugo (1802-1885) - poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français - Chant sur le berceau 
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18 décembre 2024 3 18 /12 /décembre /2024 20:43

 

 

Victor Hugo (1802-1885) poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français. 

Recueil : Toute la lyre (1888 et 1893).

 


L'enfant

Juin 1874.


Quand l'enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder ;

Quand il pleure, j'entends le tonnerre gronder,

Car penser c'est entendre, et le visionnaire

Est souvent averti par un vague tonnerre.

Quand ce petit être, humble et pliant les genoux,

Attache doucement sa prunelle sur nous,

Je ne sais pas pourquoi je tremble ; quand cette âme,

Qui n'est pas homme encore et n'est pas encor femme,

En qui rien ne s'admire et rien ne se repent,

Sans sexe, sans passé derrière elle rampant,

Verse, à travers les cils de sa rose paupière,

Sa clarté, dans laquelle on sent de la prière,

Sur nous les combattants, les vaincus, les vainqueurs ;

Quand cet arrivant semble interroger nos coeurs,

Quand cet ignorant, plein d'un jour que rien n'efface,

A l'air de regarder notre science en face,

Et jette, dans cette ombre où passe Adam banni,

On ne sait quel rayon de rêve et d'infini,

Ses blonds cheveux lui font au front une auréole.

Comme on sent qu'il était hier l'esprit qui vole !

Comme on sent manquer l'aile à ce petit pied blanc !

Oh ! comme c'est débile et frêle et chancelant

Comme on devine, aux cris de cette bouche, un songe

De paradis qui jusqu'en enfer se prolonge

Et que le doux enfant ne veut pas voir finir !

L'homme, ayant un passé, craint pour cet avenir.

Que la vie apparaît fatale ! Comme on pense

A tant de peine avec si peu de récompense !

Oh ! comme on s'attendrit sur ce nouveau venu !

Lui cependant, qu'est-il, ô vivants ? l'inconnu.

Qu'a-t-il en lui ? l'énigme. Et que porte-t-il ? l'âme.

Il vit à peine ; il est si chétif qu'il réclame

Du brin d'herbe ondoyant aux vents un point d'appui.

Parfois, lorsqu'il se tait, on le croit presque enfui,

Car on a peur que tout ici-bas ne le blesse.

Lui, que fait-il ? Il rit. Fait d'ombre et de faiblesse

Et de tout ce qui tremble, il ne craint rien. Il est

Parmi nous le seul être encor vierge et complet ;

L'ange devient enfant lorsqu'il se rapetisse.

Si toute pureté contient toute justice,

On ne rencontre plus l'enfant sans quelque effroi ;

On sent qu'on est devant un plus juste que soi ;

C'est l'atome, le nain souriant, le pygmée ;

Et, quand il passe, honneur, gloire, éclat, renommée,

Méditent ; on se dit tout bas : Si je priais ?

On rêve ; et les plus grands sont les plus inquiets ;

Sa haute exception dans notre obscure sphère,

C'est que, n'ayant rien fait, lui seul n'a pu mal faire ;

Le monde est un mystère inondé de clarté,

L'enfant est sous l'énigme adorable abrité ;

Toutes les vérités couronnent condensées

Ce doux front qui n'a pas encore de pensées ;

On comprend que l'enfant, ange de nos douleurs,

Si petit ici-bas, doit être grand ailleurs.

Il se traîne, il trébuche ; il n'a dans l'attitude,

Dans la voix, dans le geste aucune certitude ;

Un souffle à qui la fleur résiste fait ployer

Cet être à qui fait peur le grillon du foyer ;

L'oeil hésite pendant que la lèvre bégaie ;

Dans ce naïf regard que l'ignorance égaie,

L'étonnement avec la grâce se confond,

Et l'immense lueur étoilée est au fond.

 

On dirait, tant l'enfance a le reflet du temple,

Que la lumière, chose étrange, nous contemple ;

Toute la profondeur du ciel est dans cet oeil.

Dans cette pureté sans trouble et sans orgueil

Se révèle on ne sait quelle auguste présence ;

Et la vertu ne craint qu'un juge : l'innocence.
 

J.bragolin - enfant qui pleure

J.bragolin - enfant qui pleure

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17 décembre 2024 2 17 /12 /décembre /2024 20:18

 

 

Victor Hugo (1802-1885) poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français. 

Recueil : Les contemplations (1856).


 

Elle avait pris ce pli


Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin

De venir dans ma chambre un peu chaque matin ;

Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère ;

Elle entrait, et disait : Bonjour, mon petit père ;

Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait

Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,

Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe.

Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,

Mon oeuvre interrompue, et, tout en écrivant,

Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent

Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée,

Et mainte page blanche entre ses mains froissée

Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.

Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,

Et c'était un esprit avant d'être une femme.

Son regard reflétait la clarté de son âme.

Elle me consultait sur tout à tous moments.

Oh ! que de soirs d'hiver radieux et charmants

Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,

Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère

Tout près, quelques amis causant au coin du feu !

J'appelais cette vie être content de peu !

Et dire qu'elle est morte ! Hélas ! que Dieu m'assiste !

Je n'étais jamais gai quand je la sentais triste ;

J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux

Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.
 

Boulanger Louis Candide -Léopoldine Hugo - Maison de Victor Hugo

Boulanger Louis Candide -Léopoldine Hugo - Maison de Victor Hugo

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16 décembre 2024 1 16 /12 /décembre /2024 19:59

 

 

Victor Hugo (1802-1885) poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français. 

Recueil : Les contemplations (1856).

 


L'enfant, voyant l'aïeule

 

L'enfant, voyant l'aïeule à filer occupée,

Veut faire une quenouille à sa grande poupée.

L'aïeule s'assoupit un peu ; c'est le moment.

L'enfant vient par derrière et tire doucement

Un brin de la quenouille où le fuseau tournoie,

Puis s'enfuit triomphante, emportant avec joie

La belle laine d'or que le safran jaunit,

Autant qu'en pourrait prendre un oiseau pour son nid.

 

Cauteretz, août 1843.
 

Adèle Martin vieille femme fillette et quenouille

Adèle Martin vieille femme fillette et quenouille

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15 décembre 2024 7 15 /12 /décembre /2024 20:20

 

 

Victor Hugo (1802-1885) poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français. 

Recueil : Les contemplations (1856).

 


Mes deux filles


Dans le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe,

L'une pareille au cygne et l'autre à la colombe,

Belle, et toutes deux joyeuses, ô douceur !

Voyez, la grande soeur et la petite soeur

Sont assises au seuil du jardin, et sur elles

Un bouquet d'oeillets blancs aux longues tiges frêles,

Dans une urne de marbre agité par le vent,

Se penche, et les regarde, immobile et vivant,

Et frissonne dans l'ombre, et semble, au bord du vase,

Un vol de papillons arrêté dans l'extase.

 

La Terrasse, près Enghien, juin 1842.
 

Renoir - Les Filles de Paul Durand-Ruel, Marie Thérèse et Jeanne

Renoir - Les Filles de Paul Durand-Ruel, Marie Thérèse et Jeanne

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12 décembre 2024 4 12 /12 /décembre /2024 20:50

 

 

Victor Hugo (1802-1885) poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français. 

Recueil : Les voix intérieures (1837).

 


À quoi je songe

 

À quoi je songe ? — Hélas ! loin du toit où vous êtes,

Enfants, je songe à vous ! à vous, mes jeunes têtes,

Espoir de mon été déjà penchant et mûr,

Rameaux dont, tous les ans, l'ombre croît sur mon mur,

Douces âmes à peine au jour épanouies,

Des rayons de votre aube encor tout éblouies !

Je songe aux deux petits qui pleurent en riant,

Et qui font gazouiller sur le seuil verdoyant,

Comme deux jeunes fleurs qui se heurtent entre elles,

Leurs jeux charmants mêlés de charmantes querelles !

Et puis, père inquiet, je rêve aux deux aînés

Qui s'avancent déjà de plus de flot baignés,

Laissant pencher parfois leur tête encor naïve,

L'un déjà curieux, l'autre déjà pensive !

 

Seul et triste au milieu des chants des matelots,

Le soir, sous la falaise, à cette heure où les flots,

S'ouvrant et se fermant comme autant de narines,

Mêlent au vent des cieux mille haleines marines,

Où l'on entend dans l'air d'ineffables échos

Qui viennent de la terre ou qui viennent des eaux,

Ainsi je songe ! — à vous, enfants, maisons, famille,

A la table qui rit, au foyer qui pétille,

A tous les soins pieux que répandent sur vous

Votre mère si tendre et votre aïeul si doux !

Et tandis qu'à mes pieds s'étend, couvert de voiles,

Le limpide océan, ce miroir des étoiles,

Tandis que les nochers laissent errer leurs yeux

De l'infini des mers à l'infini des cieux,

Moi, rêvant à vous seuls, je contemple et je sonde

L'amour que j'ai pour vous dans mon âme profonde,

Amour doux et puissant qui toujours m'est resté.

Et cette grande mer est petite à côté !

 

Le 15 juillet 1837.
 

Vladimir Volegov  enfants

Vladimir Volegov enfants

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12 décembre 2024 4 12 /12 /décembre /2024 20:05

 

 

Victor Hugo (1802-1885) poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français. 

Recueil : Les feuilles d'automne (1831).

 

 


Lorsque l'enfant paraît

 


Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille

Applaudit à grands cris.

Son doux regard qui brille

Fait briller tous les yeux,

Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,

Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,

Innocent et joyeux.

 

Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre

Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre

Les chaises se toucher,

Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.

On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère

Tremble à le voir marcher.

 

Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,

De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme

Qui s'élève en priant ;

L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie

Et les poètes saints ! la grave causerie

S'arrête en souriant.

 

La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure

Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure,

L'onde entre les roseaux,

Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare,

Sa clarté dans les champs éveille une fanfare

De cloches et d'oiseaux.

 

Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine

Qui des plus douces fleurs embaume son haleine

Quand vous la respirez ;

Mon âme est la forêt dont les sombres ramures

S'emplissent pour vous seul de suaves murmures

Et de rayons dorés !

 

Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,

Car vos petites mains, joyeuses et bénies,

N'ont point mal fait encor ;

Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange,

Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange

À l'auréole d'or !

 

Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche.

Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche.

Vos ailes sont d'azur.

Sans le comprendre encor vous regardez le monde.

Double virginité ! corps où rien n'est immonde,

Âme où rien n'est impur !

 

Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,

Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,

Ses pleurs vite apaisés,

Laissant errer sa vue étonnée et ravie,

Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie

Et sa bouche aux baisers !

 

Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j'aime,

Frères, parents, amis, et mes ennemis même

Dans le mal triomphants,

De jamais voir, Seigneur ! l'été sans fleurs vermeilles,

La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,

La maison sans enfants !

 

Mai 1830.
 

Albert Anker - Vieillard et deux enfants - 1881

Albert Anker - Vieillard et deux enfants - 1881

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