Château de ma présence
Arthur Rimbaud (1854-1891) poète français
Recueil : Derniers vers (1872)
Ô saisons, ô châteaux
Ô saisons ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?
Ô saisons, ô châteaux,
J'ai fait la magique étude
Du Bonheur, que nul n'élude.
Ô vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.
Mais ! je n'aurai plus d'envie,
Il s'est chargé de ma vie.
Ce Charme ! il prit âme et corps
.Et dispersa tous efforts.
Que comprendre à ma parole ?
Il fait qu'elle fuie et vole !
Ô saisons, ô châteaux !
Et, si le malheur m'entraîne,
Sa disgrâce m'est certaine.
Il faut que son dédain, las !
Me livre au plus prompt trépas !
- Ô Saisons, ô Châteaux !
Anna de Noailles (1876-1933) poétesse et romancière française d'origines roumaine et grecque
Recueil : Le cœur innombrable (1901).
Les saisons et l'amour
Le gazon soleilleux est plein
De campanules violettes,
Le jour las et brûlé halette
Et pend aux ailes des moulins.
La nature, comme une abeille,
Est lourde de miel et d'odeur,
Le vent se berce dans les fleurs
Et tout l'été luisant sommeille.
— Ô gaieté claire du matin
Où l'âme, simple dans sa course,
Est dansante comme une source
Qu'ombragent des brins de plantain !
De lumineuses araignées
Glissent au long d'un fil vermeil,
Le cœur dévide du soleil
Dans la chaleur d'ombre baignée.
— Ivresse des midis profonds,
Coteaux roux où grimpent des chèvres,
Vertige d'appuyer les lèvres
Au vent qui vient de l'horizon ;
Chaumières debout dans l'espace
Au milieu des seigles ployés,
Ayant des plants de groseilliers
Devant la porte large et basse...
— Soirs lourds où l'air est assoupi,
Où la moisson pleine est penchante,
Où l'âme, chaude et désirante,
Est lasse comme les épis.
Plaisir des aubes de l'automne,
Où, bondissant d'élans naïfs,
Le cœur est comme un buisson vif
Dont toutes les feuilles frissonnent !
Nuits molles de désirs humains,
Corps qui pliez comme des saules,
Mains qui s'attachent aux épaules,
Yeux qui pleurent au creux des mains.
— Ô rêves des saisons heureuses,
Temps où la lune et le soleil
Écument en rayons vermeils
Au bord des âmes amoureuses...
Charles Cros (1842-1888) poète
Recueil : Le coffret de santal (1873).
Les quatre saisons
Le printemps
Au printemps, c'est dans les bois nus
Qu'un jour nous nous sommes connus.
Les bourgeons poussaient vapeur verte.
L'amour fut une découverte.
Grâce aux lilas, grâce aux muguets,
De rêveurs nous devînmes gais.
Sous la glycine et le cytise,
Tous deux seuls, que faut-il qu'on dise ?
Nous n'aurions rien dit, réséda,
Sans ton parfum qui nous aida.
L'été
En été les lis et les roses
Jalousaient ses tons et ses poses,
La nuit, par l'odeur des tilleuls
Nous nous en sommes allés seuls.
L'odeur de son corps, sur la mousse,
Est plus enivrante et plus douce.
En revenant le long des blés,
Nous étions tous deux bien troublés.
L'automne
L'automne fait les bruits froissés
De nos tumultueux baisers.
Dans l'eau tombent les feuilles sèches
Et sur ses yeux, les folles mèches.
Voici les pèches, les raisins,
J'aime mieux sa joue et ses seins.
Que me fait le soir triste et rouge,
Quand sa lèvre boudeuse bouge ?
Le vin qui coule des pressoirs
Est moins traître que ses yeux noirs.
L'hiver
C'est l'hiver. Le charbon de terre
Flambe en ma chambre solitaire.
La neige tombe sur les toits.
Blanche ! Oh, ses beaux seins blancs et froids !
Même sillage aux cheminées
Qu'en ses tresses disséminées.
Au bal, chacun jette, poli,
Les mots féroces de l'oubli,
L'eau qui chantait s'est prise en glace,
Amour, quel ennui te remplace !
Amable Tastu (1798-1885) femme de lettres française, poétesse et librettiste.
Recueil : Poésies (1826).
Les saisons du Nord
Connaissez-vous ces bords qu'arrose la Baltique,
Et dont les souvenirs, aimés du Barde antique,
Ont réveillé la harpe amante des torrents ?
Connaissez-vous ces champs qu'un long hiver assiège,
L'orgueil des noirs sapins que respecte la neige,
Ces rocs couverts de mousse et ces lacs transparents ?
D'un rapide printemps la fugitive haleine
Y ranime en passant et les monts et la plaine ;
Un prompt été le suit, et, prodigue de feux,
Se hâte de mûrir les trésors qu'il nous donne ;
Car l'hiver menaçant laisse à peine à l'automne
Le temps de recueillir ses présents savoureux.
Mais ces rares beaux jours, quel charme les décore !
La nuit demi-voilée y ressemble à l'aurore :
Une molle douceur se répand dans les airs ;
Et cette heure rapide où le soleil repose,
Clisse avec le murmure et les parfums de rose
Des bouleaux agités par la brise des mers.
Hâtez-vous de goûter d'éphémères délices ;
L'hiver qui vous poursuit de ses tristes prémices,
D'un givre étincelant a blanchi ces climats :
Bientôt l'onde s'arrête à sa voix redoutable,
Et sur les champs muets que son empire accable
D'une haleine puissante il souffle les frimas.
Mais aux natals plaisirs lui seul offre un théâtre,
Ses chemins de cristal et ses tapis d'albâtre
Ouvrent leur blanche arène aux traîneaux triomphants ;
Et malgré ses rigueurs et sa morne durée,
Lui seul prête ses traits à l'image sacrée
Qui grave la patrie au cœur de ses enfants.
Beaux climats du Midi, terres du ciel aimées !
Que sont au fils du Nord vos brises embaumées ?
Les jasmins de Grenade et leurs parfums si doux
Ne pourraient l'arracher à sa mélancolie,
Sous vos rameaux en fleurs, citronniers d'Italie,
Il rêve un sol de glace et des cieux en courroux.
Henri-Frédéric Amiel (1821-1881) poète, écrivain et philosophe suisse
Recueil : Grains de mil (1854).
Les saisons au village
Monts sublimes !
Si l'Hiver glace vos âmes
Qui blanchissent dans l'azur,
De vos flancs descend l'air pur,
L'eau jaillit de vos abîmes.
Alouettes !
Du Printemps les pâquerettes
Ont brillé parmi le thym ;
Gais troupeaux, c'est le matin ;
L'aube a lui; tintez, clochettes !
Providence !
L'épi mûr, c'est l'abondance
Que pour nous l'Été blondit ;
Au soleil le champ sourit ;
Le fléau bat en cadence.
Meurs, feuillée !
Fruits tombez, l'herbe est mouillée ;
Automne, ouvre tes pressoirs ;
Courts sont les jours, doux les soirs ;
L'oiseau fuit, chante, ô veillée !
Harmonie !
Les Saisons ont un génie ;
Dans les champs et dans le cœur,
Partout il veut le bonheur ;
Œuvre sainte, oh ! sois bénie !